Les gros mots
Si vous voulez faire passer quelque chose d’un tout petit peu religieux dans le domaine public, surtout évitez de dire des gros mots. Sinon, ça coince ! Expérience sur la laïcité à la française…
Il se trouve que Pale Rider préside une association culturelle protestante. Évidemment, quand nous organisons des manifestations, notamment des conférences, il faut faire des annonces et de l’affichage. Or, dans certains lieux publics, nous nous heurtons souvent au genre de mésaventure que je m’en vais vous narrer présentement.
Nous devions annoncer une conférence sur la philosophe Simone Weil, avec une accroche locale puisqu’elle avait été prof dans notre ville. J’ai demandé à poser une affiche au Conservatoire où mes enfants font de la musique. Le préposé de service a parcouru la feuille avec méfiance et m’a répondu que le Conservatoire n’affichait que des manifestations relatives à la musique, à la danse ou autres disciplines artistiques. Mais, m’a-t-il proposé, allez voir la dame en face qui s’occupe de la Maison de la Culture et avec qui nous partageons un panneau d’affichage.
Oui, et puis non
Muni de mon annonce culturelle, je vais la lui montrer. Pas de problème : cette personne fort charmante se déplace même pour venir poser l’affiche, allant jusqu’à plaider ma cause auprès du monsieur que j’avais vu. J’avais redouté de me faire éconduire comme cela m’était arrivé précédemment pour des annonces analogues. Hélas, la suite n’allait pas tarder à confirmer la coutume contre laquelle nous butons régulièrement. Depuis la salle où je m’étais installé pour lire, je vois arriver la jolie dame : c’était moi qu’elle venait voir. Elle me dit : « Vous savez, moi, personnellement cette affiche ne me dérange pas. Mais là, c’est marqué : ‘regard d’une philosophe protestante’. Et là, en dessous, il est indiqué que ça se passe au ‘temple’ ». J’ai eu beau lui expliquer que le sujet était culturel, pas principalement religieux, il y avait deux gros mots sur l’affiche : protestante et temple. Devant mon insistance, elle m’a opposé qu’elle avait peur de créer un précédent, de se faire envahir (par les cathos, peut-être, les Témoins de Jéhovah, les musulmans ou que sais-je…). Bref, j’ai dû remballer mon affiche.
Deux poids, deux mesures
Dans la République française –du moins telle que certains la conçoivent dans l’ignorance la plus totale de la Loi de 1905–, dès que vous avez une connotation religieuse, surtout d’une église minoritaire, vous êtes exclu ipso facto du domaine public. Et, en matière culturelle, tout ce qui est religieux est proscrit, comme si le religieux ne faisait pas partie de la culture (si ce n’est en matière de monuments historiques, pour les touristes…).
Il y a pourtant d’étranges exceptions, ou des passe-droit liés à l’histoire de notre pays. Car, quand le même Conservatoire ou la chorale de ma ville met à son programme un Ave Maria avec toutes les paroles que moi, protestant, je considère comme hérétiques et idolâtres, et qui sont hyper marquées religieusement, ça ne gêne personne, bizarrement. À l’inverse, si on tolère à la rigueur de mentionner que Simone Weil était une philosophe juive, si on a tout loisir de rappeler que cette très bonne connaisseuse du marxisme a bossé en usine, il faudra néanmoins se montrer très prudent quand on en viendra à dévoiler ce qui a été essentiel dans sa vie et sa pensée : elle s’était convertie à Jésus-Christ très explicitement ! D’ailleurs, j’aurais pu améliorer la culture personnelle de mon interlocutrice en lui indiquant que c’est Albert Camus, auteur agnostique mondialement connu et prix Nobel de Littérature, qui avait édité Simone Weil chez Gallimard, y compris ses écrits mystiques. Mais ça n’aurait servi à rien.
Hélas, il y a une peur, une frilosité et même une imbécillité rampantes dans ce pays qui laisse croire que la laïcité est l’expulsion du religieux hors de la sphère publique. Or, la laïcité dit tout simplement que le religieux est une dimension qui a droit de cité comme les autres –ni plus (il n’a pas à régir les valeurs de la société), ni moins (il a toute sa place dans le brassage des idées, des convictions et des éléments de culture dont il est porteur). Finalement, notre France est quasiment l’Union soviétique, la persécution en moins. Elle n’arrive pas à se désembourber de son ignorance et de son malaise par rapport au fait religieux. Elle est infoutue de comprendre ce que Jean Baubérot, Régis Debray ou Jean-Pierre Chevènement expliquent pourtant avec clarté.
L’hommage de la FOL
Pour conclure sur une observation réconfortante et amusante, ce qui nous a consolés, c’est que la conf a été une totale réussite. Elle était prononcée par une ancienne prof de philo issue d’une famille d’athées depuis deux générations, et qui s’était convertie à Jésus-Christ, comme Simone Weil. Cela, elle l’a raconté alors qu’on l’interrogeait sur son parcours, devant un temple rempli. À la fin, un militant de la Fédération des Œuvres Laïques, qui m’avait dit avant qu’on ne commence qu’il était un « mécréant », est venu me trouver pour me dire : « C’est la première fois que je mets les pieds dans un temple ; et je me suis senti très bien ! » Dans l’assistance, il y avait d’autres militants de son style et des communistes ravis de leur soirée. Ils ne se sont pas sentis offensés, ni maltraités dans leur conception de la laïcité avec laquelle nous nous sentions complètement en phase.
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