Ravauder les restes
Quand d'autres s'y emploient…
De fil en aiguille, je me suis fait le spécialiste de l'art d'accommoder les restes. La cuisine a ceci de merveilleux qu'elle ouvre beaucoup de possibles pour peu que l'on sache associer les saveurs, mélanger les ingrédients avec subtilité pour proposer un plat nouveau capable de faire oublier qu'il ne fait que recycler les surplus des repas précédents.
Le verbe ravauder tire son origine dans les travaux d'aiguilles quand il était question de redonner vie à des vêtements au bord de l'usure. Les chaussettes en tête, avec ces superbes patates que les enfants surtout, aimaient à orner leurs arpions. Il s'agissait alors de rapiécer, repriser, rapetasser pour faire du neuf avec du vieux.
D'autres depuis se sont fait les spécialistes de la pratique sans même se piquer les doigts tout en s'évertuant à toujours enfiler les mêmes fils dans le chas de l'aiguille. Ceux-là n'ont nullement l'intention de faire ainsi des économies, ils sont bien au dessus de ces considérations bassement matérielles qui d'aucune manière ne peut les concerner. Habitués depuis toujours ou presque à vivre sur les deniers publics, ils se moquent éperdument de cette dimension, leur avidité ayant l'intention de toujours plus tirer sur la corde et vider la bobine collective.
C'est l'art de faire passer de vieilles ganaches pour des perdreaux de l'année qu'ils mettent en œuvre en apportant une pièce sur des personnages usés jusqu'à la trame. C'est une forme de cache misère, un rafraîchissement de façade pour amuser la galerie et prouver qu'ils maîtrisent l'art du métier à tisser les illusions.
Curieusement à toujours plus tirer sur la corde, elle devrait finir par se casser. C'est d'ailleurs assez étonnant puisque non seulement rien ne menace ce bel ouvrage mais qui plus est, ils s'appliquent à remettre en place des individus qui se contentent de faire tapisserie. Ils se font même les experts dans un autre travail d'aiguille en confectionnant des maroquins sur mesure pour les plus retors d'entre-eux.
Cette fois, depuis la dissolution, les travaux d'aiguille ne sont pas destinés à durer. Pour le couturier en chef, il ne s'agit plus que de réaliser un modeste surfilage, le temps que les grossières coutures finissent une fois encore par craquer. Il s'agit de tenir assez longtemps pour faire le point de croix sur l'avenir de la nation tout en jouissant encore et encore d'odieux privilèges.
La seule évidence à ce propos consiste véritablement à mettre en place les restes, les chevaux sur le retour et les jeunes loups aux dents qui déchirent le tissu social sans honte ni modération. Cette fois, aucun doute, il ne s'agit même plus de respecter les nuances et les teintes, n'importe quelle pièce fera l'affaire pourvu qu'elle accepte de cacher la misère.
C'est alors qu'on peut revenir à ma version toute personnelle de ce verbe « Ravauder » que j'aime tant. Le résultat final est non seulement indigeste mais propose un brouet aux textures différentes, aux saveurs incompatibles, aux couleurs qui ne se mêlent guère. Il y a des yeux dans la soupe, de grosses légumes qui ne parviennent pas à se dissoudre dans la préparation, d'autres qui laissent un arrière goût rance tandis qu'une mégère tire les ficelles à distance de cette odieuse cuisine.
Quant au grand chef, celui qui est couronné d'une toque bien trop grande pour lui, qui ne met jamais la main à la pâte, il ne se préoccupe même plus proposer une pitance comestible à tous ses commensaux de la nation. Il se goinfre dans des salons privés, accumulant les bourdes et les fautes de goût.
Ravaudage et copinage sont ainsi devenus les deux mamelles d'une vache à lait sur lesquelles, cette joyeuse troupe mafieuse ne cesse de tirer jusqu'à faire craquer toutes les coutures.
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