Mille feuille territorial : sortir des débats passionnés
Lorsqu’on parle de simplifier le mille-feuille territorial, on s’attire généralement les foudres des tenants du statu quo communal, départemental ou régional qui trouvent chacun des vertus ou des défauts à chaque niveau d’administration locale, au nom du clocher, d’une référence à la révolution ou bien d’un supposé rôle de cheval de Troie d’une Europe fédéraliste.
A partir de là, le débat est clos parce que passionné et il n’aborde jamais des éléments chiffrés ou d’organisation qui seraient à même d’éclairer les citoyens et de juger sur pièces pour enfin conclure que, soit c’est bien comme ça, soit que ce serait tout de même bien de simplifier un dispositif bien opaque pour beaucoup qui, par ailleurs, sont quasi unanimes pour dire qu’ils payent trop d’impôts
De quoi parle-t-on ?
On parle des collectivités territoriales administrées par des élus et non pas des services de l’Etat qui ne sont pas l’objet de cet article. Ces collectivités territoriales sont regroupées en un bloc communal très important composé des communes de communautés de communes et de syndicats. Il y a également 101 départements dirigés par les Conseils Départementaux et 18 Régions dirigées par les Conseils Régionaux. A ce stade, le nombre d’entités ne permet pas de conclure que c’est uniquement dans le bloc communal qu’il faudrait rationaliser. Pourtant, le système de double étage du bloc communal entre communes et communautés de communes semble ne pas convenir à tous les Maires qui voient leur pouvoir de décision dilué. La Cour des Comptes observe une répartition des tâches encore souvent trop confuse et pas toujours performante entre ces deux opérateurs, avec, bien évidemment des doublons qui impactent les budgets.
Nombre de structures 1/01/2022 |
Bloc communal |
Départements |
Régions |
Total |
Communes |
34 951 |
|
|
|
Intercos fiscalité propre |
1 255 |
|
|
|
Syndicats (SIVOM, SIVU,…) |
8 882 |
|
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|
Départements |
|
101 |
|
|
Régions |
|
|
18 |
|
|
45 088 |
101 |
18 |
45 207 |
Les mandats
Il est logique que le nombre de mandats du bloc communal soit le plus important du fait du nombre de communes et de structures syndicales. On ne parle en nombre d’élus dans le bloc communal puisque les 66015 mandats exercés dans les intercommunalités le sont par des élus municipaux désignés qui possèdent une double casquette. Par contre, mandat et nombre d’élus sont identiques pour les Départements et les Régions.
Nombre de mandats |
Bloc communal |
Départements |
Régions |
Total |
Communes |
500 819 |
|
|
|
Intercos fiscalité propre |
66 015 |
|
|
|
Départements |
|
4 056 |
|
|
Régions |
|
|
1 927 |
|
|
566 834 |
4 056 |
1 927 |
572 817 |
Les dépenses
Classiquement les dépenses concernent le fonctionnement des collectivités, (salaires versés aux personnels, les dépenses de fournitures et de consommations diverses, les loyers versés ou bien encore les indemnités des élus…), ainsi que l’investissement qui concerne notamment les dépenses de construction de bâtiments (écoles, centres sociaux, équipements sportifs, collèges. lycées,…)
Depuis la décentralisation, les dépenses de fonctionnement, notamment les charges de personnel ont progressé trois fois plus rapidement que les dépenses d’investissement, mais cela est dû en partie au transfert de dépenses de fonctionnement de l’Etat vers les collectivités locales (salares des personnels de collèges et lycées et d’entretien des routes), sans doute aussi aux doublons signalés plus haut entre communes et communautés de communes et à la « réforme » des Régions qui s’est traduite par un alignement vers le haut des primes et indemnités des salariés et des élus.
Dépenses (Md€) |
Bloc communal |
Départements |
Régions |
Total |
Dépenses de fonctionnement |
99 |
58 |
23 |
179 |
Dépenses d'investissement |
33 |
11 |
13 |
57 |
Totaux |
132 |
69 |
36 |
237 |
Les recettes
Les principales recettes des collectivités proviennent des impôts reversés par l’Etat (foncier bâti ou non bâti, Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, imposition forfaitaire des entreprises de réseaux,…) (TVA, TICPE, Droits de mutations à titre onéreux, en particulier) ainsi que de la Dotation Globale de Fonctionnement. On notera que c’est l’Etat qui vote les impôts et les taxes et que par conséquent, il peut décider à tout moment d’en supprimer un (la taxe d’habitation, par exemple). A noter enfin que Les droits de mutations (frais de notaire) étant tributaires de l’activité économique du secteur de l’immobilier, l’effondrement actuel de cette recette des Départements pose un gros problème aux Conseils départementaux.
Il est permis de penser que la volatilité des recettes des collectivités ne permettant pas une vision stable à moyen et long terme, les politiques d’investissement des collectivités deviennent plus ou moins la variable d’ajustement des assemblées élues du fait du manque d’élasticité des dépenses de fonctionnement.
Principales recettes (Md€) |
Bloc communal |
Départements |
Régions |
Total |
Impôts et taxes |
84 |
48 |
25 |
157 |
Dotation de l'Etat (DGF) |
18 |
8 |
|
27 |
|
102 |
57 |
25 |
184 |
Les principales dépenses
Il ne s’agit pas de retrouver la somme de 237 Milliards d’euros notée dans un précédent tableau mais de s’intéresser à des dépenses présentées par fonction. Cette analyse porte sur un montant significatif de 176 milliards d’euros. La lecture de ce tableau est très instructive puisqu’elle permet dans une optique de simplification du mille-feuille de mettre le doigt sur les chevauchements entre collectivités de compétences qui pourraient être exercées par une seule. C’est le cas pour les collèges par les Départements et les lycées par les Régions dont le regroupement ne présenterait aucune difficulté. Même chose pour les transports et infrastructures de transport.
On notera enfin que les départements, s’agissant de la politique sociale, exercent simplement une fonction de sous-traitant pour le compte de l’Etat qui est en premier lieu responsable de la situation sociale du pays. Il serait donc, dès lors, logique qu’il reprenne à son compte l’entièreté de ces politiques (Santé action sociale, RSA et APA), ce qui leur donnerait de la cohérence et préviendrait mieux des tentatives de dérives (type Orpéa).
Notons aussi que l’opportunité de dépenses d’investissement peut poser question. Elles peuvent procéder du tape à l’œil électoraliste plutôt que de la réduction des dépenses de fonctionnement par la rénovation énergétique des bâtiments de la collectivité par exemple. Par ailleurs les entreprises locales sont un formidable outil de pression afin d’obtenir le remplissage de leurs carnets de commandes.
Principales dépenses |
Présentation fonctionnelle |
|
||
Fonct et Invest en Md€ |
Bloc communal |
Départements |
Régions |
Totaux |
Services généraux |
21,2 |
6,1 |
2,7 |
|
Sécurité |
3,1 |
2,9 |
0,1 |
|
Enseignement |
11,4 |
5,9 |
8,4 |
|
Formation Professionnelle |
|
|
3,1 |
|
Culture |
5,3 |
1,9 |
1,2 |
|
Sports Loisirs Jeunesse |
7,4 |
|
|
|
Santé Action sociale |
8,3 |
23,6 |
0,9 |
|
RMI/RSA/APA |
|
17,4 |
|
|
Envir. Aménag. Sces Urbains |
7,9 |
2,6 |
2,1 |
|
Transports et infra de Transport |
6,4 |
7,0 |
11,5 |
|
Gestion Fonds Européens |
|
|
2,2 |
|
Action économique |
0,8 |
1,1 |
3,0 |
|
Autres |
|
0,1 |
0,1 |
|
|
71,8 |
68,6 |
35,3 |
176 |
Les emplois des collectivités locales
C’est un sujet sensible, tant la gestion des ressources humaines n’intéresse que moyennement les élus qui y voient surtout un problème nuisible à leur image, surtout en cas de conflit social à l’approche d’une élection. Trop de fonctionnaires, pas assez ? Les deux sans doute, mais aussi des doublons créés lors de la mise en place des intercommunalités avec des ressources humaines non transférées et qui sont sous employées dans certaines mairies et aussi de nouveaux postes créés dans les intercommunalités pour le fonctionnement, ou bien la direction générale, voire le cabinet des élus dirigeants.
Emplois |
|
|
|
|
Communes |
1 135 900 |
|
|
|
Intercommunalités |
343 500 |
|
|
|
Départements |
|
345 700 |
|
|
Régions |
|
|
96 900 |
|
|
1 479 400 |
345 700 |
96 900 |
1 922 000 |
Les indemnités des élus
Pour l’exercice de leur mandat, certains élus perçoivent des indemnités qui sont majorées s’ils exercent une fonction de Président, Vice-Président ou de conseiller délégué. Les conseillers municipaux ne touchent aucune indemnité sauf si un partage d’enveloppe est organisé par le Maire et les adjoints. Au total, ce sont 2.215 Milliards d’euros qui seraient versés (difficile d’avoir un chiffre précis et de savoir si ce montant intègre les charges sociales payées par les collectivités…)
Indemnités des élus (Millions d’euros) |
|
|
|
|
Communes |
1 500 |
|
|
|
Intercommunalités |
500 |
|
|
|
Départements |
|
150 |
|
|
Régions |
|
|
65 |
|
|
2 000 |
150 |
65 |
2 215 |
En conclusion, on constate de nombreux dysfonctionnements dans l’édifice du mille-feuille. Ils tiennent surtout à l’incapacité des élus à remettre en cause leur fonctionnement afin de préserver leur statut et leur mandat (et le fonctionnement des partis politiques), et à leur très grande porosité à l’égard des lobbies professionnel et associatif.
Pour autant, il n’est pas interdit de penser que le Conseil Départemental est le maillon faible de cet édifice complexe et coûteux et que sa disparition au vu de l’analyse de ses compétences qui précède pourrait être envisagée sans que cela entraîne de grands bouleversements dans le paysage territorial du pays et au mode de fonctionnement de terrain, mais au contraire à une clarification politico-administrative.
Le gain issu de la suppression de l’ensemble des mandats de conseiller départemental (150 Millions d’euros) ne comprend pas les frais de fonctionnement de ces assemblées (communication, cabinets, direction générale, frais de réception, chauffeurs et voitures et autre collaborateurs ad hoc,…) et dépasserait sans doute le Milliard d’euros au final.
Quant au concept de « conseiller territorial » qui siègerait à la Région pour représenter les départements, ce n’est rien d’autre qu’une tentative désespérée de recyclage de l’ensemble des élus qui bloquerait le fonctionnement des assemblées régionales en les transformant en champ clos de boutiquiers réclamant des subventions pour leurs cantons.
Le bloc communal demanderait à être revu pour assurer davantage de fluidité entre ses deux étages et peut-être en créant le lien avec les Régions dont on s’interroge toujours sur le découpage effectué en 2016.
Sources :
https://www.budget.gouv.fr/panorama-finances-publique/administrations-publiques-locales-apul
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