Quel enthousiasme pour la société française ?
Alors que des chiffres laisseraient penser à une amélioration de la situation de l’emploi, l’enquête mensuelle de conjoncture de l’INSEE révèle une chute préoccupante du moral des ménages français. Ce pessimisme se ressent maintenant sur la consommation et touche la production industrielle. Au delà des faits objectifs, pouvoir d’achat notamment, qui justifient cette chute de confiance, est-il possible de donner de l’enthousiasme à la société française ? Sur quelles bases et avec quel discours ?
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L’enthousiasme est l’expression du sentiment d’un commencement possible, rarement d’une peur ou d’une crainte. Comment, alors qu’il baisse selon les derniers chiffres publiés, le chômage peut-il atteindre ainsi le moral des ménages français ? Celui-ci a encore chuté de trois points en mai, l’indicateur qui le mesure s’établissant à -41 contre -38 (révisé) en avril, son niveau le plus bas depuis 1987 à données comparables, a annoncé l’Insee ce mercredi. Il s’agit de la onzième baisse consécutive de cet indicateur, qui existe sous cette forme depuis 1987. Pourtant, la croissance aura finalement été meilleure que prévue en 2007, avec 2,2% et le chômage n’a jamais été aussi bas depuis 1983. Le départ à la retraite des babyboomers devrait améliorer encore la situation de l’emploi et les réformes structurelles engagées par le gouvernement devraient, selon lui, limiter le poids des déficits publics. Ce n’est donc pas la perception qu’en ont les Français. La France bénéficie pourtant d’atouts considérables, y compris dans ses banlieues. L’INSEE vient de réviser ses projections démographiques pour la France de 2050 à la hausse, de 64 millions d’habitants à 70 millions, tenant ainsi compte d’une fécondité plus élevée que prévu. Espérance de vie au top, modèle social envié, bonne productivité, démographie dynamique…
Le pays a bien les symptômes d’une dépression psychique. Les chiffres ne sont pas catastrophiques et l’actif des ménages et des entreprises a été multiplié par quatre depuis 1980. Mais particuliers et entreprises sont moroses et virent même au pessimisme durable. Conséquence, ils consomment peu et n’investissent pas assez. Selon l’INSEE, d’après les chefs d’entreprise interrogés en mai 2008, le fléchissement de la conjoncture industrielle entamé le mois dernier s’est accentué : l’indicateur synthétique du climat des affaires diminue de quatre points. Même baisse chez les consommateurs : Au mois d’avril 2008, les dépenses de consommation des ménages en produits manufacturés ont reculé de 0,8 %, après une baisse de 1,0 % en mars. Dans le champ « commerce », les dépenses ont baissé de 0,6 % en avril après -1,4 % en mars. Les entreprises sentent désormais l’effet de ces ralentissements sur leur activité propre : en mai, elles ont jugé que leurs perspectives personnelles de production s’étaient très nettement détériorées. Dans l’automobile, la crise semble même inévitable. Car les Français ont de moins en moins envie d’acheter des voitures. La flambée du pétrole et de l’essence (+25% en euro depuis janvier) pèse lourd dans les budgets. L’embellie du premier trimestre, avec une croissance de 0,6%, .semble donc compromise. Les dernières publications statistiques, de la consommation aux prévisions des industriels, en passant par le marché de la construction et des logements, le nombre de défaillances d’entreprise, ou le niveau des accidents de paiement, tout inquiète .Alors d’où vient cette névrose ?
Alors que près des trois quarts des personnes de 20 à 59 exercent une activité professionnelle, les employés comme les cadres et les fonctionnaires, redoutent le déclassement. Selon les premières estimations de l’Insee, Les salaires nominaux ont augmenté de 2,7% d’une année sur l’autre au premier trimestre 2008, alors que les prix ont progressé de 2,9% sur la même période, les salaires réels diminuent donc. Retraite-pouvoir d’achat et santé, le triangle forme un miroir négatif qui fédère les mécontentements. Le mouvement des pécheurs contre la hausse des prix du gaz oïl a cristallisé dans la colère un ras-le-bol général contre l’augmentation du pétrole et du gaz qui n’a d’égal que la peur de l’avenir qu’il exprime. Du milieu enseignant aux employés du commerce, les corporations se serrent les coudes. Réfractaires au risque, mutualisant les incertitudes, cette France solidaire multiplie les résistances Et le président de la république s’installe depuis des mois dans l’impopularité. De fait, un an après avoir appelé à la « rupture » et l’élan de son élection passé, le discours de Nicolas Sarkozy révèle que la marge de manœuvre de l’Etat est faible. Pour 2008, 70% des sondés estimaient que les premières mesure de Nicolas Sarkozy sur le pouvoir d’achat, les déductions sur les intérêts d’emprunt, les heures supplémentaires sans impôts ne devraient rien changer à leur situation, les ménages se sentent coincés par leur dépenses contraintes, loyers, remboursements de prêt, impôts, assurances, ce qui représente jusqu’à 60% du budget des foyers les plus modestes. (Sofres, décembre 2007) Les Français disent de plus en plus qu’ils ne vont pas bien, et même qu’ils vont mal, et comprennent que rien ne les empêchera désormais d’y aller ! Il est vrai que trop de jeunes de 20 à 30 ans ne trouvent ni logement, ni débouchés professionnels à leurs études et n’ont plus le goût de rire. Stressés, les cadres pensent davantage à leur santé ou à s’amuser qu’à gagner de l’argent ou à progresser sur le plan professionnel. Il y a moins de deux ans, un sondage (BVA, novembre 2006) avait même révélé que 48% des Français pensaient être dans la position de risquer de se retrouver un jour sans domicile fixe. Le grand âge inquiète aussi. Le plan dépendance du gouvernement, indispensable, a été soumis au débat sans un financement public à la hauteur des besoins, réveillant une inquiétude sérieuse sur le financement des retraites. Alors que la non revalorisation des salaires et des retraites entraîne une perte de pouvoir d’achat, une augmentation des cotisations vieillesse est redoutée. Et le lendemain, L’INSEE annonçait que, en 2050, un Français sur trois aurait plus de 50 ans…
D’où un premier diagnostic : Cette crise de confiance de la société française serait-elle une crise de maturité ? Une crise de lucidité plus qu’une crise de croissance, une crise de vieillesse plus qu’une crise de jeunesse ? Mais ce climat dessine aussi les contours d’une nouvelle société, coincée entre un monde globalisé et une vie quotidienne plus insécurisante sur le plan professionnel et plus fluide sur le plan de la vie quotidienne et personnelle. Hier, la condition ouvrière a produit une société du travail et du mérite. On entrait dans une entreprise pour l’ensemble de sa vie professionnelle et l’entreprise se chargeait de votre formation, de votre promotion et souvent de votre logement et de l’emploi de vos enfants. Aujourd’hui, vous devez vous préparer à changer de métier et de région dans votre vie. Après l’agriculture, l’industrie perd des emplois. Alors que le nombre de cadres a doublé entre entra 1970 et 1990 et que trois actifs sur quatre travaillent dans les services, les mutations technologiques et la productivité transforment toute notion d’activité et remettent en question les statuts. Désormais, la question du sens touche les entreprises.
Les métamorphoses de la famille ont fragilisé les couples et placé l’enfant plus que jamais au centre des foyers. L’inquiétude ressentie l’est aussi pour leur avenir. Le repli vers la sphère privée répond à un monde professionnel qui a trop longtemps privilégié la performance tout de suite et à tout prix et qui a du mal à retrouver le sens de la qualité et de la durée. Dans une société des individus, où le lien compte désormais plus que la norme, le volontariat davantage que tous les automatismes, il revient à chacun de créer son propre réseau de subsistance et d’existence. Les nouvelles solitudes actent ce nouvel ordre, comme le besoin de se ressourcer en famille, avec ses proches et ses amis, comme pour prendre de la force pour repartir au combat. La France de l’audace, celle dont les innovations préparent la prospérité de tous, doit désormais tenir compte d’une France prête à jeter l’éponge. Non, le monde n’est pas pourri et il n’est pas inutile de tenter le moindre effort pour changer les choses. Mais il faut d’abord s’appuyer sur un constat lucide du présent, seule voie vers un espoir à reconstruire.
La France ouvre les yeux, se sent vieillir mais ne se voit pas vieillir dans un avenir embrumé. De fait, nous sommes face à un pessimisme collectif qui révèle aussi une prise de conscience. . Le consommateur décrypte la hausse des prix Les sources d’informations sont démultipliées par Internet. En janvier, 58,3 % de la population, près de 31 millions de personnes, était internaute, selon Médiamétrie, soit une progression de 12 % sur un an. . Par exemple, 1 Français sur 2 déclare avoir entendu parler de la crise des subprimes, un score nettement plus élevé auprès des cadres / professions libérales (76%) et des « hauts revenus » (73%) (Sofres, février2008). Même les émeutes de la faim semblent avoir marqué l’opinion : « la mondialisation de l’économie et des échanges commerciaux » inquiètent 22% des Français (+6 points), niveau jamais atteint auparavant (Sofres, avril 2008) Sécurité alimentaire, santé, technologies, de plus en plus d’internautes se découvrent experts. Rétifs à la publicité, ils comparent, évaluent, décodent de chez eux, devant leur ordinateur. La démocratie découvre de nouveaux circuits, transversaux, indépendant des pouvoirs centraux. Avec la société de l’information, les individus sont plus curieux, s’informent, réagissent, créent des blogs, se créent des mondes virtuels.
Une crise de maturité peut aussi déboucher sur un nouvel état d’esprit. Alors comment retrouver une expression positive des besoins, désirs et souhaits pour soi même, ses proches et la société ? Nous constatons déjà que, si les Français sont très pessimistes par rapport à l’avenir de la société, ils sont davantage optimistes pour eux-mêmes et plutôt heureux dans leur environnement privé. Et si le carburant de la reprise était aussi le fait que les Français veulent prendre soin de leur santé et s’amuser, à tout âge ? Inviter chez soi est un plaisir toujours très en vogue, la convivialité est plus importante que le décorum et les Français aiment toujours sortir de l’ordinaire. L’harmonie privée, le goût des arts de la table restent bien ancrés dans nos traditions alors que toutes les études indiquent un plus grand dynamisme de la population. La pratique sportive des plus de 60 ans a ainsi été multipliée par sept en quinze ans (2004) C’est bien le signe d’une société qui, si elle est en attente, est montée sur des ressorts, des ressorts qui partent de besoins non satisfaits, mais aussi d’une aptitude à se mettre en mouvement, d’abord soi-même, et peut-être collectivement. Avec l’allongement de la vie en bonne santé, ces trente années gagnées au cours du siècle, une nouvelle jeunesse s’invite pour toutes et tous. Saurons-nous colorer nos vies, les rendre plus vives, plus attentives, plus gaies, plus vraies ?
C’est peut-être la question de cet été 2008. L’individu a conscience de son besoin d’équilibre physique, psychique et social. Etre bien dans son corps, bien dans sa peau, bien avec les autres. Eveillons nos sens, réveillons nos émotions, écoutons notre âme, aiguisons notre conscience, agissons selon nos convictions. C’est le moment ou jamais. Nous entrons dans une époque clé pour comprendre comment provoquer en soi, instantanément une sensation de bien-être et de bonne humeur, sans avoir le temps d’être déçu. A force de se dire qu’il fait mauvais, on n’ose plus mettre le nez dehors. A force de se croire malade, on risque de le devenir vraiment. Comme Noah dans sa chanson « Ose » de plus en plus de jeunes et moins jeunes veulent arrêter de se regarder le nombril et de le trouver moche. Oui, des peurs existent, l’angoisse et l’anxiété gagnent du terrain chez les femmes, les chômeurs et les célibataires notamment, mais chacun sait que ce n’est pas en attendant des jours meilleurs derrière une porte blindée que l’on va les faire venir. Il y a trop d’envies, d’idées, de dynamisme dans les placards. Il est possible de trouver le point de croissance manquant en levant les freins qui ralentissent l’économie, inhibent les énergies et cassent les dynamiques en misant sur une économie qui est là, présente mais mal appréhendée : l’économie de l’immatériel, c’est-à-dire le capital des talents, de la connaissance, des savoirs. Une économie toujours en avance dans la société de l’information, des logiciels de communication et des semi-conducteurs.
Il est donc possible de parler d’optimisme ! Un optimisme généreux, pointu et diffus, qui incite au risque en le récompensant. Pour cela, il faut aussi un Etat qui protège au nom d’un service humain, comme il existe un service public. En misant sur l’éducation et la formation, sur l’activité et les échanges sociaux, mais aussi sur la rémunération des salariés, le pouvoir d’achat et les droits des consommateurs. Une société du temps choisi, pour élever son enfant si on le désire, mais aussi pour prendre une année sabbatique, suivre une formation, voyager. Une société avec des emplois proposés aux séniors, des tutorats, des micros crédits pour des micros projets qui redonnent de la couleur à la vie. Une société ou tout le monde aura de quoi manger, vivre, être digne. Avec un RMI accordé si besoin dès 18 ans – contre 25 ans aujourd’hui, ce qui pousse trop de jeunes dans la rue et dans la délinquance. Avec une allocation et des actions pour qu’il n’y ait plus d’enfants pauvres – un million aujourd’hui -. Le RSA, - revenu de solidarité active – donnant le droit de cumuler une indemnité de chômage ou un RMI avec un revenu du travail, sans toucher à la prime pour l’emploi. Il faut aussi réformer et préserver l’Etat providence et garantir une vraie solidarité nationale avec les plus âgés.
Alors, utopie ? Peut-être au titre d’une « utopie mobilisatrice » pour mettre en mouvement la société en lançant des défis sans nier les contraintes surmontables et même insurmontables. Car c’est bien en poussant les contraintes dans les cordes que l’on trace le meilleur chemin et c’est même en créant une dynamique des conflits que l’on obtient le carburant pour avancer ! La conjoncture ne suffit même pas, seule la volonté et l’enthousiasme font bouger les lignes, et c’est le désir qui transforme. Nous avons besoin de construire une société de la dynamique collective et de l’initiative individuelle dans laquelle les handicaps et les circonstances de la vie ne sont pas des facteurs qui disqualifient mais qui stimulent. Une société qui revendique sa féminisation, son métissage et son vieillissement et qui en tire une nouvelle approche du soin de l’autre, du temps et de la qualité de la vie.
Comment financer ces projets ? D’abord en faisant le choix de l’expérience d’une société non pas partagée mais mélangée. Le choix d’une dynamique d’essor économique et de progrès social, une société du peps ! En finançant ce modèle par des prélèvements acceptés et tolérés, par une économie renforcée et modernisée. Ce qui place l’économie en priorité, y compris pour faire davantage pour la famille et l’individu. Il et temps d’abattre, dans une logique de conquête, la barrière si abstraite entre le privé et le public, qui sont pourtant les deux sources indissociables de la richesse de la nation. Il est juste de ne pas traiter les grandes entreprises comme les petites, ni les entreprises qui investissent et embauchent comme celles qui ne réinvestissent pas leurs profits. En misant réellement et concrètement sur les très petites entreprises, les commerces, les agriculteurs et les artisans, qu’il faut encourager à embaucher, et dont il faut déverrouiller le contexte bancaire, fiscal et social. En ayant un nouveau regard sur l’industrie et sur les savoir-faire, sur le made in France et le conçu en France. Mais aussi dans une logique locale et globale, en soutenant les services à la personne, l’économie locale et solidaire et par une programme de grands travaux de niveau européen, comme la tour Signal de jean Nouvel à la Défense…
Il faudrait lancer des chantiers du « mieux vivre », logements, aménagements urbains, réhabilitation et entretien du patrimoine sauvage, végétal et bâti. En misant sur la culture et le tourisme. En incitant les investissements productifs, en relançant l’aménagement dynamique de territoires, notamment par des infrastructures et des initiatives leur permettant de toujours mieux connecter entre eux, y compris dans une Europe des régions. Une société des savoirs forte de toutes les imaginations, de toutes les intelligences et de toutes les audaces, sédentaires et nomades, engagées et désengagées, publiques et privées, traditionnelles et révolutionnaires. Déposant des brevets, misant sur les savoir-faire, la recherche fondamentale, l’innovation sans limite, les sciences de la vie, de l’environnement, les biotechnologies et les nanotechnologies, la physique quantique. Une société ouverte sur le monde, diffusant sur les cinq continents une culture Française éternelle et en perpétuelle création.
Eric Donfu
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