Si je n’ai pas Zemmour…
Une fois de plus, avec un art consommé de l’ambiguïté, Éric Zemmour a déclaré : « Je respecte les djihadistes prêts à mourir pour ce en quoi ils croient – ce dont nous ne sommes plus capables. » Le problème, c’est qu’il mélange avec perfidie plusieurs notions que Pale Rider se fait fort de clarifier.

Des mensonges enrobés de vérités
Zemmour a un fonctionnement très courant chez les populistes : il a le talent –hélas, c’en est un– de vous asséner une évidence ou une vérité qui est en fait un gros mensonge. Et l’instant où il dévie n’est pas toujours repérable.
Il a donc déclaré dans le numéro d’octobre de Causeur : « Je respecte les djihadistes prêts à mourir pour ce en quoi ils croient – ce dont nous ne sommes plus capables ». En cela, il rejoint l’ex-membre d’Action directe Jean-Marc Rouillan, condamné le 7 septembre à huit mois de prison pour apologie du terrorisme : il avait qualifié de « courageux » les djihadistes qui ont sévi en France. Là où on peut suivre Zemmour (et je l’ai écrit ici même), c’est qu’il est idiot de qualifier les djihadistes de « lâches ». On peut les accuser de tout, mais certainement pas de lâcheté. Il est probable que lorsqu’on emploie ce mot, on le confonde avec abjection, ce qui leur sied tout à fait.
Ensuite, Zemmour dit que nous ne sommes plus capables de mourir pour nos idées. Sur ce thème, on peut le renvoyer à la célèbre chanson de Brassens qui, écrite après deux guerres mondiales et des millions de morts souvent pour rien, mérite néanmoins quelque considération, même si personnellement je pense qu’il y a des idées qui, étant au service du prochain, méritent qu’on s’y sacrifie. Ainsi, la médecine humanitaire ou bien telle obscure mission chrétienne contre la lèpre sont composées de gens qui vont risquer leur vie (soit leur santé, soit leur sécurité, souvent les deux) pour sauver des gens dont personne ne s’occupe. Donc, Zemmour a tort : il existe encore des gens qui sont « prêts à mourir pour ce en quoi ils croient. » Seulement, ces gens-là sont très différents des djihadistes : ils donnent leur vie pour en sauver d’autres, alors que les djihadistes donnent leur mort en faisant mourir d’autres individus. Donc, sous une apparence sacrificielle, on s’aperçoit vite que ces sacrifices sont diamétralement opposés. Voir ce que je disais ici même des martyrs islamistes qui tuent, par opposition aux martyrs chrétiens que l’on tue.
Bidar, Camus…
Tout récemment, Abdennour Bidar, philosophe d’origine gauloise (auvergnate) et de confession musulmane, a sorti un livre admirable d’humanité et d’intelligence : Quelles valeurs partager et transmettre aujourd’hui ? (Albin Michel, 2016) Il y rappelle notamment que le courage n’est pas une vertu en soi : tout dépend de son objet. Et, au chapitre « Agir avec rectitude », il écrit : « Celui qui va mourir pour ses idées, c’est-à-dire se battre pour elles jusqu’au péril de sa vie, est-il un héros ou un fanatique ? L’histoire a donné des exemples de l’un et de l’autre, c’est-à-dire de résistants à l’oppression mais aussi de terroristes illuminés par telle idéologie politique ou religieuse. »
À la question de l’objet, c’est-à-dire de la fin, il faut ajouter celle des moyens. À cet égard, je renvoie Zemmour à la pièce d’Albert Camus Les justes, qui évoque les cas de conscience de terroristes russes au début du xxe siècle : le renversement du tsar excuse-t-il le fait qu’on tue des enfants ? Apparemment, ce genre de subtilité échappe au chroniqueur de RTL…
…et Saint Paul
Zemmour se disant « juif d’origine berbère », je le renvoie à un juif d’origine turque, Saul de Tarse, alias Saint Paul, qui, lui, brillait par son intelligence cérébrale et spirituelle. Il est l’auteur d’un des plus beaux textes de la littérature mondiale, le fameux Hymne à l’Amour (ou à la Charité), qu’il débute par ces considérations : « Quand je parlerais les langues des humains et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis une pièce de bronze qui résonne ou une cymbale qui retentit. Quand j’aurais la capacité de parler en prophète, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi qui transporte des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens, quand même je livrerais mon corps pour en tirer fierté, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert à rien. » (Première lettre aux Corinthiens 13.1-3)
Voilà qui règle la question. Sans amour, aucun combat ne vaut. Ceux qui meurent pour servir une cause et, pire, pour « servir Dieu » sans amour, sont morts pour rien. Paul dit que c’est du bruit pour rien, que c’est de la foi sans valeur, que ce sont des sacrifices inutiles. D’ailleurs, lui-même qui avait pourchassé les premiers disciples de Jésus de Nazareth parlait en connaissance de cause. Le fanatisme, il l’avait pratiqué avant de se laisser rencontrer par le Christ.
Donc, contrairement à Zemmour, je n’ai aucun respect pour les djihadistes. Je ne peux que leur souhaiter de faire leur « chemin de Damas », mais au sens de Saul de Tarse, pas au sens d’aller donner un coup de main à Daech en Syrie. Autrement dit, je leur souhaite de se convertir à l’Amour, s’il en est encore temps.
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