Pourquoi je maintiens qu’on a sauvé la République (ni plus, ni moins)
L’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République est un soulagement qu’on ne doit pas bouder. La France peut enfin redevenir fière de montrer au monde de quoi elle est capable. Elle a repoussé la dictature, elle est regardée par toutes les nations. Ce n’est évidemment pas une raison pour minimiser les problèmes à résoudre.

Compte tenu d’une invasion extrême-droitière sur AgoraVox, que reflétait un sondage interne (environ 35% d’intentions de vote pour Marine Le Pen), le seul titre de cet article fonctionne comme repoussoir. Il me reste à espérer que les républicains (plutôt sans majuscule) qui persistent à s’exprimer ici soutiennent le présent article. Celui-ci ne vise nullement à encenser le nouveau président de la République mais à se réjouir d’un simple fait que le déferlement de l’actualité et la faculté d’oubli accéléré auront tôt fait de banaliser : la République est sauvée ! Dimanche soir, juste avant 20 heures, j’avais l’angoisse au ventre, et quand, enfin, c’est le portrait de Macron qui s’est affiché, j’ai spontanément poussé un grand « OUF ! » Et je n’ai pas été le seul.
Je savoure de plus en plus le fait de prendre de l’âge : ça donne une perspective intéressante sur l’événement. Et je voudrais démontrer que ce que nous venons de vivre a été un moment historique, quel que soit le devenir du sieur Macron et sa capacité à résoudre ou non les problèmes de la France. Ça, ce sera un sujet différent, et je ne me priverai pas de mettre mon grain de sel chaque fois que j’estimerai devoir le faire.
Je voudrais donc relater quelques épisodes d’élections présidentielles que j’ai connus afin de faire ressortir la particularité de celui que nous venons de vivre.
1981
Je me souviens de 1981. Issu d’une famille de droite, j’avais sauté le pas et voté François Mitterrand. J’étais un tout jeune adulte, je n’avais connu que la droite (encore que, avec le recul, on ne puisse pas vraiment qualifier De Gaulle d’homme de droite). Depuis l’étage de mon logis, je me souviens avoir regardé la place en bas de chez moi, avec le même beffroi moyenâgeux, les mêmes vieilles maisons, les mêmes voitures, et j’en étais étonné : tout était là, comme avant, mais j’avais l’impression d’avoir changé de monde, et c’était un peu vrai. Je n’ai jamais regretté d’y avoir contribué, quelles qu’aient été les déceptions liées ensuite aux deux septennats de Mitterrand. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on est contraint de choisir « le moins pire » (et je conviens que cette notion peut légitimement varier en fonction des opinions de chacun).
2002
Puis il y a eu ce sinistre 21 avril 2002 où ce qui était impensable à l’époque est arrivé : le parti d’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen était au deuxième tour ! Nous sommes descendus dans la rue en masse : on n’avait jamais vu ça depuis la Libération, disait-on. Ma femme était enceinte de notre fille, et nous lui avons donné un quatrième prénom : Marianne, parce que la République devait être sauvée. On se résolut à voter Chirac, qui n’honorera guère l’honneur que nous lui avions fait. Devant la mobilisation citoyenne, et malgré la peur que nous ressentions, nous avions la certitude que nous allions réussir. On s’était fait une grosse frayeur, mais le péril allait être aisément conjuré.
2017
Mais cette fois, nous avons eu vraiment peur, et longtemps peur. Depuis les primaires de la droite puis de la gauche, le « dégagisme » célébré par Mélenchon a si bien fonctionné –et tant mieux !– que tout devenait pensable, qu’aucun scénario n’était impensable. Le mépris dans lequel nos élites tenaient le petit peuple depuis des décennies suscitait chez certains une colère juste mais une préférence injuste et illusoire pour l’Héritière qui, comme tous les leaders d’extrême-droite, fait semblant de comprendre la détresse du peuple pour mieux l’asservir ensuite : l’Histoire l’a prouvé sans exception (cette observation est valable également pour le communisme et pour les populistes de gauche type Castro ou Chávez, en dépit de certaines réussites éducatives ou sociales). Cette fois, le parti de papa (lequel a déjà fait savoir qu’il n’accepterait pas qu’on débaptise sa chose) était en passe d’accéder au pouvoir.
Le 7 mai 2017 est donc pour moi une date encore plus historique, encore plus marquante que 1981 et 2012. L’élection funeste de Donald Trump aux États-Unis, presque personne n’y croyait jusqu’au jour précédent. Le Brexit, on pensait que les Britanniques n’oseraient pas : ils ont osé (je ne terminerai pas la maxime d’Audiard). Mais l’Autriche, pays natal d’Hitler où le nazisme a de « beaux » restes, avait repoussé de justesse son extrême-droite, et les Néerlandais aussi. La différence, c’est que c’est en France qu’a eu lieu la Révolution qui, malgré ses excès sanglants, continue d’être porteuse des Droits de l’Homme dans le monde. La France est regardée et, depuis le 7 mai, j’ai retrouvé la fierté d’être Français. Il suffisait d’aller sur Internet regarder les chaînes de télévision et la presse de pays même lointains pour voir que nous étions devenus le centre du monde, et pour des raisons dont nous pouvions nous prévaloir.
Au travail !
Je n’ai pas la naïveté de croire que désormais tout va aller comme sur des roulettes. Je ne suis pas un fan de Macron, je n’ai pas voté pour lui au premier tour, et je fais partie de ces citoyens qui seront vigilants sur son programme et sur sa façon de l’appliquer. Je souhaite qu’aux Législatives il ait une majorité confortable mais pas absolue : il faut qu’il soit contraint d’écouter le peuple, et notamment sur les questions relatives au droit du travail (le droit d’être protégé face au patron, surtout dans les petites entreprises ; le droit d’avoir un jour de repos commun, et en France, c’est le dimanche). Etc., etc. Mais je me réjouis sans la moindre restriction d’avoir renvoyé la catcheuse télévisuelle dans les cordes parce qu’elle menaçait bien plus que notre économie : notre Liberté.
Je n’aime pas la Marseillaise. Mais le 7 mai, je n’ai pas pu m’empêcher de la chanter, devant ma télé, avec « les gens » qui étaient au Louvre. En temps de péril grave, il y a des paroles qui font frissonner :
Allons enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie
L’étendard sanglant est levé !
L’étendard sanglant est levé !
(…) Aux armes, citoyens !
(…) Marchons ! Marchons !
Le Front National n’aurait certes pas supprimé la démocratie du jour au lendemain, mais ce n’aurait été qu’une affaire de mois. Il fallait donc lever contre lui l’étendard de la République, prendre comme arme notre modeste bulletin de vote : collectivement, elle a eu de la force, notre carte d’électeur ! Et maintenant, marchons, ou… En Marche !
Quant au sang impur, nous serons assez civilisés pour le laisser couler dans les artères des malfaisants et malfaisantes qui vont encore tout faire pour torpiller notre liberté –qui garantit la leur…
Ce sang impur ne vise pas les Français qui ont massivement voté Marine Le Pen, si souvent parce qu’ils ont été sacrifiés à une économie Moloch dévorant ceux qui l’ont alimentée. Je précise qu’à titre personnel, j’ai connu le chômage et que mon travail actuel suffirait à peine à me nourrir si je vivais seul : c’est dire si je peux comprendre ces votes de révolte et de désespoir. J’aurai cependant moins de mansuétude pour les individus qui, dans de paisibles villages où sur des côtes opulentes, ont voté FN par égoïsme, par xénophobie ou par racisme, par passéisme identitaire ranci ou par religiosité fossilisée. Il faudra hélas compter avec eux. Néanmoins, s’ils veulent redevenir fraternels, bienvenue !
Liberté : elle est sauvée.
Égalité : gros chantier !
Fraternité : à restaurer.
Emmanuel Macron a une tâche énorme devant lui : il le sait. Malgré son prénom, il n’est pas le Messie que j’attends. Mais c’est à lui de conduire, avec son équipe, avec tous les élus, avec les citoyens et citoyennes, la reconstruction de ce pays malade, fracturé, où nous voulons retrouver fierté et bonheur de vivre.
68 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON