Liberté d’expression, violence institutionnelle et arbitraire administratif
Jean-Hugues Matelly, gendarme, a été révoqué après avoir émis une opinion critique. C’est la sanction la plus grave, généralement infligée aux militaires qui ont commis un délit ou un crime. Aujourd’hui, le ministre de la défense place l’exercice de la liberté d’expression sur ce même plan.
Le ministre de la défense s’est déjà attaqué à des gendarmes qui avaient poursuivi leur enquête au risque de mettre en évidence la corruption au coeur de l’armée. La justice administrative avait alors condamné "la volonté de sanctionner des enquêteurs indispensables à la révélation de toutes les ramifications, particulièrement militaires, d’une gigantesque système de corruption". Après de longues procédures, les deux gendarmes, Jean-Pierre Jodet et Henri Caillet, étaient pleinement rétablis dans leur honneur.
Le ministre de l’intérieur s’est aussi attaquée au Syndicat de la magistrature, pour un ouvrage consacré aux contrôles d’identité, où il était écrit que "les contrôles d’identité au faciès sont non seulement monnaie courante, mais se multiplient". Après de longues procédures judiciaires pour diffamation, l’auteur du texte a été relaxé. Depuis, une étude a confirmé que "les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être. Les résultats montrent que les personnes perçues comme « noires » ou « arabes » sont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme « blanches."
Aujourd’hui, le ministre de la défense sanctionne par la révocation un chef d’escadron pour émis une opinion négative sur le rapprochement entre la police et la gendarmerie. Il avait eu l’audace, en qualité de chercheur, de publier un article argumenté sur un site internet. A priori, rien qui contrevienne à l’article 5 du statut général des militaires, adopté en 2005, qui dispose que, dans l’armée " Les opinions (...) sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire". Mais réfléchir, c’est déjà désobéir...
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé : "l’Etat doit donc pouvoir imposer des restrictions à la liberté d’expression là où existe une menace réelle pour la discipline militaire, le fonctionnement efficace d’une armée ne se concevant guère sans des règles juridiques destinées à empêcher de saper cette discipline. Les autorités nationales ne peuvent toutefois pas s’appuyer sur de telles règles pour faire obstacle à l’expression d’opinions, quand bien même elles seraient dirigées contre l’armée en tant qu’institution". Elle a d’ailleurs rappelé ces principes dans une précédente décision concernant M. Mattely. Celui-ci avait écrit un article sur les dérives liées à la culture du résultat dans la gendarmerie. Il avait été sanctionné et considérait que, de ce fait, son droit à la liberté d’expression avait été violé. Mais il avait fait état de son statut de capitaine et la sanction disciplinaire, d’une gravité modérée (un blâme) avait été annulée par la suite. En considération de ces éléments, la Cour a jugé sa requête irrecevable.
Rien de tel en l’espèce, et la situation de M. Mattely rappelle plutôt celle de la Mme Koudechkina, magistrate russe qui avait osé affirmé que" les tribunaux russes étaient utilisés à des fins de manipulation commerciale, politique ou personnelle". Elle avait été elle aussi radiée des cadres. Mais la Cour européenne des droits de l’homme, a condamné la Russie pour cette décision, le 26 février 2009 : « Notant que la requérante a critiqué publiquement la conduite de plusieurs responsables et affirmé que les pressions sur les juges étaient monnaie courante, la Cour estime que l’intéressée a sans nul doute soulevé une très importante question d’intérêt général méritant de faire l’objet d’un débat libre dans une société démocratique. Même si Mme Koudechkina s’est autorisé une certaine dose d’exagération et de généralisation, la Cour juge que ses propos doivent être considérés comme un commentaire objectif sur une question revêtant une grande importance pour le public".
Plus généralement la Cour européenne des droits de l’homme donne la plus large interprétation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde, qui proclame la liberté d’expression : "cette liberté vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ; la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès" (Giniewski c. France, 31 janvier 2006) ".
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