Les villes à l’heure de la chasse
Il y a un mois, plus d’une centaine de villes changeaient de couleur politique, de droite à gauche pour la plupart. Question : comment se passe la transition à l’intérieur des services municipaux de ces villes ?
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A la une de la Lettre du cadre territorial du 15 avril dernier, ce titre : « Elections : coup de tabac sur les directeurs généraux des services ». De fait, il suffit de lire les revues spécialisées, telle que la Gazette des communes, pour constater le nombre impressionnant des postes de la fonction publique territoriale qui sont en train d’être renouvelés... Même chose si l’on fait une recherche sur un moteur, tel que Google. Ce n’est pas le désir qui me manque, mais la place qui m’est impartie sur Agoravox, pour citer les maires des villes, grandes ou petites, qui se lancent ainsi à une chasse aux sorcières, au mépris de l’esprit de continuité et d’impartialité du service public, dès le lendemain de leur élection. La Lettre du cadre territorial, dans son article, pose opportunément une question : « A l’heure du "mercato postélectoral", il est temps de s’alarmer d’un phénomène que l’on finirait par trouver normal : la politisation du recrutement des DGS. L’élu cherche-t-il avant toute chose un DGS compétent ou un DGS ayant servi sous les bonnes couleurs ? »
Les contractuels les plus menacés
Les DGS, leurs adjoints, et les autres fonctionnaires invités à déguerpir après les élections n’ont, pourtant, pas de fonctions particulièrement politiques. Et d’ailleurs, la quasi-totalité d’entre eux n’ont aucune carte politique. Bien malin serait même l’observateur qui pourrait déceler leur opinion personnelle dans le travail quotidien qui, d’ailleurs, est de plus en plus technique et complexe. Mais voilà : la valse des postes est devenue une regrettable habitude dans un pays supposé être celui des droits de l’Homme et qui malmène de plus en plus ouvertement le simple droit de travailler sérieusement dans sa ville avec le seul souci de l’intérêt général. Les DGS ont encore la chance d’être le plus souvent des fonctionnaires titulaires. Par conséquent, mis au placard ou invités au départ, ils peuvent toujours tenter de se faire recruter ailleurs.
Cela n’est, hélas, pas le cas des agents contractuels comme, par exemple, ceux qui sont employés à la communication. La fonction publique territoriale n’a pas prévu de formation adéquate et il faut bien avouer que les préoccupations professionnelles des communicants sont bien éloignés de celles des agents territoriaux classiques. D’autre part, de grandes écoles ou universités, telles que la Sorbonne, proposent des formations de qualité à ceux qui veulent devenir chargé de communication ou journaliste dans une ville. Les passerelles afin que ces professionnels puissent disposer du statut de la fonction publique sont, hélas, toujours au stade de vœu pieux, à moins de passer un énième concours qui ne leur apprend rien de nouveau sur leur métier. Par conséquent, quand une municipalité veut recruter un « communicant », elle doit ouvrir un poste contractuel. Quand cette même municipalité change de couleur politique, le premier souci du nouveau magistrat est de renvoyer l’agent concerné sans même envisager qu’il puisse mener à bien son travail avec une nouvelle équipe...
A Poitiers, une « chasse » inattendue
Parfois, les changements de maire se concrétisent par des « chasses aux sorcières » pour le moins inattendues. A Poitiers, un maire PS, Alain Clayes, tendance Fabius, remplace Jacques Santrot, autre PS de même tendance. Par conséquent, les agents municipaux, contractuels ou titulaires, ne se sentaient pas inquiétés. Lourde erreur ! Dès les jours qui suivirent l’élection, acquise dès le premier tour, le maire commençait par déménager le bureau de ses élus colistiers. Ainsi, un conseiller municipal handicapé, figurant pourtant dans la liste du nouveau maire, avait la désagréable surprise de ne plus pouvoir accéder à son nouveau local ! Mais ce sont les personnels de la ville qui ont le plus à souffrir et le fait d’avoir un statut de titulaire ne leur est que d’un maigre secours... Par exemple, le nouveau maire a complétement remanié son cabinet en nommant des conseillers à lui très politisés et en chassant les fonctionnaires qui réalisaient pourtant un travail technique avec compétence. Le chef de cabinet, qui pourtant était proche de la philosophie politique du nouveau maire (comme de l’ancien), a appris le lendemain de l’élection qu’il n’avait plus aucune fonction, ses secrétaires furent déplacées... Même chose dans les autres services. Les engagements pris par l’ancien maire concernant l’image de la ville de Poitiers à l’extérieur ont été rompus sans autre forme de procès... Les agissements du nouveau maire sont à présent évoqués dans toute la ville et non plus dans la seule sphère municipale...
Pour la continuité et l’impartialité du service public
Chacun connaît l’adage de l’officier prussien Carl von Clausewitz : « La guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens. » Dès lors, on peut, certes, comprendre que les élus, dès leur fonction prise, puissent se lancer à une valse des personnels comme s’ils voulaient concrétiser cet autre adage : « Malheur aux vaincus ! » Mais, alors que notre pays est en paix avec tous ses voisins au point même qu’un différend diplomatique dans l’Union européenne est désormais estimé comme un véritable tremblement de terre, de telles pratiques sont-elles encore admissibles ? N’est-il pas venu le temps d’une démocratie locale apaisée ? Qui puisse être synonyme, pour ses fonctionnaires titulaires ou contractuels, d’un minimum de sécurité sans laquelle le dévouement est toujours plus difficile ? Cette valse des postes qui suit les élections municipales est, hélas, de plus en plus habituelle, aveugle, et concerne autant les nouvelles municipalités de droite que de gauche. Bien souvent, elle s’effectue après que le nouveau maire a pourtant assuré d’un comportement contraire pendant sa campagne électorale... Inutile de dire que la compétence n’a rien à voir avec ces agissements : seule compte une « couleur » supposée de l’agent concerné et que les nouveaux élus auraient pourtant bien des difficultés à prouver puisque le devoir de réserve est une règle très respectée dans la fonction publique territoriale. L’on conviendra d’ailleurs que la gestion d’une ville, contrairement à celle d’un pays, n’offre que bien peu d’occasions d’affirmer une quelconque opinion politisée... Ce qui compte avant tout est l’intérêt général, l’impartialité et la continuité du service offert aux habitants.
Toulouse, le bon exemple
Il arrive cependant que des maires adoptent une autre attitude. Le journal Libération racontait récemment que le nouveau maire de Toulouse, Pierre Cohen, avait conservé tous les agents, y compris les plus « exposés », comme les DGS, recrutés lors de l’ancien mandat. Mais c’est l’exception qui confirme la règle.
Que les administrés réfléchissent un moment à ce que cette valse entraîne pour leur mairie ou collectivité. En janvier dernier, les services commençaient à tourner au ralenti car les élections se préparaient... En février et mars, la campagne battait son plein, donc le fonctionnement des mairies était encore plus altéré. Dans celles qui ont changé de couleur, il faut désormais le temps que les nouveaux élus s’installent et prennent la mesure des dossiers... Enfin, quand ils se lancent dans des changements d’agents, entre le recrutement et la prise de poste des nouveaux, plusieurs semaines sont encore nécessaires. Bref, les changements municipaux quand ils donnent lieu à un bouleversement des services, nuisent au fonctionnement pour au moins six mois, voire jusqu’à la rentrée de septembre prochain... Quelle est l’entreprise privée qui pourrait se permettre une telle désorganisation ??? Il est temps de changer de pratique. De comprendre que conserver les agents compétents, quand bien même ils auraient servi l’ancienne équipe municipale, permet d’assurer la continuité du service public. Sinon, c’est le citoyen qui en souffre et le personnel concerné. Les nouveaux maires élus en mars dernier sont les premiers comptables d’une démocratie adulte.
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