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Accueil du site > Actualités > Citoyenneté > MACRON II : Les fétiches usés de la république bourgeoise

MACRON II : Les fétiches usés de la république bourgeoise

Suivant une tradition gréco-romaine et monothéiste qui attribue à la seule parole une capacité d’agir et de transformer le monde, les fétiches de langage de la bourgeoisie libérale, manipulés par des vieux sorciers en transe devant le capital rentier, ont encore permis d’invisibiliser toutes les réalités vécues par les gens du commun. Au moins le temps juste nécessaire pour s’accaparer de nouveau le pouvoir symbolique, pour accomplir le rite miraculeux en prononçant la grand-messe d’un rassemblement national merveilleux et chatoyant. Et de finir la célébration du sacre comme il se doit, en se retirant tranquillement dans une demeure versaillaise.

N’étaient-ils pas tous mignons, ces enfants autour du couple présidentiel, tels des anges bambochant dans un ciel illuminé par la Tour Eiffel ? Parmi le flot de drapeaux virevoltants, au rythme doux et modéré de l’Ode à la joie, la Sainte Famille de France retrouvait paisiblement les siens, dans une ambiance rococo ronde et légère. Et avec une parole miséricordieuse magnanime envers ceux éloignés de cette communion salutaire à la fois enivrante et feutrée, dissipant les râles funestes de désespoir et le tumulte des gilets jaunes-rouges-bruns-bleus-verts...

 

Enveloppés d’une fraîcheur tiède se dégageant de cette conciliation républicaine vespérale qui embaume les cœurs et efface les divisions entre nous tous, unis comme un seul homme sous l’auspice bienveillante des anciens du cercle de la raison : Vive Macron II ! Le vénérable sérénissime, le Mozart des mouvements financiers et des bulles spéculatives. Alors que nous étions si aveugles devant tant de bonté providentielle de la part du patronat français, qui propose si généreusement leur aide aux plus démunis, avec un altruisme confondant. Et puis, si rongés par un ressentiment honteux, immature et mortifère, qui nous interdisait cette sagesse ancestrale révélée autrefois par les saints prophètes du marché autorégulé, parfait en tout point et à l’image de la divinité : Smith, Ricardo, Say, Bastiat, Tocqueville et tant d’autres grands ancêtres immortels, nous nous flagellerons jusqu’à la fin de nos jours en espérant un jour être pardonnés de notre ignorance irrachetable. 

 

Nous nous sommes effectivement trompés, et le mal est bien pire qu’on l’envisageait. Il nous dévore encore de l’intérieur, comme un sortilège démoniaque résistant à tout exorcisme. Celui de l’argent tout d’abord, des images publicitaires et des discours marchands ensuite, et surtout ces cérémonies où des vieux sages ressortent à chaque fois ces vieux fétiches décousus et élimés du culte républicain bourgeois, que la noblesse d’État est la première à fouler aux pieds. Comment pourrait-on croire à des choses auxquelles les officiants sont les derniers à croire ? L’espérance que ce régime peut se réformer de lui-même est devenue vaine, avec le temps le rituel républicain bourgeois s’est desséché et s’est réduit à un pantomime minimaliste et insignifiant. Il n’est plus qu’une apparition virtuelle et stérile de ce qui s’est décomposé depuis plus de quatre-vingt ans. Bien avant la grande geste gaullienne, et dès la Première Guerre mondiale, plus certainement. 

 

À ce sujet, Zemmour pourrait en écrire des millions de pages qu’il s’éloignerait toujours plus du point de départ de cette décomposition, en cherchant à s’en rapprocher et surtout à réactualiser tel quel les mille morceaux éclatés d’un vieux mythe impérial républicain disparu. Or le dilemme de l’historien n’est pas celui du politique, toujours avide d’une représentation nouvelle et monolithique, surtout lorsqu’il s’agit d’une réinvention fasciste. En creusant un peu plus sa quête archéologique, notre cher Zemmour finira dans un désert semblable à celui que ses ascendants n’auraient sans doute jamais dû quitter, aux confins délaissés du vieil empire. 

 

Il est vrai que l’amnésie sur l’histoire, sociale en particulier, a été une opération si savamment organisée par le discours publicitaire managérial, en mettant tous les événements à équivalence en tant que marchandises, afin de rentabiliser au maximum le tourisme patrimonial et la mémoire culturelle. Le désir de retrouver une authenticité quelconque, que le marché surexploite allègrement, s’auto-alimente à l’infini et peut provoquer cette soif hystérique de tout reconstituer à l’identique – mais qui ne produit que du faux authentique, évidemment. L’histoire ne se fait pas que dans les musées, avec de très vieux bouquins et des pièces d’antiquaires, elle se renouvelle sans cesse à chaque génération en réinterprétant les événements vécus par les générations précédentes successives qui les ont interprétés différemment. La conception d’une succession figée et immuable, monocausale, que donne l’extrême-droite de l’histoire française ne constitue seulement qu’une modalité d’interprétation parmi des centaines d’autres, qu’elles soient autochtones ou allogènes. Typiquement, ce que tente de retrouver l’idéologie d’extrême-droite n’est pas une vision historique, mais une forme de religiosité dans le rapport au temps et à la culture nationale, qui s’appuie sur la transmission objective de certains rites. 

 

Mais finalement, l’ambiguïté la plus sournoise et inquiétante ne se trouve pas vraiment dans ce compartiment d’historicisme réactionnaire au fond religieux, bien identifiable et assez aisément réfutable d’un point de vue laïc et sécularisé, mais plutôt chez les bourgeois républicains. Malgré toutes leurs imprécations à contrer l’hydre national-populiste, grâce à un feu médiatique jupitérien, il est plus difficile de cerner à quel type d’historicité renvoie la bourgeoisie française dans son ensemble. Conservatrice ? Progressiste ? Globale ? Depuis Macron le flou artistique règne, en raison peut-être de sa position centriste qui cherche à tout mélanger dans un européisme complètement superficiel et pavlovien. La bourgeoisie française se serait-elle irrémédiablement perdue dans cette Ère du vide, que diagnostiquait déjà Gilles Lipovetsky dans son ouvrage éponyme ? 

 

Oui, c’est bien ça, Macron représente le temps vide d’une bourgeoisie nationale se croyant plus mondialisée que tous les autres, et invoquant le ni-ni face à ses opposants en toute circonstance. Le ni-droite ni-gauche s’entend. Car le vrai ni-ni, ce n’est pas de mettre en équivalence le centre et l’extrême-droite en sous-entendant une alliance objective entre les deux, ni l’équivalence entre d’autres partis en amalgamant l’extrême-droite et l’extrême-gauche, mais plutôt de nier le clivage gauche-droite au sein des régimes parlementaires modernes. Le centre a bien sûr ses propres références et histoire, mais toujours en relation avec l’un ou l’autre bord politique. Pas seulement de lui-même en lévitation dans un purgatoire réservé aux politiciens retraités. Ah oui, c’est vrai que le vote Macron a capté environ 75 % des + de 65 ans, ceci expliquant cela...

 

La mainmise des retraités bourgeois sur la société produit donc un régime d’historicité particulier qui est un post-modernisme refoulé, inversé ou décadent, impossible à formaliser de façon positive, où les souvenirs sont évanescents, le cours des événements est discontinu et amovible dans les temps, et le plus important, tout est soumis au désir immédiat de retrouver de la similitude, dans un cercle fermé de signifiants qui se répondent les uns aux autres et dans lequel il y a moins besoin de réfléchir, de prévoir, de planifier, de cartographier et d’imaginer : en somme la bourgeoisie française est devenue paresseuse, et elle entend faire plus travailler les autres. C’est le seul point d’ancrage commun à toutes les périodes historiques de sa domination, sûre et linéaire celle-là. 

 

Mais par la même occasion, ce régime d’historicité de post-modernisme inversé ou décadent offre une affinité particulière avec la conception réactionnaire de l’histoire de l’extrême-droite, étant donné que ces deux régimes s’appuient tous deux sur une temporalité assez cyclique, l’une ordonnée par la répétition à l’infini d’un même culte très cadré, et l’autre de façon plus désordonnée dans un mouvement autoréférentiel purement circulaire et atemporel, jeté dans l’immédiateté d’un maelstrom boursier vorace. Enfin, il est évident que la temporalité linéaire et diachronique propre à une vision dialectique de l’histoire, progressiste, idéaliste ou matérialiste, qui a été tant critiquée et parfois à juste titre, n’est pas vraiment en faveur au sein de cette combinaison entre bourgeoisie mondialisée et populisme réactionnaire. L’horizon est bouché et les perspectives de long terme sont plus difficiles à mettre en œuvre, correspondant bien à l’état général de la société actuelle sous l’emprise du capitalisme néolibéral. 

 

Cet état d’esprit a aussi une autre conséquence, qui est de plus en plus flagrante dans l’ère vide de la bourgeoisie macronienne, combinée à son supplétif réactionnaire : le fétichisation des mots et la négation des choses réelles, symptômes typiques de la religion du capital. Avec la grâce du marché libre autorégulé, tout devient possible pour nous tous mais sans donner les moyens de le faire : mystère du pouvoir libéral, qui règne pourtant depuis des décennies, mais simplement en rendant la langue elle-même plus performative, et beaucoup moins réflexive, c’est-à-dire favorisant le dialogue et la multiplicité d’interprétations. 

 

En-dessous de cet État bourgeois centriste qui flotte dans les airs et se détache toujours plus de sa base, ce sont les arrangements, le clientélisme, un protectionnisme déguisé mais arbitraire et sans concertation, féodal. Les petits patrons règnent totalement à tous les niveaux, mais chut ! Faut faire croire aux médias et aux actionnaires que le système est ultramoderne, globalisé et ouvert aux étrangers, en un mot rentable et conforme aux calculettes des places boursières. Entre le château ambulant et la glèbe des sans-dents, voltigent des mots qui n’ont plus de sens ou ne servent plus qu’à mentir, à travestir la réalité vécue, réifiés par le pouvoir corrosif de l’argent sur toutes les valeurs. L’argent pour l’argent et tout pour l’argent. Le sol se dérobe, les enfants s’en vont, les parents divorcent et les anciens crèvent seuls dans les Ehpad, maltraités par une santé de plus en plus inaccessible et privatisée. Le nez dans le guidon sur cette autoroute du profit et de la cupidité, les pauvres exclus des centres-villes débloquent et s’essoufflent, se postent sur des ronds-points, désespérés, et ne trouvant sous la main qu’un gilet jaune de sécurité comme seul signe de reconnaissance fraternelle. Les partis, les syndicats et les institutions ? Que des mots hypocrites, faux et humiliants. 

 

Le fétichisme des mots dont une seule et unique signification est imposée par le capital, accompagne bien sûr le fétichisme de la marchandise, celui des agences de communication et des cabinets d’expertise ayant remplacé la concertation publique. Des mots et des éléments de langage du capitalisme néolibéral qui ont envahi et colonisé la langue elle-même, sa littérature, ses discours, sa syntaxe, sa rhétorique, sa logique et sa signification. Autant dire que l’apport de langues étrangères, notamment celles venues des pays du sud et un peu moins imprégnée par cette novlangue, donne une bouffée d’air frais inespéré sans laquelle la France aurait explosé depuis bien longtemps, contrairement à ce que pensent tous les monomaniaques crispés tel que les zemmouriens et leurs nouveaux alliés, la gauche républicaine post-chevènementiste ou post-PS, eux-même alliés au… président Macron. 

 

Face à cette impasse de la bourgeoise française et d’un pan de la culture nationale à se détacher du management néolibéral des classes moyennes supérieures, qui cause justement ce « déclin français » que Zemmour ou Les Le Pen attribuent à l’arrivée de populations étrangères qui pour la plupart n’ont justement qu’une envie, celle d’apprendre cette langue que les français sacrifient eux-mêmes sur l’autel du profit et de l’argent. Actuellement, cela laisse à penser que le déblocage de cette situation et la résolution à ces défis ne viendront certainement pas de ces élites qui pensent tout savoir en manipulant les mots du marketing médiatique. La solution viendra par la base et éventuellement avec la collaboration de certains dirigeants. 

 

La République française pourra retrouver une certaine grandeur dans le monde et être fière de sa langue, de sa culture et de son histoire lorsqu’elle assumera enfin la conséquence et la responsabilité de ses actes envers ses partenaires et accueillera dans de bonnes conditions tous ceux qui sont intéressés à concourir à un intérêt général qui reste à définir. Pour le moment, vu les discours macronien et lepéniste, et même un peu la gauche parfois, obnubilés par des vieux fétiches hérités de l’empire républicain colonial, qui n’ont plus aucun sens et ont été travesti par un capitalisme managérial qui les agite dans tous les sens pour plaire à des identitaristes frustrés, nous en sommes encore très loin. 


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1 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 26 avril 2022 10:46

    Macron a été en grande parti élu par des traitres a leur plus profondes convictions .....

    Quand la gauche vote a droite elle ne mérite que le mépris .....

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