Ma journée du patrimoine
Chroniques d’humeur d’une journée pas comme les autres, à la découverte du patrimoine de mon coin de 9cube et notamment des jardins ouvriers de Saint-Ouen actuellement en sursis.
Samedi matin, la mairie de Saint-Ouen m’a invitée à venir inaugurer un parcours patrimonial audonien.
D’abord, je me suis dit, ben flûte alors, qu’est-ce qu’il leur prend ?
Après avoir sacrifié tant de bâtiments à caractères patrimoniaux sur l’autel du progrès social et de l’extermination de tous les signes extérieurs de bourgeoisie (oui parfois, le beau peut-être bourgeois, mais là je m’écarte de notre sujet). Certes, les élus communistes ont effectué ces sacrifices urbanistiques pour donner des toits aux mal-logés, avec la complicité de la droite qui a généré ce Yalta territorial en créant la Seine-Saint-Denis en 1965, puis la frontière sociale et physique du périph’.
En quelques coups de bicyclette bleue (nous les outre-périphéens n’avons pas de Vélib’, mais des idées), me voilà devant la mairie de Saint-Ouen, en compagnie du maire, de quelques adjoints tous prosternés face à un étrange totem recouvert d’une bâche.
C’est que maintenant, la municipalité a décidé de vouer un culte au patrimoine : 19 bornes historiques et 2 tables d’orientation sont installées à travers la ville pour aider autochtones et touristes à découvrir le patrimoine industriel de Saint-Ouen.
Oui, ne vous moquez pas, on peut faire du VRAI tourisme dans le 93, c’est à dire pas des clichés pour certaines émissions anxiogènes, mais par exemple visiter la basilique de Saint-Denis, le parcours patrimonial de Saint-Ouen, le musée de l’Air et de l’Espace au Bourget, le magnifique parc de la Courneuve, etc.
J’avoue que cette idée de bornes historiques me séduit et sincèrement je félicite la municipalité pour cette initiative. J’espère qu’elle motivera d’autres villes à en faire autant. D’ailleurs le discours de Jacqueline, notre mairesse quadra à la coupe Marie-Georges, a été très convaincant et permet de soulever différentes questions :
- Qu’est-ce qui dans une ville permet à chacun de se tourner vers l’avenir, tout en s’appropriant le passé ?
- Comment conserver le patrimoine et rester en phase avec les évolutions de la société ?
- Où commence le patrimoine ? Ainsi le classement du site des Puces pour son ambiance prouve que ce ne sont pas seulement les bâtiments qui font l’atmosphère d’une ville.
Malheureusement, nous étions peu nombreux samedi matin devant l’hôtel de ville, et en dehors des envoyés spéciaux de la Pravda locale (euh pardon le journal municipal, ouais, je suis d’humeur caustique aujourd’hui), je n’ai pas vu de journalistes ni de caméras pour médiatiser cette démarche positive, occasion rare de donner une autre image du 93.
C’est que, comme l’a dit Jacqueline, un grand événement mobilise les médias, les partenaires financiers (Conseil général du 93, région IdF), mais aussi les fidèles Audoniens.
À Saint-Ouen, longtemps surnommée avec fierté « little RDA » par les militants communistes, la fête de l’Huma c’est du sérieux, et pas vraiment le truc indispensable à caser dans son dîner de bobos parisiens.
Quel tact notre Jacqueline, elle a simplement casé « grand événement » dans son discours, sans faire de retape, genre je vous rappelle que les horaires des cars municipaux sont indiqués de chaque côté de la mairie (ben quoi, dans les mairies UMP y font pareil pour les meeting de Nicolas ;)).
Jacqueline a conclu son discours par le parti-pris stratégique de la mairie : « ces bornes historiques mettent en avant le travail ». Tiens, ça me rappelle autre chose....
« Le travail est au coeur de l’histoire de Saint-Ouen, pour transmettre la mémoire de ce qu’ont été les joies et les douleurs du travail ».
C’est la raison pour laquelle l’agence de design Saguez & Partners, installée à Saint-Ouen dans une ancienne usine reconvertie en loft (comme dans la chanson de Renaud...), a dessiné dans le cadre d’un mécénat d’entreprise, une borne qui rappelle cette mémoire ouvrière. Un poteau couleur fer au look d’IPN. Du texte orange pour rappeler les couleurs de la sécurité (grue, plots...) et une typographie pochoir à la Le Corbusier.
Je ne suis pas restée pour le verre de l’amitié dans les salons municipaux.
Je salue l’initiative, toutefois je reste sur ma faim. Sur les 19 bornes, aucune n’est consacrée au château de Saint-Ouen. Je sais, ça sonne comme un oxymore, mais l’actuel château et son parc public, rebâti sur les terres de l’ancien château de Boisfranc (achevé en 1669), a été inauguré en 1823 et habité par la Comtesse de Cayla, favorite de Louis XVII.
Seulement un nom de rue que personne ne comprend, mais aucune borne non plus pour rappeler qu’il y a eu jusqu’à quatre châteaux dans l’actuel quartier du Vieux Saint-Ouen. Des princes et princesses - dont la famille Rohan-Soubise (a donné son nom à la cité éponyme qui cette fois dispose de tours), mais aussi la famille Necker (avant l’hôpital, le ministre des Finances de Louis XVI) avaient leurs « maisons de campagne » sur cette petite colline surplombant la Seine.
C’est vrai qu’avec l’ouverture de la gare des Docks en 1830, Saint-Ouen est passée d’une ville de villégiature à une ville d’industrie et que les patrons ont occupé les ex-demeures princières. Alors, pourquoi ne pas leur rendre hommage ? À six mois des élections municipales, serait-ce trop bourgeois pour le patrimoine électoral audonien ?
Dans les anciens terrains des Docks justement, se trouvent encore aujourd’hui ce qui reste des jardins ouvriers créés dans les années 20, lors de la vente d’une partie du parc du château de Saint-Ouen à l’usine Thomson Houston devenu ensuite Alstom puis Areva.
Agoravox, c’est l’occasion de rappeler que - deux ans jour pour jour après le grand pique-nique, que différentes associations avaient organisé pour les Journées du patrimoine pour sensibiliser les médias et faire pression sur le promoteur Nexity et la mairie - les jardins et les jardiniers sont toujours en sursis.
38 jardins ont été détruits pour laisser place à des bureaux et 62 jardins ont été maintenus grâce la mobilisation citoyenne puis médiatique qui a fait pression sur la mairie de Saint-Ouen pour interférer auprès du promoteur Nexity.
Restructuration capitaliste oblige, en 2004, les anciens terrains Alstom ont été vendus au promoteur Nexity. En février 2005, les jardiniers reçoivent une lettre : ils doivent quitter les lieux au plus tard le 31 décembre, l’accès sera fermé, les jardins démolis. C’est le drame et l’incompréhension, d’autant plus qu’une partie de ces jardins est située sur une zone non constructible inscrite réserve espaces au Plan local d’urbanisme (PLU), que ces jardins, mais aussi les deux terrains de foot et de tennis ont toujours été accessibles.
Ainsi José a ramené ses semench’ de tomates et de choux du Portougal.
C’est ce choux vert géant qui accompagne les traditionnelles sardines. C’est un gros bouloch’ pour les femmes de rouler chaque feuille une à une à la main, nous explique José.
C’est que les jardins, comme les parties de pétanque, c’est le melting-pot des cultures et le monde des hommes. A l’origine créés pour procurer un appoint alimentaire, éviter de traîner dans les bars, mais surtout procurer la bouffée d’oxygène indispensable pour tenir le rythme de l’usine.
Mohammed en parle avec fierté de ses 37 ans d’Alstom dont 18 de nuit.
Même chose pour Bouchta, arrivé de Kabylie pour faire chaudronnerie pendant 38 ans et qui offre fièrement ses citrouilles à Fifi Brindacier et Miss star Ac’.
C’est José qui a le plus beau jardin, tous sont unanimes. Nous goûtons le délicieux raisin, les blondes ramassent des tomates, des carottes. Fifi ne comprend pas bien comment le lapin peut croquer la carotte si elle est enfoncée dans la terre. Miss star Ac’ veut revenir avec sa maîtresse et sa classe.
Mais voilà ce n’est pas possible.
Les jardins sont en sursis. Ces trois hectares bucoliques et improbables sont dissimulés. Autrefois ouverts à tous les prolétaires, ils sont devenus réserve de privilégiés.
Les jardins ouvriers de Saint-Ouen font partie du patrimoine de la ville depuis presque un siècle, symbole des joies et des souffrances du travail, mais la mairie n’est pas sûre de pouvoir les garder, donc... pour vivre heureux vivez cachés...
Le projet des Docks, 100 Ha soit ¼ de la surface de Saint-Ouen, sera achevé dans 18 ans. Le futur parc de 12 hectares incluant l’actuel parc du château devrait comporter des jardins familiaux, mais rien ne dit que ce sera ceux-là, et pas un alignement d’abris de jardin Playmobil avec des arbres de Barbie.
La famille Ricoré s’en va contente de son marché bio hors du commun, mais triste pour les jardiniers en sursis. En vraies citadines, les filles ont décidé de traverser le périf pour aller boire un pot à Paname.
En ménagère modèle, je propose de grouper avec le Jardin des Halles qui fait portes ouvertes à l’occasion de sa réouverture. Nous arrivons trop tard, plus de place. La dure réalité des journées du patrimoine nous a rattrapées.
Le temps de se diriger vers la colorée et magnifique fontaine de Nikki de Saint-Phalle, j’entends Miss star Ac’ questionner : dis, pourquoi y sont tous par terre les papiers pour Saint-Ouen ?
Phénomène X-Files ? Signe du destin ? L’aînée des blondes a raison : une distribution de flyer pour les Puces recouvre le sol. Le 93 s’est (encore) invité, et il faut croire que qu’il n’est pas près de nous/vous quitter.
@ suivre... sur http://chroniques-ma-banlieue.blog.20minutes.fr/
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