Pourquoi la mainmise de la Sécurité Américaine sur nos données suscite-t-elle aussi peu de réaction dans le grand public ?
Les révélations fracassantes d'Edward Snowden sur l'ampleur de l'espionnage pratiqué par les services américains ne suscitent guère de réaction, en dehors des cercles officiels et des associations appointées. Pourquoi cette passivité ?
La première raison est technique, elle tient à une caractéristique de l'environnement numérique. Le Copier/Coller est, bien plus qu'une manipulation individuelle, un principe de fonctionnement du système. Les actions s'effectuent par réplication : ce qui "part" est emmagasiné exactement comme ce qui arrive. Dans l'environnement numérique, alias l'Etherciel, la touche "Enregistrer" est appuyée en permanence. Principe d'Archimède (revisité) : tout corps plongé dans le grand bain numérique n'en sort jamais et peut toujours apparaître à un moment ou à un autre. La masse retient tout, qu'on le veuille ou non, car elle a une mémoire incommensurable. Cela, nous le savons bien, donc nous comprenons ce qui rend les pratiques de la bureaucratie américaine possibles. Si celle-ci s'avisait d'espionner nos conversations à l'air libre, sorties directement de notre bouche à l'attention du voisinage, nos faits et gestes accomplis avec notre corps de chair, nul doute que la réaction serait bien plus violente (l'air n'enregistre pas les sons, la plupart du temps le corps ne laisse pas de trace lors de son passage ici ou là).
Le nouveau monde n'a rien de virtuel, mais il obéit à des propriétés physiques inédites, favorables à ces pratiques intrusives. Sur un terrain polycopié, la question de l'accès aux copies est inévitable, naturelle. Personne n'est obligé d'accepter la réponse de la Sécurité Américaine à cette question, mais on doit reconnaître qu'elle se pose, et se posera toujours.
La seconde raison est d'ordre psychologique, elle concerne la motivation des humains lors de leur immersion dans les flux électroniques. Rappelons pour commencer quelques évidences relatives à nos conditions de vie classiques, sur la surface de la Terre, le monde « hors-ligne ». Parfois, il nous arrive des choses qui n'étaient écrites nulle part, des choses que personne n'a voulues (avec les rêves, le phénomène se produit même à l'intérieur de notre cerveau). Le domaine humain ne recouvre qu'une partie de l'environnement. Toute organisation a ses limites. Désintéressées, les matières terrestres (arbres, rivières, rayons du soleil etc.) ne font pas attention à nos actions.
A l'inverse, l'Etherciel est, comme son nom l'indique, un environnement artificiel, entièrement fabriqué. Partout des programmes, des menus. Nos faits et gestes sont guidés avec minutie, rien n'est laissé au hasard. Chaque "évènement" est comme la scène d'un film, le résultat d'une savante préparation (écriture du scénario, mise en scène, etc.). La confrontation avec le réel est nécessairement une confrontation avec d'autres êtres humains, connus, ou le plus souvent inconnus, ceux qui ont écrit le programme. L'acte de cliquer est un acte d'obéissance. Des hommes sont le jouet d'autres hommes. Quand il arrive quelque chose que personne n'a voulu, cela s'appelle un bogue, source d'angoisse (Alerte ! A l'aide !). Le télé-monde est donc habité par des télécommandés, appliqués à suivre les instructions. La Sécurité Américaine s'adresse à des moutons bien dressés, et soucieux de leur sécurité.
Notre monde naturel, si plein d'incertitudes, ne fait rien pour nous rassurer. On le dit, le danger est partout. Alors vite, se télécharger dans les programmes d'ordinateur ou de télévision, se réfugier dans sa bulle artificielle supérieure (« High Tech »), là où tout ne fait que passer, avec ordre, beauté et fluidité... L'Etherciel avec ses séquences sagement programmées nous permet de fuir la réalité des rues, leurs trottoirs durs parcourus par des foules inquiètes. Derrière l'écran nous recherchons la sécurité matérielle et le confort moral : l'Etherciel y pourvoit avec empressement. Et il nous rassure, il nous rassure immensément. Le logiciel, ou pour mieux dire l'environnement, devient une patrie que l'on aime d'un instinct aveugle et pour laquelle on se dévoue. Les marchands d'écrans vantent leurs produits en parlant d'une "immersion totale" dans les programmes, car ils savent que c'est ce que nous recherchons. Nous n'étions en sécurité nulle part, dans l'Etherciel nous sommes en sécurité partout. Nos vies numériques sont placées sous le signe d'une sorte de technocratie absolue, l'électrocratie (1), un nouveau régime politique qui fait de nous des pantins, des pantins sécurisés. Et contents.
Que nos surveillants soient eux-mêmes surveillés, et nous avec, qu'y a-t-il de gênant à cela ? Le chef de mon chef c'est aussi mon chef. La servitude volontaire, vieille histoire.
Emmanuel Cauvin, Blogueur mondain, Homme politique (2)
(1) Sur la notion d'électrocratie, Cf. Emmanuel Cauvin, Révolution dans la nouvelle Cité électronique, Le Débat 2011/5 (n° 167).
(2) Si cet article vous a intéressé, je vous propose de passer maintenant à l'action politique :
Problème/solution (proposition de solution...)
Voici ma proposition :
Constat : le droit d'auteur est devenu une question politique !
L'environnement numérique est l'occasion d'un bond en avant pour notre République, en s'appuyant sur le droit d'auteur comme levier. L'exception culturelle française doit être remplacée par un principe, le principe culturel français.
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