Tunisie : Bataille rangée autour d’un fleuron de la république
Par Lotfi Aïssa
Professur d'histoire à l'université de Tunis
L’université ne va pas très bien en ce moment. Toute une serie d’évènements malencontreux relevant de la surenchère partisane prompte à nuire au bon déroulement de ses activités, prouvent une volonté à peine cachée de compliquer une situation par trop tendue qui risque de mettre à mal une institution dont la mission est de former les jeunes générations ; et de garantir l’éclosion d’une élite capable de se hisser à un niveau comparable à celui des pays développés.
Dure était la décennie passée le moule de la formation universitaire a été complètement brisé par une sollicitation sans précédent ébranlant la qualité de l’encadrement et par un marché de travail par trop saturé répondant très mal aux attentes légitimes d’un nombre faramineux de nouveaux diplômés. Une telle situation à sonné le glas d’un fleuron de la république désabusé et complètement délaissé à son triste sort. La réforme imposée d’en haut par des décideurs autosuffisants qui se croyaient capables de gérer la crise de loin en imposant un nouveau formatage basé sur un rapport étriqué à la professionnalisation des savoirs, a laissé place à la torpeur et à l’expectative après un bilan ostentatoirement négatif.
Passée l’euphorie des premiers moments de la révolution, la descente sur terre annonce une réalité complexe dont la prise en charge a complètement échappée à des décideurs en manque de légitimité qui ont trop jouer sur un attentisme laxiste et des acteurs politiques profondément clivés autour de questions peu productives ne servant en priorité que des impératifs électoraux.
Le constat et sans appel une rentrée des plus difficile avec des opérations d’intimidation ici et là dans plusieurs établissements universitaires visant à instaurer un climat d’agitation attisant la haine entre différents protagonistes et un « débat » musclé et complètement suranné autour d’un accoutrement religieux qui ne s’accommode guère avec les impératifs de communication pédagogique et de transmission du savoir.
Le réchauffement des esprits et la prise en charge du débat par une société civile légitimement alarmée risque de gonfler la surenchère et de crier une ambiance malsaine sapant le peu de crédibilité et le minimum d’autorité dont disposent aujourd'hui les enseignants pour mener à bien leur tâche formatrice et émancipatrice.
Un petit rappel historique nous éclaire sur un acheminement qui prend ses origines dans les années quatre vingt ou une « génération dite perdue » devant laquelle la machine de l’Etat-parti a sciemment fermé tout horizon prompt à engager une vie citoyenne et une possible alternance politique trouve dans le paysage universitaire une ouverture à la mesure de ses ambitions, l’objectif étant bien entendu de contribuer à la formation académique et civique des nouvelles générations. C’est à cette même génération qu'on essaye aujourd’hui de compliquer la donne en engageant comme par enchantement un bras de fer entre elle et une autre « génération sans futur », soufrant des multiples maux d’un ascenseur social en panne depuis bientôt deux décades.
C’est là ou se situe la lame de fond expliquant la réalité tragique ou nous en sommes. L’accoutrement ostentatoire des barbus et des mounaqqabats n’est au fait qu’un trope ; un simple fractal autour duquel s’exacerbe les pires phobies de part et d’autres. La fracture sociale est bien là pour nous rappeler la triste réalité du naufrage collectif au quelle nous assistons. Le malaise n’est plus latent la crise est en passe de s’installer durablement dans notre pays.
L’université n’est plus ce qu’elle a toujours été, un havre de paix dont la première mission et de produire le savoir et de le transmettre aux générations futures. L’exception n’est plus de mise et la sérénité indispensable pour former les élites laisse place à la cacophonie d’un militantisme effronté, à la surenchère verbale, à la crudité malsaine des phrases assassines.
Le monde des lettres, des arts et des humanités parait aujourd’hui – et à juste titre d’ailleurs- représenter le creusé tout indiqué mettant à nu le malaise social et culturel généralisé. C’est incontestablement le maillon faible de la chaîne, là ou la crise a déjà pris une envergure virant à l’absurde. La fuite en avant ne date pas d’aujourd’hui. D’aucun sait le traitement peu privilégié réservé à de telles spécialités au point qu’elles en viennent à jouer le rôle sciemment humiliant de « dépotoir » pour tous les laissés pour compte du système d’orientation. Aucune solution ne pointe à l’horizon, le verrouillage du marché de l’emploi devant ce type de formations n’a d’égal que le ridicule du concours ouvert chaque année pour ancrer dans les esprits de milliers de diplômés l’illusion d’une bien hypothétique possibilité d’embrasser la carrière d’enseignant.
Une humiliation sans précédent se rejoue chaque année à « une génération sans futur » forcée à vivre le calvaire de la marginalisation, en acceptant de se jeter dans le précipice d’un marché de dupes fait de démerde et de débrouille, ne comportant aucune garantie et ce pour des milliers de jeune sortant des universités et détenant des qualifications perçues comme le fruit d’un parcours de combattant, dont la finalité est d’acquérir le statut hautement prisé de cadre, mais dont la triste réalité et de venir grossir les rangs des trois millions de tunisiens chômeurs et analphabètes.
Un aussi triste bilan ne peut que clouer l’université au pilori. La bataille rangée autour de l’accoutrement ostentatoire des salafistes qui bat son plein en ce moment, n’est au fait que la partie immergée de l’iceberg. Le vrai malaise de l’université se situe ailleurs, dans l’inadaptation de ses formations au marché de travail, dans la centralisation outrancière de la décision, dans le peu d’intérêt réservé aux libres initiatives et dans le manque de moyens mis à la disposition aux acteurs et aux gens de métier pour garantir leur réalisation, bref dans cette volonté à s’opposer à toute forme d’imagination d’une société en mal de devenir.
J’espère qu’on y viendra au plus vite à affronter sereinement ce champ de mines qui est celui de la formation universitaire, en refusant de céder à toutes les formes de manipulations et d’amalgames non dénuées de surenchère politicienne.
A quoi servent tant d’institutions et tant de diplômes qui n’ouvrent guère sur le moindre horizon et qui risquent à terme de compliquer davantage la triste situation de nos universités et de brader l’avenir d’une jeunesse en manque de dignité ?
Un moratoire de quelques années sur un tas de filières, même s’il sera très mal perçu, nous semble aujourd’hui de mise. Il donnera aux enseignants chercheurs la possibilité de repenser leurs métiers et à des milliers d’étudiants l’opportunité d’être enfin orienter en conséquence. C’est là peut-être un signal fort prouvant la volonté des nouveaux décideurs de rompre avec la politique de l’autruche et de mettre fin à une parodie honteuse en empêchant la dilapidation de l’argent des deniers publics. Le reste ressemblera après à un faits divers produisant beaucoup de tapage et ne recelant que peu d’effets. Assumant la responsabilité de répondre aux vraies questions et laissant de coté tous qui nous éloigne de nos objectif : Devenir un peuple libre donc nécessairement responsable.
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