Troglobal, expérience autogérée
Tout bon squatter, quand il trouve un lieu agréable et abandonné, se met en tête de l’aménager puis de l’occuper. Ceux-là n’échappent pas à la règle, mais la démarche est atypique. On n’est plus à Belleville ni à Bagnolet, mais dans le berceau de la culture et de l’art de vivre à la française, cet avant-poste de la civilisation que, en leur temps, Ronsard et Du Bellay avaient encensé. On ne s’installe donc pas « à l’arrache » comme à l’accoutumée, mais dans les formes. Le terrain est à vendre, heureusement pas trop cher, alors il est acheté. Ainsi naît le village Troglobal.
"L’exercice d’une liberté suppose la capacité d’en jouir"
Présentée comme utopie, l’autonomie, l’autogestion est possible dans la vie de tous les jours. Déjà l’objet de multiples expériences par le passé, une expérience ici de village autogéré nous démontre que c’est encore possible aujourd’hui.
Des habitations de troglodytes, il y en a eu de tout temps entre Saumur et Cholet. La roche des coteaux y est particulièrement tendre. Depuis des siècles, on creuse donc la pierre pour en extraire des matériaux de construction. C’est avec le tuffeau issu de ces galeries qu’on a bâti les châteaux de la Loire. Et comme, parfois, le bonheur des riches fait aussi celui des pauvres, nombre de gueux de la région ont choisi de se loger dans l’espace libéré par les carriers : on estime qu’au Moyen Âge un quart de la population profitait de ces grottes, douces l’hiver, fraîches l’été.
Au cours des années 50, le lieu est abandonné progressivement par les carrieristes au profit de la ville. En 1997, Zaz, tailleur de pierre et archéologue, achète pour 27000 euros avec son ami Pako ces grottes. Son but : partager son paradis gruyère. Ici, les troglos ont inventé l’après squatt. Si chacun peut se faire son trou et choisir sa grotte, l’objectif est de construire un vrai village avec son auberge, son potager, et sa monnaie. Au village "Troglobal", la population varie de 20 personnes en hiver à plus de 100 l’été lors de festivals "foirinettes" ou des free parties.
Et tout spécialement ici, dans ce petit coin perdu, comme l’explique un des redécouvreurs du lieu sur Internet : « C’est un village entier qui fut construit ici jadis. On estime que les premières excavations datent du IXe siècle. Ce lieu a perduré jusqu’à l’aube de l’an 2000, rapportant les marques de chacune des -périodes de l’histoire. » Car, avec le progrès, la plupart des va-nu-pieds migrèrent vers des logements supposés plus civilisés. Le réseau souterrain n’avait plus pour seuls locataires que des bouteilles de bon vin et des champignons de Paris. C’est alors qu’arrivent nos lascars. Sans entrer dans les biographies détaillées, on peut dire qu’ils ont côtoyé à peu près tout ce qui se faisait dans la mouvance alternative de cette époque, celle où l’on dansait le pogo au son des Bérurier Noir dans le tohu-bohu des squatts autogérés.
Tout bon squatter, quand il trouve un lieu agréable et abandonné, se met en tête de l’aménager puis de l’occuper. Ceux-là n’échappent pas à la règle, mais la démarche est atypique. On n’est plus à Belleville ni à Bagnolet, mais dans le berceau de la culture et de l’art de vivre à la française, cet avant-poste de la civilisation que, en leur temps, Ronsard et Du Bellay avaient encensé. On ne s’installe donc pas « à l’arrache » comme à l’accoutumée, mais dans les formes. Le terrain est à vendre, heureusement pas trop cher, alors il est acheté. Ainsi naît le village Troglobal. Mine de rien, en signant l’acte, nos ex-rats des villes tournent la page des installations éphémères pour se confronter au développement durable et à ses aléas. Car tout est à faire et, souvent, à réinventer. « Nous nous sommes mis en rapport avec différents spécialistes des troglodytes et de la construction en pierre. Ils nous ont conseillé d’opter pour la restauration plutôt que la rénovation. Rénover consiste à bâtir du neuf sur de l’ancien, mais les matériaux modernes ne répondent pas aux exigences de l’ouvrage. Restaurer, c’est remettre en état de fonctionnement en utilisant les méthodes de construction originelles du bâtiment » peut-ont lire sur le site.
Et c’est exactement ce qui fut fait en limitant au strict minimum les ajouts modernes, lesquels réclament parfois un maximum d’ingéniosité : un système de phyto-épuration de l’eau, par exemple, ne sort qu’assez rarement de terre tout seul. Idem pour les toilettes – fussent-elles sèches, comme le veulent les règles du recyclage écologique. Alors on manie la pelle, la pioche, la truelle, la chignole. Quand on ne sait pas, on apprend. Il y a toujours un copain qui passe et qui lui, sait faire, et enseigne à quelques autres son tour de main. C’est ainsi que, au fil des chantiers, une communauté informelle s’est constituée, cimentée par l’entraide au travail et les libations, mais qui participe aussi à la formation des tailleurs de pierre de tout le pays.
Même si la limite n’est pas claire entre travail et amusement, on ne vient pas glandouiller. Le lendemain de mon arrivée après une soirée certes bien arrosée, il était temps de se mettre à l’ouvrage et du boulot il y en a, continuer les excavations pour construire de nouveaux espaces de vie, tailler la pierre, défricher le potager, entretenir un minimum es lieux et le plus important assurer la bouffe du soir pour tout le monde. Personne n’est jugé sur la qualité de ses compétences mais sur son investissement. Une petite dizaine de personnes résident à l’année à Troglobal. En y venant, on est certes aperçu comme un alien, mais on est vite accepté et surtout pour ce qu’on est.
Troglobal, un village perdu dans l’Anjou, loin des oppressions et des préoccupations futiles quotidiennes. Une vraie leçon de vie mais surtout une vraie démonstration qu’autre chose est possible.
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