Michèle Vianès : “La laïcité : un bouclier pour les femmes face au patriarcat théocratique”
Michèle Vianès* est interviewée par Hamid Zanaz, auteur de « L’islamisme vrai visage de l’islam » , éd. de Paris/ Max Chaleil, 2012.
hamid zanaz : En 2004, vous avez tiré la sonnette d’alarme par votre livre “Les islamistes en manœuvre, silence on manipule ». Huit ans après, quel est l’état des lieux ?
Michèle Vianès : Depuis 2004, la présence des islamistes dans les espaces aussi bien privés que publics et collectifs se multiplie et se manifeste partout en France, du petit village à la grande ville, du commerce de proximité ou du supermarché à prix réduit au grand magasin de luxe. Ceci dans une indifférence inouïe de celles et ceux qui se considèrent comme l’intelligentsia. L’exhibitionnisme vestimentaire s’est développé. Dans son aspect d’enfermement, il concerne les femmes : objet sexuel qui doit être entièrement caché dans l’espace public et perdre toute identité. Mais l’exhibitionnisme vestimentaire concerne également les hommes et les garçons : la taille de la barbe et le port de la djellaba. Avec un discours très formaté pour éviter un renvoi du collège ou du lycée : ce serait une tenue traditionnelle.
Mais pourquoi, selon vous ?
Ceci est fait pour choquer, provoquer des réactions. Dès qu’une personne réagit l’accusation d’islamophobie fuse. Comme si le blasphème était un délit dans la République Française ou comme si l’islam était une personne. L’islam n’est pas une personne, mais une religion. Donc toute accusation de racisme contre « l’islam » ne tient pas ! Seulement ces accusations reprises par les pseudo-intellectuels engendrent peur et tétanie. Ils appellent à la « tolérance », oublieux que la tolérance est le fait du prince (A le pouvoir de tolérer celui qui a le pouvoir d’opprimer) et capitulent face à l’aliénation des femmes aux diktats religieux imposés par les hommes, représentants des dieux sur terre. Ceci exacerbe l’ethnicisation des rapports sociaux et provoque l’enfermement « identitaire » qui dresse des murs au lieu de favoriser lien social et projet politique commun. On constate une peur de l’immense majorité des élus de la République, celle de ne pas être réélus. Le chantage est accepté. Les rares maires qui affirment qu’il peut y avoir un sapin de Noël dans leur ville, que dans les écoles publiques, la nourriture religieuse est strictement interdite puisque cela signifie payer des taxes religieuses, oubliant qu’il n’y a que l’État en France qui peut lever des taxes, celles et ceux qui tout simplement appliquent la laïcité, principe constitutionnel de la République, sont considérés comme courageux. Renvoyant tous les autres à leur lâcheté. Le dernier exemple en date : jeudi 29 novembre, la ville du Havre a détruit 8 500 mousses au chocolat destinées aux cantines scolaires. Du personnel municipal aurait signalé qu’il y avait un « dérivé de gélatine de porc » et de peur d’une « éventuelle crise », la mairie a pris la décision de priver tous les enfants de leur dessert gourmand, « pour ne pas déplaire aux personnes de certaine confession » selon un élu (d’opposition), radical de gauche. Dans le même temps, en France, les restos du cœur et autres banques alimentaires sont submergés par les demandes d’aide de populations pauvres. Cette soumission des élus est intolérable. La laïcité demande à chacun un effort sur soi. Le lien civique a la prééminence sur tous les particularismes historiques ou religieux, sur les solidarités domestiques locales ou claniques. La loi est la même pour tous et toutes. Pas de droits différenciés selon le sexe, l’appartenance à une religion, une idéologie ou à une profession. Comment s’étonner ensuite que les agents publics n’osent plus rappeler les règles du vivre ensemble face à l’intérêt et la surenchère de groupes communautaristes ? Cette ségrégation cristallise les différences et érige des murs entre les groupes. L’espace public est morcelé. Il n’y a plus émergence de principes communs supérieurs aux valeurs individuelles, plus de mixité entre les groupes, les mariages restent endogamiques. Des éducations particulières divisent les enfants et les jeunes avant d’opposer les adultes. J’écrivais dans « Un voile sur la République », Stock, 2004 « Si une religion réussissait à naufrager la République, combien d’autres, et combien de sectes, se « résigneraient », avec une douce violence à jouer les pilleurs d’épave. » C’est ce que nous voyons par rapport au mariage pour tous. Qu’il y ait un débat éthique est tout à fait normal, par contre que les religieux se mêlent du mariage « civil » est totalement inconséquent. Il est donc indispensable, aujourd’hui de n’être ni dupe ni complice du discours englobant de tous les fondamentalismes religieux, négation de l’autonomie de l’individu. Il convient au contraire de rappeler le principe de la laïcité. La laïcité organise l’espace politique qui repose sur la liberté de penser et d’expression, sur l’égalité en droit et en dignité des options philosophiques ou croyances religieuses et sur la neutralité de l’action publique. L’impartialité dans la garantie de croire, de ne pas croire ou de douter et pour toutes les confessions de pouvoir exercer librement leur culte, sous réserve de ne pas attenter aux libertés d’autrui, ni troubler l’ordre public impose à l’État et aux collectivités territoriales, aux agents des services publics et à leurs usagers, la neutralité vis-à-vis de toutes les religions et surtout l’indifférence, garantie des libertés publiques
Certains parlent d’une laïcité ouverte, d’autres parlent d’une islamophobie, d’autres commencent à remettre en cause ouvertement la laïcité à la française. Certains vont même jusqu’à se demander si les musulmans pourraient un jour s’intégrer, et accepter la logique de la sécularisation ?
Ajouter un adjectif au terme laïcité, c’est la déqualifier. C’est surtout montrer son ignorance, volontaire ou non, de ce principe universel, ciment qui permet aux différents groupes qui composent nos sociétés modernes de vivre ensemble par delà les différences. Refuser la laïcité, cela signifie refuser de respecter les lois votées par les représentants du peuple, femmes et hommes qui vont privilégier l’intérêt général sur les divers intérêts particuliers. Qu’elle protège ou qu’elle punisse, la loi doit être la même, pour tous et toutes. Les droits sont reconnus à l’individu et non au groupe particulier dans lequel il peut se reconnaitre à tel ou tel moment de sa vie. Cela permet à chaque personne de multiplier ses identités parallèles et successives, en évitant les conflits psychiques. Quant au terme d’islamophobie, je rappelle Taslima Nasreen : « L’islam n’est pas une personne avec un cœur et des sentiments. La lutte contre l’islamophobie est un instrument au service des islamistes » « En tentant d’assimiler la critique des religions à la « diffamation » ou au « racisme », ce texte signe l’arrêt de mort de la liberté d’expression – une liberté fondamentale dont découlent toutes les autres formes de liberté » ? (Se) Poser la question de savoir si les « musulmans » pourraient s’intégrer dans une société laïque ou accepter la logique de la sécularisation est du racisme. Cela signifierait que les personnes de confession ou de filiation musulmane n’auraient pas la capacité à s’émanciper de toute tutelle oppressive, à être aptes à juger et capables de vouloir. C’est accepter l’idée que « les musulmans » seraient identiques et réduire chaque personne à un unique groupe d’appartenance. Or chacun appartient en fait à plusieurs univers culturels et participe, dans sa singularité de sujet, à la communauté nationale. Mais le communautarisme est une réalité en Europe..
Le culturalisme empêche le vivre ensemble. La confusion volontaire entre culture et tradition permet d’enfermer les membres des différents groupes. Le respect du groupe empêcherait tout échange avec les autres, ce serait trahison. Réclamer une tolérance non-réciproque, propager l’idée que toutes les opinions se valent, laisser les responsables ethniques ou religieux autoproclamés dire ce qui est licite ou illicite à leurs ouailles, est la négation des Lumières, de la notion d’intérêt général supérieur aux intérêts particuliers des États modernes. L’interculturel ne peut se passer de l’adhésion à des principes et des valeurs ni faire l’économie du conflit : c’est à travers le débat que peut se dégager une cohérence, un accord sur une politique publique commune qui concilie universalité et individu particulier. L’interculturel est l’éducation à la solidarité internationale et non l’enfermement dans des traditions archaïques. L’universel désigne ce qui est commun à tous les êtres humains, l’aptitude à penser, aimer, souffrir, en relativisant les particularismes. Il n’est pas la négation du particulier, mais permet d’émanciper chaque personne de toute tutelle oppressive et d’assumer le particulier de façon non fanatique. C’est penser les conditions de la concorde, alors que les particularismes s’ils veulent s’imposer comme identité collective sont exclusifs : coutume contre coutume, croyance contre croyance. Quant au climat que vous évoquez, la victimisation obscurantiste est utile à ceux qui veulent cristalliser les haines et empêcher l’émancipation et l’autonomie des individus pour imposer leur vision politique du monde. La laïcité est insupportable aux ennemis de la liberté de conscience. Elle reconnait à chaque personne la capacité à se construire librement, à être responsable de ses actes et, jusqu’à la fin de ses jours, à pouvoir se redéfinir.
*Michèle Vianès est Présidente de « Regards de Femmes », association créée en 1997, qui œuvre pour l’égalité en droit entre les hommes et les femmes. (www.regardsdefemmes.com) • Conseillère Municipale déléguée à l’égalité hommes – femmes de Caluire et Cuire (Grand Lyon). • Vice-présidente de l’Association des conseillères et conseillers municipaux du Rhône. • Secrétaire Générale de la « Coordination française du Lobby Européen des Femmes », association loi de 1901 avec statut consultatif au comité économique et social de l’ONU, élue en juin 2006, • Nombreux articles sur la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes (Tribunes dans la presse écrite : Le Monde, Wolkskrant, etc., les journaux en ligne Europe&us, Respublica, etc.), sur les communautarismes (définis par 7 critères), sur l’école face à l’ethnicisation des rapports sociaux, etc. • Membre du Conseil d’administration du CIDFF (centre d’information des femmes et des familles) du Rhône. • Marraine de Ni Putes Ni Soumises et fondatrice du comité local NPNS du Grand Lyon et Rhône. • Ø Auteure de « Un voile sur la République » Stock (janvier 2004) et de « Les islamistes en manœuvre Silence, on manipule » Editions Hors Commerce (novembre 2004).
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