Tant qu’on a la santé…
Oui, tant qu’on a la santé, c’est le moment de s’interroger sur notre système « un des meilleurs du monde », mais dans lequel les fausses cartes vitales, anecdotiques, ou une demande « trop importante » de soins, creusent beaucoup moins le déficit que l’industrie pharmaceutique qui se goinfre ou l’Etat lui-même qui a fortement tendance à oublier ses obligations.
Une situation ponctuelle ?
On aurait tort d’imputer au seul coronavirus une situation dont les origines sont plus profondes. On se focalise trop sur l’immédiat, c’est-à-dire le manque de masques, de tests, de respirateurs, de lits de réanimation et désormais de médicaments nécessaires aux anesthésies et on s’efforce de trouver des réponses dans l’urgence et l’improvisation.
Tout le monde commande des masques, l’Etat, les Départements, les Régions ou certaines entreprises désireuses de se constituer une image sociale en mettant une bâche à leur nom sur les colis débarquant des avions. Est-ce qu’on s’interroge sur les effets en bout de chaînes ou les entreprises chinoises doivent se demander qui servir en premier en se posant la question sur l’inorganisation d’un pays où tout le monde semble décider de tout ? Enfin, il faudra bien faire les comptes un jour et donner le prix final d’un masque en incluant l’affrètement des avions.
On découvre et on met à l’honneur une entreprise de la Région d’Angers qui fabrique des masques, en oubliant peut-être que la course au prix le moins élevé a favorisé les commandes chinoises, lorsqu’on avait encore un stock stratégique, empêchant peut être cette entreprise de se développer ou pire encore en provoquant la fermeture d’autres unités de production en France.
Le résultat, c’est qu’aujourd’hui, à l’instar de l’armée française qui reculait « en bon ordre en 1940 » devant l’armée allemande, avant la déroute finale et l’armistice honteux, nous en sommes réduits à adopter une stratégie de confinement, d’éternuement dans le coude et de gestes barrière, qui découlent directement de la pénurie d’équipements et de fournitures. Il ne manque plus que les bandes molletières, comme en 40…
Comment en sommes-nous arrivés là ?
C’est tout simple, ce sont avant tout 20 ou 30 ans de libéralisme puis de néolibéralisme qui sont passés par là, avec leur cohorte de premiers de cordée politiques accompagnés de petits hommes gris des ministères avec leur tableau Excel greffés à la place du cerveau qui ont décrété que les économies devaient se faire sur l’hôpital afin de permettre de supprimer l’ISF ou de verser un CICE à fonds perdus à des entreprises qui n’en avaient pas besoin et qui n’ont pas créé d’emplois.
Ce sont les mêmes qui, « en même temps », et sur le même temps long, ont regardé d’un air détaché s’amplifier l’évasion fiscale et la fraude sociale ont favorisé l’adoption de règlements européens dérégulant le code du travail, favorisant le dumping social avec l’impact que l’on connaît sur l’équilibre des régimes de protection sociale.
Ce sont encore eux, « les gestionnaires » de l’hôpital public qui se sont mués en gérants d’hôtels avec une gestion drastique du nombre de lits, accompagnées de suppression d’emplois, de pénurie d’équipements et de médicaments puis de fermeture d’établissements. L’aménagement du territoire mis à mal…
Un seul mot d’ordre : diminuer l’offre publique de soins qui coûte sans doute un « pognon de dingue » au travers bien évidemment des « charges sociales » préjudiciables aux dividendes, et favoriser la prise en charge par les mutuelles, en déremboursant, pour parvenir, in fine, à un système, type américain, favorisant le privé où il faut s’endetter pour se faire soigner…
Voilà donc le schéma à l’œuvre dans lequel l’hôpital public, sur lequel repose la prise en charge des pathologies les plus lourdes et les épidémies et l’enseignement des futurs médecins, se délite.
Ajoutons à ce tableau, la systémisation des primes et heures supplémentaires désocialisées tant prisées par les grands groupes qui y voient des économies substantielles sur leur masse salariale mais qui creusent un peu plus à chaque fois le budget de la protection sociale
Pendant ce temps-là, le secteur privé à bien prospéré aux frais de la sécurité sociale et des patients soumis aux dépassements d’honoraires systématiques et il n’a jamais oublié de hurler au loup contre la « gabegie budgétaire » dans le public.
L’industrie pharmaceutique : l’entrisme et le profit à tous les étages
Comment expliquer le scandale du Médiator, sinon par une très grande proximité et une porosité entre les « confrères » des labos et leurs homologues décideurs publics. Etudes truquées et complaisance expliquent beaucoup de dérives et il a fallu des morts et la pugnacité du Docteur Frachon pour qu’un procès ait lieu. On ne soulignera jamais assez l’indécence du laboratoire Servier qui a fait trainer le procès pour au final arriver à diminuer le nombre de parties civiles, mortes en cours de route.
Combien de campagnes électorales et combien de formations de médecins ou de colloques organisés sous des cieux cléments, financés par les laboratoires et industriels du médicament et en échange de quels renvois d’ascenseurs ?
Certes, le filet s’est passablement resserré ces derniers temps, mais il reste des trous dans la raquette, comme la fixation des prix du médicament, affaire « d’experts » où l’opacité règne. Les nouveautés thérapeutiques n’en sont pas toujours et le Service Médical Rendu est parfois faible voire inexistant, mais il suffit d’organiser la pénurie sur un ancien médicament dont le brevet tombe dans le domaine public (généricable, donc) et de proposer un « nouveau » produit, plus cher, et qui, même non remboursé, prolongera le jackpot.
Le pire, ce sont sans doute les nouveaux traitements anti cancéreux ou contre les hépatites qui sont proposés à des prix exorbitants et que les hôpitaux ne peuvent prescrire qu’avec parcimonie.
Le « tri » entre patients bénéficiaires existait donc déjà avant la crise du coronavirus qui oblige aujourd’hui les médecins à faire des choix terribles entre les patients pour récupérer un lit de réanimation.
Bas les masques
L’imprévision, la bêtise crasse de la gestion par Bercy des budgets de l’hôpital public, le poids de l’industrie pharmaceutique qui délocalise ses productions face à un Etat « bienveillant » qui n’exige même pas à une gestion de stocks de précaution, notre dépendance vis-à-vis de l’Asie en matière de production et le chantage à la pénurie que cela permet pour toute une série de médicaments, tout cela était déjà en place avant la crise sanitaire du coronavirus.
Une fois la crise passée, fera-t-on le procès de ces manquements, des responsabilités politiques et administratives, en ne se focalisant pas uniquement sur le quinquennat en cours, et puisque nous sommes « en guerre », y aura-t-il des tribunaux, des condamnations à l’indignité nationale ?
Ce n’est pas d’une opération de blanchissement avec renvoi de la patate chaude sur les gouvernements précédents pour la gestion des masques, ou la mise au placard de quelques obscurs fonctionnaires dont nous avons besoin, mais d’une remise à plat du système, de son financement, de sa gestion. Notre souveraineté et par conséquent la nationalisation de secteurs économiques et pas uniquement ceux qui sont en difficulté conjoncturelle, devront être abordées sans tabou.
Et surtout, ceux des première, deuxième et troisième lignes, grâce à qui notre pays fonctionne encore, qui se seront sacrifiés pour sauver le pays du désastre sans l’aide des politiques et des énarques, seront-ils enfin reconnus à leur juste valeur autrement que par un beau discours, un beau diplôme ou une prime désocialisée ou défiscalisée qui contribuera à creuser un peu plus le trou de la sécu et le déficit public ?
Il nous faudra être attentifs à ce qui se passera « le jour d’après ». La solidarité semble être revenue à la mode. Cultivons-la et faisons taire les « économistes » abrutis qui se réjouissent des dividendes versés aux actionnaires, en s’élevant contre les prélèvements sociaux qui les limitent.
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