Réponse à Pierre Manent
Votre Situation de la France (DDB, 2015) dessine un compromis possible entre la France et l’Islam, dans le cadre d’une reprise à neuf de la nation par elle-même. Permettre aux musulmans français d’être pleinement musulmans, comme aux chrétiens, aux juifs et aux tenants des droits de l’homme d’être eux-mêmes, selon une unité renouvelée de confiance et de bienveillance. D’une certaine manière, ce serait re-saisir, un siècle après, l’occasion ratée d’un empire colonial dont tous les autochtones seraient devenus français, mais cette fois sans l’empire. Or aujourd’hui, ce ne sont plus les colonies qui sont en jeu, c’est la France elle-même.
Vous avez pris vos responsabilités d’intellectuel et de citoyen, en élaborant une proposition politique sérieuse, fondée, et qui soit à la fois ambitieuse et plausible, évitant les deux écueils de la doctrine idéelle et du bricolage législatif. Vous avez essayé d’être sage en ces temps brouillés − et vous l’avez été.
Je devine ce qu’il vous a fallu de sincérité intellectuelle et de courage pour mettre à jour ces conclusions et pour les exposer. Il était sûr que, les écrivant, vous seriez caricaturé, défiguré, moqué, voué aux petites phrases assassines de la presse, puis ignoré − et vous l’avez été.
Je souscris au compromis que vous proposez. Je ne discuterai pas tel ou tel détail, je n’ergoterai pas, car la ligne générale est juste ; elle est une bonne réponse, et sans doute la seule disponible, aux défis de notre temps.
Que faire maintenant ? Vous dites avec justesse la faiblesse du corps social français, et la faiblesse aussi de ses organes politiques. Pire encore, vous décrivez le jeu pervers de communication où les dirigeants sont pris pour brouiller les perceptions du public et maintenir leurs postes, jeu dont je doute qu’ils soient capables de se départir, à quelque parti qu’ils émargent. Et vous attendez d’eux qu’ils engagent une action construite et efficace ! Hélas, faut-il compter sur ces gouvernants égarés et seulement espérer ?
Il est possible à chacun d’agir. Sur le plan personnel, la première chose à faire est de cultiver la liberté de penser, dont vous soulignez l’importance pour le caractère national français. Ceci signifie prendre le temps de se documenter, poser ses raisons, mûrir ses idées, écouter ses contradicteurs, peser leurs avis, et recommencer. Pour alimenter son esprit, le Français dispose d’un patrimoine culturel auquel il se doit de puiser et de se ressourcer. La littérature, vous ne le relevez qu’en passant dans ce livre, est au coeur de la synthèse française ; il est nécessaire d’y revenir, d’autant qu’aujourd’hui encore la grande littérature ne manque pas, surtout en poésie ; elle n’attend que ses lecteurs.
Ce ré-enrichissement personnel ne sera pas suffisant pour produire à nouveau du collectif, pour faire advenir un bien commun. Dans les faits, les principaux lieux de socialisation sont les familles, les entreprises et administrations, les associations et clubs, et les écoles. Il revient à chacun, à la place où il se trouve, d’y oeuvrer pour le bien commun. Certes, il s’agit chaque fois d’un bien limité, borné par le but intrinsèque de ces institutions, mais un bien quand même, et le plus proche des personnes.
Les managers et autres dirigeants ont une responsabilité particulière pour développer au sein de ces groupes une ambiance ouverte, respectueuse des personnes et de leurs croyances et engagements, bienveillante, généreuse, et d’y faire vivre la langue française et l’esprit de réflexion. Car la France, au quotidien, ce sont ces environnements, ces liens personnels à propos du travail ou des mille choses de l’existence. Leur ensemble harmonieux fera, ou non, notre nation.
Et ainsi la France continuera d’exister, dans une synthèse nouvelle où le reste du monde trouvera l’inspiration pour son avenir.
Merci, monsieur Manent, pour cette perspective que vous avez ouverte et qui manquait à nos regards.
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