Méfions-nous du piège de la bulloblog
Les médias - le 4e pouvoir - sont en train de s’intéresser à ce phénomène qu’est le blog, espèce de journal politique intime partagé avec tout le monde. Journal qui donne l’occasion à quiconque de s’exprimer, donner son point de vue, partager ses idées. On peut croire alors pouvoir changer, si ce n’est le monde, au moins la France. Mais attention au piège de la bulle, cette chose qui rend euphorique beaucoup de personnes puis qui explose après. Ce 5e pouvoir n’est pas aussi puissant qu’on pourrait le croire.
Phénomène apparu à la fin des années 90 aux Etats-Unis, le blog (web log, ou bloc note si on fait la bête traduction française) a connu un véritable démarrage en France à partir de 2004. C’est comme un journal intime dans lequel on se confesse, mais qu’on partage avec les internautes. Le référendum du TCE a fournit une des nombreuses raisons pour créer un blog, et l’approche des élections présidentielles de 2007 donne une véritable dynamique pour que chacun puisse exprimer son opinion politique. Militants, élus, sympathisants, analystes, journalistes, néophytes... beaucoup de monde s’est créé un ou plusieurs blogs, individuel ou collectif, chacun prônant la liberté d’expression offerte par Internet... liberté illusoire. Car il est très facile de sombrer dans le diffamatoire et dans les insultes, surtout au niveau des commentaires, et la justice y a mis ses pieds. De nombreuses personnes ont été envoyées au tribunal à cause d’anonymes qui laissaient des commentaires illégaux et non censurés. La modération est intervenue, parfois allant même jusqu’à de la censure inutile et frustrante.
Malgré tout, les entreprises se sont intéressées au phénomène et un marché s’est ouvert. Et les journalistes se sont emparés du sujet.
Pensez-vous pouvoir influencer le cours des choses ? Les blogs ont-ils leur rôle à jouer dans la campagne présidentielle ? Croyez-vous en la campagne sur Internet ?
Ces questions montrent l’intérêt médiatique que représentent les blogs, cette curiosité du citoyen-observateur qui se confie aux internautes. On parle des blogs dans les journaux, à la télévision, dans les radios. On parle des dénonciations, des vidéos-chocs, des révélations. Ca alimente le papier, ça fait de l’audimat et ça rapporte de l’argent. On feint de s’intéresser aux blogs, on donne l’illusion de donner de l’importance à des gens qui investissent du temps. On fait croire que ça peut changer le monde. Mais plusieurs blogs peuvent-ils impacter la vie réelle ? On dit que la fermeture de 20 blogs sur 22 de la ville d’Asnières-sur-Seine (92), toute formation politique confondue, aurait suffi à Nicolas Sarkozy pour ne pas venir à la galette de l’UMP organisée par le maire, Manuel Aeschlimann, à cause de la politique qu’il mène dans sa ville. Est-ce la véritable raison ?
On appelle cette faculté d’influencer le cours des choses le 5e pouvoir.
Le terme "cinquième pouvoir" a été lancé par Therry Crouzet dans son blog Le peuple des connecteurs (Le cinquième pouvoir), avant de le publier. Il le définit ainsi :
CINQUIÈME POUVOIR [sëkjem puvwaR] nom masculin (2003 ; Ignacio Ramonet ; Le Monde diplomatique) Ensemble des citoyens, organisés grâce aux nouvelles technologies de communication, qui contrebalancent le quatrième pouvoir, celui des médias et par extension du business, qui lui-même contrebalance les trois pouvoirs traditionnels : législatif, exécutif et judiciaire. Le cinquième pouvoir s’est montré pour la première fois au grand jour en 2005, en France, lors du référendum pour la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe.
Le 5e pouvoir se situe après les médias (le 4e pouvoir). Mais il est faillible et peut finir, comme le 4e, corrompu et manipulé.
Comme
ce livre vient de paraître (le 18 janvier) et que je n’ai pas beaucoup
de temps libre, je ne l’ai pas lu et je ne suis pas prêt de le lire
avant plusieurs mois.
Dans l’état actuel de mes connaissances sur ce livre, et par rapport à mon sentiment personnel, j’estime que je n’y crois pas.
Je
n’y crois pas car ce 5e pouvoir ne peut pas s’exprimer sans l’aide du
4e, les médias. Je considère que les blogs constituent plus un
argument de contre-pouvoir qu’autre chose.
En fait ça me fait penser à un livre que j’ai lu il y a quelques années maintenant, Le culte de l’internet. Une menace pour le lien social ?, de Philippe Breton, qui donne une analyse assez précise de ce que représente Internet. En particulier l’aspect réseau social universel prêt à changer les habitudes et à découvrir de nouvelles expériences philosophiques. Mais l’intérêt de cette démarche est d’être connue. Connue non pas par une minorité de personnes éclairées, mais par la majorité des Français. Pour ça, il faut que les blogs politiques trouvent un écho dans les médias traditionnels, afin que les messages soient relayés. Sans ce relais, la majorité de la population ne pourra être mise au fait. On aura beau dire tout ce qu’on veut, diffuser toutes les vidéos et autres sons qu’on voudra, tant que ça reste dans le virtuel, l’impact sera minime (peut-être même négligeable) ; il faut passer à du réel, du concret. Un autre mode de diffusion est le bouche-à-oreille (famille, amis, collègues, voisins...), mais là aussi l’impact est minime.
Aujourd’hui
on fait un "buzz", un bruit incroyable autour des blogs et des
fantasmes qu’ils peuvent apporter à la politique française. Des
enquêtes peuvent également aller dans ce sens, et conforter beaucoup de
blogueurs dans leur croyance, leur égo. J’estime qu’il n’en est rien.
Comme je l’ai dit, sans les médias traditionnels il n’est pas possible
d’atteindre un large public. Il suffit de demander à des passants, aux
passagers des transports en commun, ou plus simplement à son entourage
s’il connaît Loïc Le Meur, Versac, La République des Blogs ou AgoraVox.
Au mieux les gens connaissent le site de Ségolène Royal
(desirdavenir.org). Mais guère plus. Donc comment peut-on parler d’un
5e pouvoir ? Comment peut-on dire que les blogs vont changer la
politique française ? D’autant plus que la qualité des articles se
retrouve dégradée par les attaques des partisans dans les commentaires,
ce qui rend ce monde encore plus confus.
Il faut garder les pieds sur terre. Tout le monde n’a pas Internet. Tout le monde n’a pas une connexion haut-débit ADSL/Câble/Satellite/Fibre optique/Wimax (et je dois en oublier), et la majorité des gens qui vont sur Internet ont peut-être d’autres choses à faire que lire des blogs politiques. Evitons le piège de la bulle des blogs (peut-on parler de la "bulloblog" ?). Evitons de faire gonfler les égos jusqu’à ce que la bulle éclate. Un jour viendra où seuls les blogs les plus importants survivront, les autres périront à petit feu dans l’indifférence grandissante.
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