Peut-on croire en la Démocratie en France ?
La démocratie est belle. Elle doit être préservée à tout prix et elle est défendue à travers le monde comme étant le seul modèle politique viable. Et pourtant, en France, la démocratie est, à juste titre peut-être, « un problème ». Ce « problème » (1) est expliqué par l’Histoire (2), de même que par une méfiance de l’élite vis-à-vis du peuple (3), et enfin, et finalement c’est l’explication la plus gênante, par une volonté de conserver une société de privilèges (4). Je m’explique.
1. LES DONNEES DU PROBLEMES
‘Le Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple’
La doctrine démocratique d’A. Lincoln a de quoi faire rêver. Elle propose un monde où tous les individus d’une même nation, d’une volonté commune et accordée, ferait la Loi.
Pourtant, dans notre Ve République, la réalité est tout autre.
Tout d’abord, pour une raison logique, dit-on, la démocratie n’est pas directe. Autrement dit, le peuple ne fait pas la Loi lui-même (par référendum, fait possible mais extrêmement rare : 3 fois sous la Ve République). Il élit directement ou indirectement des représentants permanents chargés de le représenter, de porter ses idées au sein d’un collège. En France, il y a deux collèges élus : un directement, l’assemblée nationale, l’autre indirectement, le Sénat. (Art. 24 de la Constitution du 4 oct. 1958). En principe, les deux assemblées sus-présentées adoptent ensemble les textes de Loi. Il faut noter toutefois que l’Assemblée nationale, du fait de son élection directe, a une certaine prééminence sur le Sénat. En clair, elle a le dernier mot.
A propos de la Démocratie indirecte, on pourrait se dire que faire la Loi à 40 millions, c’est un peu difficile. Déjà, à 925 (députés, 577 et sénateurs 348), cela doit ne pas être facile.
Là, où sa coince un peu, et l’Histoire viendra nous aider à comprendre pourquoi. C’est le problème du qui « fait la Loi », c’est-à-dire, qui la conçoit. En France, les députés et sénateurs peuvent présenter des Lois qu’ils ont conçues eux-mêmes (Ce sont des propositions de Loi, généralement arrêtées par une Commission des Lois (Finances, Affaires sociales, …)) Pourtant, le fait est rare. Et le monopole de l’ « initiative » des Lois, où plutôt de la conception des Lois, revient en théorie et en pratique (80% des Lois) à l’exécutif (soit, théoriquement, le Gouvernement, et en pratique, le Président de la République). Le fait est accru lorsqu’il s’agit des Lois de finances et de financement de la Sécu. Le gouvernement peut même les adopter par voie d’ordonnance en cas de « tardivité d’adoption » (plus de 50 jours sans s’être prononcé) par le législateur.
Enfin, et c’est le fait le plus notable qui souligne « la méfiance française » envers la démocratie, le Constituant de 1958 a adopté l’art. 34 de la Constitution. Celui-ci délimite rigoureusement le domaine où les représentants du peuple peuvent « ouvrir leur bouche » et « faire marcher le buzzer. » Plus sérieusement, adopter la Loi.
Heureusement, pardi, le domaine de la Loi est plutôt vaste. Ouf. Mais quand même, l’art. 37 de la Constitution, laisse au Gouvernement un domaine vaste pour agir seul, c'est-à-dire, agir sans passer par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat). En effet, le Gouvernement peut agir dans tous les domaines qui ne relèvent pas de la Loi.
Relativisons un peu, un tout petit peu : Le Gouvernement tire sa légitimité du Parlement. Il peut être renversé par ce dernier, par voie de motion de censure. Double ouf ! Plus clairement, le Gouvernement n’a pas intérêt de faire n’importe quoi s’il tient à son grade !
En revanche, l’autre visage de l’exécutif ne peut être renversé par le Parlement : le Président. Ce dernier est inamovible durant les 5 ans de son mandat. La raison est simple : il est élu directement par un collège de 40 millions d’électeurs, grosso modo le peuple*. Et n’est donc responsable que devant lui. En clair, si le peuple en a marre du Président, la seule solution pour lui est d’aller chercher les piques et le bûcher et de faire la révolution contre lui. Un peu délicat quand on est un « peuple éclairé ». Mais qui sait…
*(moins les citoyens mineurs et ceux privés de leur droit de vote par décision de justice)
Le Président de la République a un grand pouvoir. Il peut menacer les parlementaires grâce à son arme politique la plus puissante : la dissolution (arme instable toutefois qui peut se diriger contre lui, exemple : la dissolution du 21 avril 1997, faite par J. Chirac). Ainsi, il va de soi que, au parlement, l’avis du Président, surtout quand on est du même parti politique que lui, a son importance.
En outre, le plus grand pouvoir du Président réside dans l’art. 16 de la Constitution (une bombe à retardement). Le Président, s’il sent que l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu (bref, que ça sent mauvais et que ça fait suer), peut s’auto-déclarer (après avoir transmis un message courtois au Premier ministre, aux présidents d’assemblée et au Président du Conseil constitutionnel) Roi des français et prendre toutes les mesures qu’il veut. Il a les pleins pouvoirs. Même si on avait pensé à supprimer une telle aberration de la Constitution en 2008 (dernière réforme constitutionnelle en date), on l’a gardé. Il est vrai qu’en temps de Crise, il ne faut surtout par faire confiance au Peuple. (Ndlr : on a vu ce que ça donnait en 1789 !)
En conclusion, si l’on regarde l’ensemble de la Constitution, le peuple n’est pas vraiment le « souverain » et dieu sait que le constituant veut nous faire croire le contraire. (« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum », art. 3 de la Constitution) La Pratique constitutionnelle et politique renforce l’idée que le peuple ne fait pas du tout la Loi, mais alors pas du tout la Loi dans ce pays…Mais ça je ne sais pas si on en doutait vraiment ?
2. LES EXPLICATIONS HISTORIQUES
Si l’exécutif est si prééminent en France, et que la Démocratie semble un peu « mise de côté », il y a plusieurs raisons historiques.
En premier lieu, la France a un passé dominé par des exécutifs puissants. Rappelons-nous les cours d’Histoire, l’absolutisme royal a connu ses belles heures en France. Louis XIV voulait tout dominer. Les Rois voulaient tout avoir sous contrôle. Ils ne voulaient pas de l’avis du peuple, encore moins de ses représentants. Faire du débat, c’est trop long et ça prend du temps. Ca peut être couteux aussi. D’ailleurs, la preuve étant : la démocratie a mis du temps à se mettre en place en France (la France a connu environ 10 régimes politiques entre 1789 et la Ve République quand les USA n’en ont connu qu’un seul)
Ensuite, dans une Histoire plus proche, la France et notamment les concepteurs de la Ve république (Charles De Gaulle et Michel Debré), ont été traumatisés par la IVe république, plus faiblement par la IIIe aussi. En effet, sous la IVe république, les constituants (que l’on a forcé un peu : deux référendums d’adoption quand même !) avaient mis en place un régime parlementaire autocentré sur le Parlement (trop de pouvoir dévolu à ce dernier : régime d’assemblée). L’instabilité gouvernementale était prégnante (renversements sur renversements des gouvernements par l’assemblée) et elle est désormais légendaire : 24 gouvernements pour trois législatures (formés et prêts à gouverner, 12 projets de gouvernement non aboutis), d’une durée allant de 1 jour à 16 mois maximum. En un mot, les constituants de la Ve République ont vu ce que ça a donné de laisser tout le pouvoir à la démocratie (indirecte toutefois) : beaucoup trop d’instabilité politique. Le « beaucoup trop » d’instabilité gouvernementale ne permet pas de gérer des crises, notamment celles algériennes (Guerre d’Algérie).
Enfin, les français ne sont pas aussi méfiant de l’exécutif que dans les autres pays (aux USA, c’est une phobie reconnue), ce qui a permis de laisser la Constitution en l’état (55 ans bientôt).
3. LA MEFIANCE DE l’ELITE VIS-A-VIS DU PEUPLE
(Je précise : ce paragraphe est clairement subjectif. Il n’engage que moi.)
Si la démocratie n’est pas pleinement mise en œuvre, c’est parce que le peuple n’est pas vraiment apprécié par l’élite dirigeante. Il y a plusieurs raisons à ça.
Tout d’abord (je me place d’un point de vue historique bien sûr) le peuple a longtemps été principalement constitué d’individus non « éclairés ». Autrement dit, la majeure partie de la population n’était pas éduquée (l’extrême majorité du tiers état, car il n’y avait pas de système éducatif réel). Ainsi, il était bien entendu compréhensible que débattre avec le peuple et soumettre des questions sensibles au peuple, c’était « suicidaire » pour les dirigeants et l’élite. Voilà, pourquoi, l’avis du peuple n’a pas été pris souvent (Etats généraux) sous la Monarchie.
L’autre raison, plus récente, est que le peuple est considéré comme étant une masse de passionnés, c'est-à-dire une masse d’individus guidés par leur seule passion et leurs seuls intérêts personnels. En gros, le peuple n’a pas la Raison raffinée d’un scientifique-politique (Sciences Po) ou d’un Enarque. En effet, ces pures sangs de la politique savent ce qu’est l’intérêt général et ont appris à servir avec toute la morale qu’il faut pour être « en haut » de la pyramide. On apprend d’ailleurs à Sciences po qu’il existe des partis politiques « populistes », qui exacerbent les passions du Peuple pour en tirer profit politiquement. Partis à combattre évidemment. C’est pourquoi, l’on voit souvent certains politiques brandir l’argument du « populiste » lorsqu’une mesure contrevient à certains de leurs intérêts ou ceux du « peuple » qui les soutient (une « communauté »). Pour autant, celui qui défend les intérêts d’un « certain » peuple, ou qui défend des intérêts « plus moraux », plus compatibles avec la morale de l’élite est « un démocrate »
Ainsi donc, le populiste est à combattre mais le démocrate est à diviniser. Bref, parfois je n’y comprends plus rien… Je comprends juste que ce n’est pas moi qui décide où va le pays (et peut être, tant mieux !)
4. UNE SOCIETE DE PRIVILEGES
Voilà, il faut rentrer dans le vif du sujet. Si la démocratie n’est pas pleinement effective, c’est parce que certains individus n’ont pas d’intérêts à cela.
LES MENSONGES DE LA DEMOCRATIE INDIRECTE
En France, en matière législative, nous sommes dans un régime qui privilégie le « suffrage à scrutin majoritaire ». Plus précisément, le peuple se prononce pour un courant politique, la place de ce courant politique à l’Assemblée nationale est amplifiée. Cela permet de dégager une majorité, et permettre une stabilité législative et éviter des coalitions difficiles à gérer. Seul hic : la composition de l’assemblée nationale n’est pas réellement représentative.
Par ailleurs, le peuple n’élit pas directement le Sénat, autre institution parlementaire. Ce sont les élus locaux (élus par le peuple théoriquement) qui élisent les sénateurs. Petit hic : les élus locaux bénéficient parfois eux même du fait majoritaire (grandes municipalités), et sont donc souvent peu représentatifs (voir les débats du scrutin d’élection du Sénat) Sans compter qu’il ya des villes de peu d’habitants qui ont plus de représentants que certains arrondissements de grande ville…
En fin de compte, nos « représentants » ne nous représentent pas tout à fait. Et en plus de cela, il y a encore des éléments qui noircissent le tableau.
Les Parlementaires se font souvent aidés dans leur décision. Les lobbys sont puissants aujourd’hui. Ils pèsent de tout leur poid sur le législateur. En matière économique, ils font généralement pression sur le législateur en menaçant de faire fuir les entreprises qu'ils représentent à l’étranger si le législateur ne décide pas ainsi, et ne fait pas comme cela. (Regardez l’épisode des « pigeons » dans l’actualité la plus récente…)
Aussi, autre fait notable, le parlement ne représente pas la diversité des citoyens. La diversité professionnelle à l’Assemblée nationale n’est pas un modèle. Par exemple, une part de 10% et plus env. de l’Assemblée nationale est composée de « profession libérale » quand seulement 1% de la population l’est effectivement. En bref, beaucoup de médecin et d’avocat, beaucoup de fonctionnaires, beaucoup plus que la population n’en compte, par exemple. Je ne vous laisse pas imaginer pourquoi certains privilèges professionnels sont faits par le législateur à certaines catégories de la population active.
En outre, la moyenne d’âge de l’assemblée nationale n’est pas semblable à la celle des français (40 ans pour les Français, 54 pour les députés. Cela signifie qu’il y a beaucoup de vieux, qui s’encroutent. Je ne souhaite pas m’embourber dans le débat sur les cumuls de mandat (notamment en durée) mais je n’en pense pas de bonnes choses. La démocratie a du mal à se renouveler. Les doctrines politiques d’aujourd’hui sont quasiment les mêmes qu’il y a 100 ans. Et la France joue à la politique avec une seule main : gauche ou droite. Et pourtant, quand on regarde plus près, ça ne veut plus dire grand-chose. Certains ont des idées très libérales qu’ils allient avec une teinte d’idées « sociales » et on les place quand même à gauche, on appelle ça « social démocratie »… Des fois, je me dis que c’est dure la politique.
Enfin, plus pragmatique encore, les représentants du peuple n’ont pas exactement les mêmes rémunérations mensuelles que le peuple. Leur salaire est haut et les indemnités de représentation de base (libre d’utilisation) élevées : 5 514,68 € net (plus de cinq fois le SMIC net). A titre indicatif, en France, le revenu médian est de 2300 euros environ (gros salaires comptabilisés), en sachant que les Français majoritaires vivent en dessous de 2000 euros par mois (une bonne partie)… Comme diraient les « populistes », ce n’est pas la crise pour tout le monde.
Les parlementaires jouissent de nombreux avantages (5 ans de retraites pour 1 an de service, véridique, et pourtant au Sénat, le retraite on la prend pas !) mais ce ne sont pas les seuls.
LES PRIVILEGES DU GOUVERNEMENT
On connait leur salaire grâce aux socialistes d'aujourd'hui. Le salaire des ministres a été baissé à environ 10 000 euros par mois. « C’est honnête et raisonnable », comparé à avant. Seul problème qui me chagrine : les ministres jouissent d’autres avantages : logements de fonction, indemnités de déplacements, privilèges de déplacement (réquisition)… Or, toutes ses dépenses logiques sont imputés normalement sur nos salaires, nous « en bas ». Nous, avec 1 500 euros et quelques, on paye notre logement, nos charges, nos frais de déplacement, … et à la fin il reste peu de chose comme salaire disponible « pour nous ». Je pense qu’on ne peut pas dire que c’est raisonnable d’avoir 10 000 euros de salaire disponible (après impôts) quand plus de la majorité des français vivent avec moins de 2000 euros. Et pourtant, les Français doivent faire des efforts…
Mais, pour en revenir à la démocratie, étant donné que les parlementaires jouissent d'avantages comparables, ils se taisent et évaluent peu la gestion des budgets gouvernementaux. Enfin, les parlementaires ont un budget (Sénat et AN ensemble) de quasiment 1 milliard d'euros. Donc, ils vont pas aller faire la morale.
Pendant ce temps, la démocratie est bafouée.
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