Polémiques indécentes sur la libération de Sophie Pétronin
« Sophie Pétronin est libre. Retenue en otage depuis près de quatre ans au Mali, sa libération est un immense soulagement. À sa famille, à ses proches, j’adresse un message de sympathie. Aux autorités maliennes, merci. Le combat contre le terrorisme au Sahel se poursuit. » (Emmanuel Macron, le 8 octobre 2020 sur Twitter).
Tout le monde ne peut que se réjouir de la libération de Sophie Pétronin (convertie à l’islam, elle se fait maintenant appeler Mariam). Elle fut libérée ce jeudi 8 octobre 2020 et a pu regagner la France le lendemain, reçu à l’aéroport de Villacoublay par le Président de la République Emmanuel Macron et le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Sophie Pétronin fut libérée en même temps que l’ancien ministre malien Soumaïla Cissé (ancien candidat à la Présidence de la République en 2002, en 2013 et en 2018, et président de l’Union pour la République et la démocratie), enlevé le 25 mars 2020, ainsi que de deux otages italiens.
Cette femme de 75 ans a l’air d’avoir un solide caractère et des valeurs inoxydables. Le courage ne lui a pas manqué lorsque, depuis Bordeaux, elle s’est aventurée dans le don de soi et le travail humanitaire au Mali. Nutritionniste, elle a atteint Gao en 1996 et y est restée jusqu’à son enlèvement le 24 décembre 2016, et elle voudrait maintenant y retourner : « Je vais aller en France, en Suisse, et après, je vais revenir voir un peu ce qui se passe ici (…). J’ai pris l’engagement pour les enfants, ça fait presque quatre ans que je n’ai pas vu comment se déroulent les programmes (…). Il faut quand même que j’aille jeter un œil et les saluer parce que j’ai pris cet engagement. Si vous prenez un engagement, allez au bout de votre engagement sinon vous aurez perdu votre raison d’être sur cette terre. ». Mais son fils, qui, en 2018, a voulu trouver lui-même le moyen de la faire sortir de ce guêpier et présent à Bamako dès le 6 octobre 2020, entend bien "cadrer" un tel retour : « Attends que je cadre certaines choses, tu n’iras pas là où tu veux. ». Oui à Bamako, non à Gao, car c’est trop dangereux.
Les déclarations de Sophie Pétronin depuis sa libération ont de quoi déconcerter puisqu’elle a affirmé n’avoir aucune colère contre ses ravisseurs et qu’elle a toujours été respectée. À Bamako, elle a en effet affirmé : « J’ai transformé la détention, si on peut dire, en retraite spirituelle (…). J’étais dans l’acceptation de ce qui m’arrivait et je n’ai pas résisté, et puis voilà, je m’en suis sortie (…). L’air était sain, bon (…). Je me suis accrochée, j’ai tenu, j’ai beaucoup prié parce que j’avais beaucoup de temps, je me suis promenée, j’ai bien mangé, j’ai bien bu, de l’eau fraîche hein ! ». Plus tard sur TF1 : « Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je vais bien (…). J’ai toujours été respectée, ils ont toujours pris soin de moi (…). J’étais hors du temps et de l’espace, entre le ciel et la terre (…). On a même quitté le Mali (…). J’ai continué de prier, particulièrement le soir, faire de la relaxation (…). Pendant trois ans et neuf mois, j’ai très bien dormi. ».
Des mauvaises langues pourraient parler du syndrome de Stockholm qui laisse entendre que les otages deviennent souvent favorables à leurs ravisseurs : « Appelez-les comme vous voulez, moi, je dirais que ce sont des groupes d’opposition armés au régime. ». Mais je pense que c’est bien plus complexe. Cette femme a la foi et elle semble avoir une foi en l’espérance qui dépasse ce qu’une personne ordinaire peut imaginer. Elle reste focalisée sur son monde à secourir et se préoccupe bien peu de son devenir même si cela ne lui est évidemment pas indifférent, pour elle, mais aussi pour les enfants qu’elle veut continuer à aider.
"Là-bas", elle a en effet aidé de nombreux enfants atteints de malnutrition. Elle y a créé plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), l’Association d’entraide Nord Gao (AENG) en 1998, puis l’Association d’aide à Gao en 2004. Elle a déjà failli se faire enlever par des djihadistes en 2012 et elle a averti dans un rapport de ce risque d’enlèvement et d’attentat au Mali, ce qui fait qu’elle est restée aider les enfants maliens en toute conscience du danger auquel elle était exposée.
Enlevée le 24 décembre 2016 à Gao, elle a fait l’objet de très nombreuses inquiétudes sur sa santé et même sa vie. Sans nouvelles d’elle pendant de longs mois, les autorités françaises ont pu en avoir seulement le 1er juillet 2017 (elle était présente dans une vidéo avec d’autres otages). Elle est réapparue dans d’autres vidéos le 1er mars 2018 et le 13 juin 2018, et en novembre 2018, il était même question de sa libération prochaine.
Encouragé par Ingrid Betancourt, otage en Colombie, son fils a d’ailleurs montré beaucoup d’incompréhension vis-à-vis de l’exécutif qui ne semblait pas, de son point de vue, comprendre l’urgence de libérer Sophie Pétronin et semblait au contraire l’avoir abandonnée à son triste sort. Emmanuel Macron a réagi en affirmant, le 14 décembre 2018 : « L’État continue d’agir sans relâche pour retrouver notre compatriote. Une telle démarche pour réussir exige le professionnalisme et la discrétion. ». Lors de l’hommage national le 14 mai 2019 aux deux soldats morts au Burkina Faso pour libérer deux otages français, Emmanuel Macron a d’ailleurs rappelé : « Je pense à Sophie Pétronin aux mains de ses ravisseurs. Nous ne l’oublions pas ! ».
Ingrid Betancourt a aussi témoigné à propos de son propre enlèvement et de sa propre libération il y a douze ans, en évoquant Nicolas Sarkozy : « J’ai su plus tard qu’il appelait tous les jours [en Colombie] pour faire pression. ». Néanmoins, Sébastien Chabaud-Pétronin (le fils de l’otage) n’a pas été très rassuré (ce qui peut se comprendre) et regrettait le manque de transparence des autorités françaises.
C’est sur ce point que je voudrais m’attarder. Voici justement un domaine où la transparence est foncièrement mauvaise. On dit que les secrets sont gardés souvent pour raison d’État, mais libérer une otage, réussir à la récupérer vivante, c’est une raison d’État largement suffisante. Il y a deux ans, le fils de l’otage semblait être persuadé que la France, refusant de négocier avec les djihadistes, laissait volontairement Sophie Pétronin à son triste sort pour ne pas hypothéquer son combat contre les djihadistes, mais l’histoire vient de montrer le contraire. La France n’abandonne jamais ses ressortissants.
S’il y a un point dont il ne faut absolument pas parler en public, ce sont les conditions dans lesquelles un otage a pu être libéré. C’est facile à comprendre : dès lors qu’on connaît le prix d’un otage, des organisations mafieuses ou (et) terroristes pourraient en profiter pour multiplier les prises d’otages. Et même dire publiquement, comme c’est le cas, que Sophie Pétronin était la dernière otage française, c’est dire son prix très élevé et donner de mauvaises idées à des organisations qui détestent la France.
C’est avec cette clef de compréhension qu’il faut fermement condamner la réaction de la présidente du RN Marine Le Pen, visiblement déjà en pleine campagne électorale et malheureusement, sur les traces de son père en ce qui concerne le contenu de ses déclarations. Une occasion perdue de se taire.
Dans un tweet le 9 octobre 2020, Marine Le Pen a en effet déclaré : « Nos soldats combattent au Mali depuis de longues années. Certains de leurs camarades sont mort au combat. Jamais on ne devrait transiger avec l’islamisme et permettre la libération de djihadistes, au risque d’exposer plus encore nos armées déjà durement éprouvées. ». En clair, elle aurait préféré que la France abandonnât Sophie Pétronin.
Cette prise de position totalement irresponsable (c’est-à-dire, qui pourrait coûter la vie à d’éventuels futurs otages français dans l’avenir) de la candidate permanente du RN se basait sur des rumeurs persistantes provenant de responsables maliens sous couvert d’anonymat selon lesquelles des dizaines de prisonniers djihadistes auraient été libérés entre le 4 et le 6 octobre 2020.
Et pourquoi ne pas renvoyer Sophie Pétronin chez ses ravisseurs ? Bingo, l’assistant d’un député européen RN l’a lâché ! Damien Rieu, collaborateur de Philippe Olivier (RN), conseiller de Marine Le Pen, a en effet balancé sur Twitter le même jour : « On a libéré 200 criminels jihadistes qui vont repartir tirer sur nos soldats et dépensé 10 millions pour elle mais elle se convertie [sic !] à l’Islam et veut retourner au Mali… Rendez Sophie Pétronin à ses ravisseurs ! » (9 octobre 2020). Ce militant d’extrême droite aurait-il le cran de le dire en face de cette femme courageuse, yeux dans les yeux et pas dans son petit fauteuil douillet à Bruxelles ? D’autant plus qu’aucune confirmation n’a eu lieu (et n’aura lieu, évidemment) sur ce possible échange de prisonniers ni sur leur nombre et l’identité des personnes libérées (nul doute que le coup d’État du 18 août 2020 et l’éviction du Président Ibrahim Boubacar Keïta a fait bouger les choses).
Ces déclarations (qui n’ont pas beaucoup moussé le week-end) montrent au moins deux choses concernant la candidate RN de 2022 : d’une part, elle est incapable de sens de l’État car s’il y a bien un secret d’État à préserver pour l’intérêt national, c’est bien sur les négociations pour la libération des otages (professionnalisme et discrétion, comme le rappelaient l’Élysée et le Quai d’Orsay) ; d’autre part, il y a des Français pour lesquels on peut risquer la vie de soldats pour les libérer, et d’autres non, en particulier s’ils sont musulmans. Bonjour la devise républicaine ! C’est la preuve que Marine Le Pen se moque de l’intérêt national et n’a donc rien d’une patriote, comme elle voudrait le laisser croire, elle préfère la posture et la polémique politiciennes, quand bien même cela pourrait mettre en danger la vie d’éventuels futurs otages français…
Inutile par ailleurs de faire la publicité des réactions totalement hors sol de Florian Philippot, l’ancien proche de Marine Le Pen, ou de sites comme Ripostes laïques qui répondent bien à la formule selon laquelle l’excessif est insignifiant.
Pour Emmanuel Macron, contrairement à ces déclarations à l’emporte-pièce de l’extrême droite, c’est au contraire un grand succès diplomatique de la France que cette libération de Sophie Pétronin qui a été très longue à négocier.
Enseignant à l’IEP de Paris et spécialiste des prises d’otages, Étienne Dignat a insisté, dans une interview à "20 Minutes" le 9 octobre 2020, sur l’union nationale et sur les raisons de la libération des prisonniers : « Il est important que ce moment d’union nationale soit respecté, vis-à-vis de Sophie Pétronin et de ses proches. Pour ce qui est du terrain, il faut rappeler que c’est l’État malien qui a relâché ces djihadistes, afin d’obtenir la libération de Soumaïla Cissé, figure éminente de la vie politique du pays. L’échange aurait par conséquent eu lieu d’une manière ou d’une autre et devient une victoire quand il engendre des scènes de liesse au Mali, à l’image de la nuit dernière. ».
Pour cet expert, la libération éventuelle des djihadistes ne renforcerait pas significativement leurs positions sur le terrain car la France a déjà remporté des succès tactiques sur place. La libération de Sophie Pétronin est aussi un succès français : « Une libération est en soi un succès diplomatique puisqu’elle démontre une connaissance fine du terrain et une capacité à mener à bien une négociation d’une extrême complexité. Dans le cas présent, la France a su s’adresser aux bons interlocuteurs et mobiliser son allié malien pour mener conjointement l’échange. ».
Je termine néanmoins par la fin de l’interview d’Étienne Dignat qui mérite de s’y arrêter et de nourrir la réflexion : « La crise sanitaire n’a fait que renforcer l’attachement à la sacralité de la vie humaine dans les sociétés occidentales et le rôle attribué à l’État dans la gestion de la vie de ses citoyens. La libération de Sophie Pétronin ne fait que confirmer la disposition de notre société à sacrifier une partie de sa liberté, de sa sécurité ou de ses ressources pour l’un de ses membres. Un bref calcul permet d’esquisser un parallèle : le gouvernement estime que le confinement a causé une perte de 120 milliards d’euros et qu’il aurait permis de sauver 60 000 vies, soit 2 millions d’euros par vie humaine. Une somme finalement assez proche des rançons généralement demandées pour la libération d’un otage. » ("20 Minutes", le 9 octobre 2020).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Interview d’Étienne Dignat dans "20 Minutes" du 9 octobre 2020 sur la libération de Sophie Pétronin.
Sophie Pétronin.
Ingrid Betancourt.
Taxe Nutella : Serge Atlaoui, otage de l’huile de palme ?
Pourquoi mourir au Mali ?
L’engagement militaire de la France au Mali le 11 janvier 2013.
Daech.
Commando Hubert : la France dans l’unité nationale autour de ses deux héros.
Bénin : le courage et le sacrifice de deux vies pour en sauver d’autres.
Niger : le prix d’un message.
N’oublions pas le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame !
Nos soldats à Beyrouth, il y a trente-cinq ans…
Hommage des quatre soldats tués le 24 janvier 2012 en Afghanistan.
Ils ne sont pas des numéros.
Chasseurs alpins en Afghanistan.
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