Plan autisme : le pire contre-attaque
Le 2 mai dernier, Mme Carlotti, Ministre Déléguée chargée des Personnes Handicapées, présentait officiellement le 3è plan autisme. Celui-ci était très attendu des associations de familles et très redouté des associations liées à la psychanalyse. Celles-ci multiplient les protestations dans la presse et par courriers au gouvernement, faisant tout pour faire capoter le Plan Autisme et surtout ses orientations : tourner le dos à la psychanalyse et au tout psychiatrique, et s'engager dans la voie des prises en charges éducatives, 40 ans après le reste du monde. Face aux autistes et à leurs familles, aujourd'hui, le pire contre-attaque.
Le plan autisme 2013-2017 en bref
Si l’on devait résumer le plan autisme 3 de Mme Carlotti, on pourrait le faire en 3 points :
1- Il est enfin acté officiellement que la psychanalyse n’a rien à faire dans le domaine de l’autisme et qu’il faut mettre en place les prises en charges éducatives
2- On initie une démarche de dépistage très précoce, dès 18 mois, suivie d’une intervention éducative précoce
3- Les formations professionnelles seront réformées et mises en conformité avec les connaissances scientifiques et les recommandations de la HAS ; un effort de formation important à destination des professionnels en place sera effectué.
Ces actions étaient réclamées depuis des années par les associations de familles (voir par exemple ce document qui détaille les demandes des associations d’usagers). Il y aurait donc lieu de se réjouir, d’autant plus que Mme Carlotti (aidée du député Gwendal Rouillard et ses collègues du Groupe d’Etudes Autisme de l’Assemblée) a bataillé ferme pour décrocher un budget de plus de 200 millions d’Euros, ce qui n’est pas chose facile en ces temps de crise. Surtout quand on se souvient de l’opposition vigoureuse d’une bonne partie de la psychiatrie française, très influente dans le milieu sanitaire et donc auprès de la Mme Touraine, ministre de tutelle de Mme Carlotti.
Reconnaissons que Mme Carlotti a fait de son mieux et a obtenu un résultat honorable. Cependant, comme le rappelle Daniele Langloys, Présidente de Autisme France, « on ne rattrapera 40 ans de retard avec 200 millions d’Euros. C’est un Plan Marshall qu’il aurait fallu ».
Dans le détail, de nombreuses questions, doutes et zones d’ombres sont à déplorer dans ce plan. Nous allons en lister les principales.
Et en détail :
Concernant le dépistage précoce, le plan prévoit de refondre le carnet de santé pour y inclure des items de dépistage de l’autisme lors des visites médicales du 9è et du 24è mois. Or, il existe depuis plus de 20 ans le test M-CHAT validé dès 18 mois, dont la pertinence a été vérifiée d’ailleurs récemment pour sa version française. Pourquoi ne pas l’avoir explicitement mentionné dans cette partie du plan autisme ?
Par ailleurs le plan prévoit de s’appuyer sur tous les professionnels de la petite enfance pour ce dépistage précoce : médecins de ville, enseignants, mais aussi services de la PMI et CAMSP. Or, est-il besoin de le rappeler, ces services sont très souvent peu voire pas formés ni compétents face aux les troubles envahissants du développement. Il n’est pas rare, même en 2013, de rencontrer dans des CAMSP des pédopsychiatres qui pensent encore que l’autisme est une forme de psychose liée à un problème relationnel avec la mère. Bien sûr d’autres centres relèvent nettement le niveau, comme celui de Gonesse (95) visité par Mme Carlotti lors de l’annonce du plan, qui fait figure de pionnier en la matière. Il va falloir donc sérieusement former, réformer et surtout convaincre ces professionnels d’appliquer ces mesures en conformité avec les recommandations de la HAS.
Concernant l’intervention éducative précoce devant prendre immédiatement le relais du diagnostic, le plan prévoit deux types de mesures : des réseaux rassemblant les CAMSP et des SESSAD dédiés, et des unités d’enseignement en maternelle, rassemblant au sein des écoles les enseignants et les éducateurs. On peut évidemment émettre les même réserves au sujet de la compétence actuelle des CAMSP et identifier le besoin clair de remise à niveau qui en découle. Mais c’est surtout la seconde idée qui provoque des réactions. L’idée d’accompagner les enfants autistes au sein des maternelles est constructive, elle est probablement inspirée de l’exemple belge. Les vrais problèmes sont ailleurs.
– les personnels formés à l‘accompagnement des enfants de 3 à 6 ans (typiquement l’ABA dans ses différentes « versions » et le TEACCH) ne sont pas légion : où va-t’on les trouver ? Va-t’on recycler des personnels formés « à l’ancienne » avec des formations bâclées en une semaine ?
– à l’inverse, le nombre d’enfants qui bénéficiera de ce dispositif sera très faible : quelques dizaines, avec dans quelques années une classe par département…
– …mais le piège redouté par les associations est surtout que ce dispositif pensé par Mme Carlotti pour favoriser l’inclusion scolaire ordinaire, se retourne contre les enfants autistes et soit transformé en dispositif d’exclusion. Compte tenu de la mauvaise volonté manifeste de nombre d’enseignants mais aussi de professionnels du médico-social à favoriser une réelle inclusion à l’école ordinaire, ces classes risquent de se transformer en antichambre de la CLIS ou de l’IME, au lieu d’être le tremplin vers l’autonomie que souhaite la Ministre.
On constate enfin que les adultes sont pris en compte, ce qui est une bonne chose, mais hélas avec trop peu de moyens et surtout, selon une vision dépassée de ce que devrait être une structure pour adultes. On parle surtout de création de maisons d’accueil spécialisées ou foyers médicalisés (MAS et FAM). Ce type d’établissement coûte cher et n’est pas adapté aux adultes autistes. Nous voulons voir créer des structures plus légères, comme des services d’accompagnement pour adultes semi-autonomes tels que les SAMSAH, et pour les autres s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, comme les appartements communautaires en Suède ou les foyers de la Division TEACCH aux USA, qui sont ouverts sur la cité. On a l’impression que la Ministre s’est dit en substance : « on peut encore sauver les enfants, donc on va miser à fond sur l’éducatif précoce pour les rendre le plus possible autonomes. Mais pour les adultes c’est trop tard, on va faire du palliatif, et reconduire les solutions actuelles… »
En résumé, le plus important dans ce plan c’est l’intention clairement affichée par Mme Carlotti de tourner la page de la psychanalyse, de mettre en place les méthodes éducatives recommandées par la HAS, et de généraliser l’application de ces recommandations. Il était plus que temps !
Ce qui est passé sous silence
Le plus révélateur du climat tendu dans lequel ce plan a été élaboré, c’est surtout ce qui n’y figure pas.
On constate déjà qu’une revendication fondamentale des associations n’a pas été retenue, malgré des demandes insistantes (et unanimes) de celles-ci : rendre les Centre Ressource Autisme indépendants des centres hospitaliers auxquels la plupart sont aujourd’hui rattachés. Ceci permettrait aux équipes de diagnostic d’y exercer en toute indépendance des services de psychiatrie, qui ne voient souvent pas du tout d’un bon œil l’évolution vers l’abandon des idées psychanalytiques et vers l’éducatif, l’inclusion scolaire et sociale. Ceci aurait aussi permis d’éviter la polémique autour de la mise à l’écart du CRA de Bretagne du Pr Eric Lemonnier, pourtant plébiscité par les familles pour son action en faveur des prises en charges éducatives et de la scolarisation en milieu ordinaire…
Et surtout, on peut facilement constater que le plan autisme ne parle nulle part du milieu sanitaire. On ne voit nulle mention des hôpitaux (psychiatriques) de jour, des CMP ou des CATTP, vers qui sont souvent orientés les parents d’enfants autistes. La plupart de ces centres sont encore animés par des professionnels formés à la psychiatrie « classique » et où prédomine une vision dépassée de l’autisme et des prises en charges non recommandées par la HAS (« atelier conte », « pataugeoire thérapeutique » par exemple).
Les associations de familles demandent depuis longtemps qu’au lieu de dépenser des fortunes en « prises en charges » inutiles, avec les frais de structure énormes du milieu hospitalier (jusqu’à 800€/jour de prise en charge en hôpital de jour), on réoriente les crédits vers le médico-social (SESSAD en particulier). L’infrastructure y est beaucoup légère et les coûts plus faibles, on peut donc plus facilement mettre en œuvre les accompagnements éducatifs recommandés, avec un adulte pour un enfant. Cette demande n’a pas été écoutée, tant elle dérangerait beaucoup de monde.
Au-delà de la question de la place de la psychanalyse, qui est en passe d’être définitivement tranchée, le prochain obstacle pour les familles sera donc de sortir leurs enfants du milieu psychiatrique, comme cela a déjà été fait pourtant dans d’autres pays (Suède, USA, Canada…), afin de leur offrir enfin le cadre éducatif dont ils ont besoin. La psychiatrie reste une spécialité utile dans certains cas, notamment pour le diagnostic initial et l’identification et le traitement de pathologies additionnelles ou associés. Mais elle n’a pas à dominer le champ de l’autisme, pour lequel l’éducatif est primordial, comme l’a entériné la HAS. En France, on en est encore très loin. L’influence du milieu sanitaire au sein du Ministère de la Santé est en effet notoire, cela se retrouve dans les non-dits du plan autisme.
Le pire contre-attaque
En 2012, la parution des recommandations de prise en charge de la HAS avaient déjà provoqué un tollé au sein des professionnels d’orientation psychanalytiques, dont beaucoup de psychiatres de renom, chefs de service de gros hôpitaux parisiens ou provinciaux. Ils avaient d’ailleurs trouvé des relais au sein de la presse traditionnellement « de gauche », en particulier Libération. La tempête s’était calmée pour deux raisons : d’une part, la mise au ban des prises en charges psychanalytiques avait été atténuée dans le document final à la suite d’un intense lobbying de dernière minute, d’autre part, ces « recommandations » n’ont pas force de loi.
Malgré tout, consciente du danger face à la remise en cause de ses dogmes, l’Association Lacanienne Internationale a déposé dès mai 2012 un recours au Conseil d’Etat exigeant le retrait des recommandations de la HAS. Le premier recours de l’ALI a été débouté. L’association a maintenant déposé un second recours devant le conseil d’état, sur une argumentation juridique, bien éloignée des enjeux de santé publique traités par la HAS... La décision du Conseil est attendue prochainement. Si l’ALI obtenait gain de cause il s’agirait d’un recul historique pour les personnes avec autisme. Tout le travail de la HAS, pourtant fondé sur la science internationale et effectué méticuleusement de 2010 à 2012, serait remis en cause. Avec cette fois-ci un climat de guerre ouverte qui ferait probablement perdre encore des années avant d’aboutir à un nouveau document. Des années de perdues à laisser les autistes français continuer de subir des prises en charge inutiles et coûteuses…
Et cette année, à la parution du plan, c’est l’éruption au sein du milieu psychiatrique et médico-social. De multiples « lettres ouvertes » sont publiées par divers professionnels, en particulier sur Mediapart. Libération n’est pas en reste et relaie encore une fois la question sous l’angle unique et partisan des psychanalystes. Mais l’apothéose a eu lieu le 1er juin dernier. Le « collectif des 39 » organisait en effet un meeting à Villejuif rassemblant les ténors habituels du mouvement. Durant ce meeting les habituelles grandes déclarations lyriques et idéologiques ont été proférées par les participants, et une pétition pompeusement appelée « l’appel des 1000 » a été mise sur pied. On note le soutien de partis politiques comme le NPA ou le PCF à cette pétition, fidèles à leur position idéologique et aveugles à la question de fond : comment mettre en œuvre ce qui aide les autistes et cesser de gaspiller inutilement l’argent public… On note également la réaction amusée de beaucoup de parents sur les réseaux sociaux : « C’est pratique », disent-ils. « Grâce à cette pétition, on sait tout de suite quels professionnels on n’ira pas voir pour notre enfant ». On note surtout le caractère corporatiste de cette pétition, dont plus des trois quarts des signatures émanent de professionnels de la psychiatrie ou de la psychanalyse.
Mais il ne faut pas se leurrer : ces gesticulations qui pourraient être comiques, ne sont que la partie émergée de l’iceberg du lobbying. Les actions menées par les divers professionnels et mouvements hostiles au plan autisme et aux recommandations de la HAS se poursuivent massivement au sein du Gouvernement pour tenter d’infléchir le cours des choses. A tel point que le Député (PS) Gwendal Rouillard et ses collègues du groupe d’études « Autisme » de l’Assemblée Nationale ont dû récemment publier un communiqué de soutien à Mme Carlotti et à son plan. Pour leur part, les associations de familles lancent une pétition de soutien aux orientations du plan autisme et pour l’application des recommandations de la HAS (disponible ici). Ceci afin que les pouvoirs publics prennent conscience que les psychanalystes ne représentent qu’eux-mêmes et pas ceux qu’ils sont censés aider…
On comprend le casus belli actuel : la principale avancée du plan, c’est bien de donner force de loi aux recommandations de la HAS, ou presque. En effet, d’une part on affiche clairement que seuls les établissements disposés à évoluer dans ce sens recevront des crédits du Plan Autisme, d’autre part on impulse une réforme des formations professionnelles qui à terme mettra les formations des psychiatres, psychologues et éducateurs en conformité avec les recommandations. Eliminant de fait la possibilité d’une « relève » pour les professionnels de l’autisme actuellement en place et attachés aux idées psychanalytiques…
La mise en œuvre de ce plan signifie donc le commencement de la fin pour la mainmise des psychanalystes sur l’autisme. Et à terme également la fin de la prédominance de la psychiatrie sur la prise en charge de ce trouble. Pour les autistes, ce plan signifie le début d’une évolution salutaire attendue depuis 40 ans, qui en mettra encore sans doute 10 de plus avant d’aboutir et de rattraper le niveau de qualité des autres pays. Le Gouvernement et Mme Carlotti doivent tenir bon, faire preuve de courage politique, et maintenir ce plan et ces recommandations contre les attaques violentes dont ils sont l’objet. Face aux intérêts corporatistes, face aux idéologies désuètes, c’est le bien général des 600000 autistes de notre pays qui doit primer.
Notre collectif invite donc tous ceux qui veulent soutenir les autistes et leurs familles à apporter leur soutien à la pétition des associations.
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