Travail, famille, patrie
Qu’est-ce que l’extrême droite ? Contrairement à ce qu’indique la dénomination, l’extrême droite n’est pas simplement la droite qui serait plus à droite que le reste de la droite. En fait, il faut distinguer trois extrêmes droites :
- L’extrême droite classique : elle a proliféré en Europe dans l’entre-deux-guerres et sa présence se prolonge jusqu’à aujourd’hui. Les valeurs qu’elle défend ne correspondent pas exactement à celles de la droite libérale. La formule trinitaire est « travail, famille et patrie ». Une partie de la droite libérale y adhère également mais ces valeurs ne font pas partie de son socle. Une quatrième valeur qui ne figure pas sur l’étendard de l’extrême droite est partagée avec la droite libérale : la propriété. Mais contrairement à la droite libérale, l’extrême droite classique met l’Etat sur un piédestal, admettant même qu’il soit autoritaire.
- Les dictatures militaires : ont pullulé en Amérique latine durant les années 1950, 1960, 1970 et 1980. C’est la droite libérale moins la démocratie. La politique économique est « tout au marché » et c’est d’autant plus facile de l’appliquer implacablement que l’opposition politique et syndicale est muselée. Le discours est certes teinté de nationalisme, mais il s’agit d’un leurre : ce type de gouvernement se met facilement au service du néocolonialisme pratiqué par des puissances extérieures.
- Le suprémacisme racial : c’est un mouvement obsédé par une idée presque unique : l’inégalité des races et la nécessité pour la race supérieure d’assurer sa domination. Il se focalise sur une ethnie vis-à-vis de laquelle il manifeste une haine enragée et qu’il harcèle. L’exemple le plus évident est le Ku Klux Klan. On pourrait également citer l’OAS. Des mouvements anti-migrants du XXIe siècle pourraient se retrouver dans cette catégorie si leur xénophobie débordante en arrive à faire de l’ombre aux autres traits typiques de l’extrême droite.
Des mouvements peuvent être « mixtes » en ce sens qu’ils associent des caractéristiques de plus d’un de ces paradigmes. L’antisémitisme très répandu dans l’extrême droite classique des années 1930-1940 en est une illustration.
L’extrême droite classique avait une véritable idéologie. On voit émerger au XXIe siècle des mouvements « populistes » dénués d’idéologie, anti-intellectuels, qui exploitent un sentiment de rejet des couches populaires à l’égard de la société. Le trumpisme en est l’illustration parfaite. Ces mouvements sont à la marge de l’extrême droite.
Les trois extrêmes droites partagent un rejet de la gauche. Avant-guerre, le bolchevisme servait d’épouvantail à l’extrême droite classique, qui en faisait l’ennemi numéro un. Mais en réalité, c’était toute la gauche qui était visée. Chacune des trois branches a son motif pour la détester :
- L’extrême droite classique ne pouvait que constater le fossé entre ses valeurs et celles de la gauche ;
- Les dictatures militaires, pour mettre au pas la classe ouvrière, doivent briser lzes organisations qui la défendent ;
- Les suprémacistes voient en la gauche le pôle cosmopolite qu’ils abhorrent.
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Même si ses avatars contemporains diffèrent de ceux d’avant-guerre, l’extrême droite classique demeure le modèle quintessentiel de l’extrême droite. Voyons cela d’un peu plus près.
A l’origine, elle était souvent liée au catholicisme conservateur ; pensons à l’Action Française, au Fascisme de Mussolini, au Franquisme. C’est souvent de là qu’elle tire son antisémitisme. Mais ce n’est pas une règle générale ; par exemple, la religion n’intéressait pas le nazisme.
Examinons tout à tour les trois piliers idéologiques tels qu’ils figuraient sur l’étendard de l’Etat Français de Pétain.
- Travail
Le principe est d’opposer la collaboration des classes à la lutte des classes de la gauche. Il ne s’agit pas d’une collaboration entre égaux ; elle a donc le goût de la soumission. Pour la faire admettre par les travailleurs, il faut qu’elle leur rapporte quelque chose. C’est la raison pour laquelle la plupart de ces mouvements préconisent certains avantages sociaux. Il n’est pas inévitable que la classe ouvrière soit moins bien traitée sous la coupe de l’extrême droite classique que sous le règne de la droite libérale mais la neutralisation des syndicats par un gouvernement autoritaire pousse le rapport de forces dans cette direction. Prenons le cas du nazisme. Dans un premier temps, sous l’influence de son « aile gauche » (la SA), le nazisme appelait à une énigmatique révolution sociale populaire. Peu agrès la prise du pouvoir, à la suite de la nuit des longs couteaux, ce slogan fut enterré ; la classe salariée dut endurer des conditions de travail pénibles.
- Famille
La famille préconisée est la famille patriarcale traditionnelle, celle qui souffre d’être confrontée à de nouveaux modèles au XXe siècle. Le pater familias est seul maître à bord. Les autres membres obéissent. La vision est nataliste (la patrie a besoin de soldats). La femme a la vocation d’être épouse et l’épouse d’être femme au foyer et mère de famille nombreuse. Les enfants sont soumis à une éducation stricte. Toutes les tendances sexuelles qui ne se conforment pas à ce modèle sont abhorrées, principalement l’homosexualité et la transsexualité, accusées d’affaiblir le modèle traditionnel. Cet affaiblissement relève du fantasme, mais il permet de désigner un groupe bouc-émissaire.
- Patrie
Les nations sont perçues comme rivales et même ennemies. Il faut donc se préparer à la guerre, d’où une certaine révérence envers tout ce qui est militaire. Le nazisme exemplifie le mieux jusqu’où peut aller le désir de guerre. Face à la décolonisation de l’après-deuxième-guerre-mondiale, les mouvements d’extrême droite ont généralement appuyé les guerres coloniales menées par les métropoles. La nation que l’extrême droite classique révère se doit d’être « pure », débarrassée de corps prétendument étrangers. C’est une des racines de l’antisémitisme et de la xénophobie.
En conclusion, ce n’est pas LE travail, LA famille et LA patrie que prône l’extrême droite, mais une certaine idée de celles-ci. Et sans doute pas la plus apte à apporter le bonheur à l’humanité.
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La droite libérale se fait le hérault de l’individu. Pour l’extrême droite classique, l’individu ne se réalise pleinement que par la collectivité. C’est un prolongement du patriotisme. La nation est quelque chose de plus grand que l’individu. Le soldat donne sa vie pour sa patrie. L’Etat d’extrême droite ne doit d’ailleurs pas respecter les droits de l’homme qui sont des droits individuels. Dans la société, l’individu est surtout réduit à son RÔLE. Son rôle au sein de la patrie (comme soldat), son rôle au sein de la famille (par exemple, mère), son rôle dans l’économie où le fascisme veut l’embrigader dans des syndicats « verticaux », qui ne servent d’ailleurs à rien d’autre qu’à l’embrigader.
L’extrême droite peut ainsi se révéler étouffante pour l’individu. Or la mentalité du XXIe siècle est devenue très individualiste, plus qu’à aucun autre moment de l’histoire. L’idéal collectif de l’extrême droite trouve là une opposition potentielle. Celle-ci a troué un moyen de s’en défausser : se mettre au diapason de l’individu quand il fait face à des contraintes que le sens civique fait peser sur lui. Que ce soit en matière d’écologie ou de protection contre une épidémie, l’extrême droite flatte chez l’individu le côté adolescent qui sommeille en chacun. De quoi lui donner un faux sentiment de liberté. Ce qui explique pourquoi l’extrême droite est presque systématiquement anti-écologiste et qu’on y trouve beaucoup de climatosceptiques.
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