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Saul Alinsky

Manuel de l’animateur social, les dix règles de base de tout militant social.

Voici un de mes livres de chevet. Pour préserver ma santé mentale ;)

"J’étais le genre de môme qui n’aurait pensé à fouler une pelouse jusqu’au jour où j’ai lu l’écriteau : Interdit de marcher sur la pelouse. Depuis, je me suis systématiquement roulé dessus".

Le nom de Saul Alinsky est totalement inconnu des nouvelles générations d’animateurs et des militants en général. Pourtant, il y a des leçons à prendre (et à reprendre) chez ce militant qui s’est formé sur le tas.

Né en 1909 dans un bidonville de Chicago, Saul Alinsky a organisé les quartiers pauvres, souvent noirs, dans la lutte pour les droits civiques. Se définissant lui-même comme un animateur social, Alinsky avait un credo : Ne demande pas tes droits, prends-les.

En lutte permanente contre l’institution, Alinsky, à travers des actions de mobilisation participative et non violente (mais parfois limites, aux yeux de notre époque), a su redonner l’espoir à des centaines d’individus, et surtout donné le moyen d’être acteur de leur vie. Dommage qu’il n’ait pas connu les possibilités d’Internet... Les méthodes à mettre en oeuvre par chacun n’étaient pas plus compliquées : pour faire son métier d’animateur, il faut être dans la rue, discuter avec les gens, découvrir ce qu’ils veulent, ce que sont réellement leurs problèmes, et alors les organiser autour de ces questions. Fondamentalement, il s’agit d’être avec eux et de les aider, en se battant, en célébrant leur victoires, à triompher des situations injustes et frustrantes dans lesquelles ils s’enlisent" Alinsky allait jusqu’à organiser ces réunions d’équipes à deux heures du matin, mettant chaque animateur sur la sellette, leur demandant de quadriller le quartier, passant tout en revue !

Son ouvrage (son testament), Manuel de l’animateur social, publié en 1971 (un peu après en France), reste d’une actualité cruciale et d’une adaptabilité réaliste. Quiconque se déclare militant de l’éducation populaire ne peut ignorer ce livre, bourré de réflexions justes et d’exemples à méditer. Un grand bonhomme qui a de grandes leçons à donner dans la société actuelle... Il a résumé dans ce livre dix règles de ce qu’il appelait son éthique de la fin et des moyens. Réponse à ceux qui prétendaient être d’accord avec le changement social, mais en refusaient les moyens, ne les jugeant, pour x raisons, pas acceptables. Le meilleur moyen de bloquer une avancée sociale reste la fausse adhésion au projet pour mieux le bloquer. Voilà les dix règles :

1. L’importance que l’on attache à l’éthique de la fin et des moyens est inversement proportionnelle aux intérêts que nous avons dans l’affaire (voire également la distance qui nous sépare du lieu du conflit).

2. La façon de juger la moralité des moyens varie selon les positions politiques de ceux qui se posent en juges.

3. En temps de guerre, la fin justifie n’importe quel moyen. Les accords de Genève [...] ne sont respectés que parce que l’ennemi ou ses alliés peuvent avoir recours à des représailles...

4. Ne jamais juger de l’éthique de la fin et des moyens en dehors du contexte dans lequel se passe l’action.

5. Le souci de la morale de la fin et des moyens augmente avec le nombre des moyens disponibles et vice-versa.

6. On aura d’autant plus tendance à évaluer les critères moraux des moyens que la fin est moins importante.

7. Le succès ou l’échec constituent un facteur déterminant de la morale. C’est ce qui fait la différence entre le traître et le héros.

8. Les critères moraux des moyens varient selon que ces derniers sont utilisés à une époque de défaite ou de victoire imminentes.

9. Tout moyen qui s’avère efficace est automatiquement jugé immoral par l’opposition.

10. L’animateur doit tirer parti de ce qu’il a et habiller le tout d’un voile de moralité.


Cela ne s’adresse bien sûr qu’aux animateurs qui se veulent de véritables acteurs du changement social, militants convaincus de l’éducation populaire...

Saul Alinsky ne prenait pas de gants avec les bailleurs sociaux, organisant des actions collectives pour forcer les propriétaires à respecter la loi et à remettre en état les taudis qu’ils louaient. Sa méthode était l’action d’abord, pour imposer le rapport de force, puis la négociation, apaisante, dans lesquelles il obtint plus d’une victoire. Aujourd’hui, le DAL est quasiment le seul à utiliser ces techniques d’organisation. Juger de ces dix règles avec cet exemple en tête.

Le conflit est le coeur même d’une société libre et ouverte. Si l’on devait traduire la démocratie en musique, le thème majeur serait l’harmonie de la dissonance.

La démocratie n’est pas une fin en soi mais le moyen par excellence de réaliser ces valeurs.

Livre édité au Seuil, collection Points Politique, en 1976, malheureusement épuisé, mais on peut le trouver en occasion.


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4 réactions à cet article    


  • Sam (---.---.209.123) 8 juin 2006 10:33

    Le conflit est le coeur même d’une société libre et ouverte. Si l’on devait traduire la démocratie en musique, le thème majeur serait l’harmonie de la dissonance.

    Absolument intéressant, comme cet article.

    Un manuel du combat de la rue pour ces droits, apparemment. Lucide et courageux. Ce combat on l’appelait, il n’y a pas si longtemps lutte des classes.

    C’est plus que jamais d’actualité, mais les médias de la Presse du Parti de l’Argent font passer le rouleau compresseur de la propagande pour disqualifier et le vocabulaire marxiste et les concepts, et surtout les luttes.

    Gageons que ce qu’ils qualifient au mieux de folklorique leur fait peur, en fait. Ils ont raison. A n’en pas douter, ils sont tellement outranciers pour leurs goinfres de patrons que le bon sens populaire va, tôt ou tard, en avoir assez.

    Il est déjà excédé, saturé le bon sens populaire, mais il trouve les mauvais exutoires et s’adresse à des icônes en service commandé du Kapital, comme Le Pen, richissime nazillon, ou Sarkozy richissime apprenti dictateur.

    Nul doute que ces pantins sinistres ne feront que peu, et pas longtemps, illusion...


    • Marsupilami (---.---.46.38) 8 juin 2006 11:01

      Ouaf !

      Merci pour ce très intéressant article. Je vais lire ce bouquin.

      Houba houba !


      • gem (---.---.117.250) 8 juin 2006 17:05

        très interessant, bien écrit, factuel. Bon article, qui donne envie de lire le bouquin. Manque juste le numéro ISBN et le titre original (car c’est un ouvrage américain, forcément).

        Les voici, grace à http://en.wikipedia.org/wiki/Saul_Alinsky

        # Rules for Radicals : A Pragmatic Primer for Realistic Radicals (1972) ISBN 0394443411

        Y’a que la rubrique qui est contestable : « citoyenneté », c’est le sujet du bouquin, mais l’article relève plus de la « culture ».


        • axion (---.---.174.250) 9 juin 2006 07:58

          Ca ressemble à un manuel de guerre, style sun tsu. Je pense que c’est valable pour ceux qui font des guerres (sociales ou véritables).

          Tous les articles sur la moralité, en particulier, parlent en fait de l’éthique d’une nation en guerre, y compris le fait que c’est le vainqueur qui écrit l’histoire.

          Cela ne semble pas spécifique de l’action sociale, et ne doit pas être appliqué par ceux qui font de l’action sociale.

          Cela semble spécifique à la guerre, et doit être appliqué à ceux qui sont en guerre (y compris en guerre sociale).

          Avant d’utiliser ces pratiques, l’individu doit donc se poser la question : « Ai-je envie d’entrer en guerre, ou de faire entrer en guerre d’autres citoyens ».

          Agir et négocier, c’est gagner la guerre, puis signer un armistice.

          Il faut maintenant préciser que la guerre n’est pas toujours le meilleure moyen d’arriver au résultat.

          Je serais curieux de connaître les victimes de la guerre sociale de Saul (ceux qu’il poussé à se battre et dont la situation sociale à finalement empirée). Je suppose qu’on ne les trouvera pas dans son livre ...

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