Un oiseau de proie

Le bailleur impitoyable

Comme la corneille avec laquelle il est en connivence, le bailleur broie d’une main de fer les mauvais payeurs et les êtres fragiles. Véritable charognard, il fond impitoyablement sur les locataires en difficulté, mettant à la rue ceux qui ne peuvent honorer leurs dettes. Qui fait son nid comme il se couche devant l'intransigeance de cet oiseau de proie, ne sera pas jeté à la rue, les autres iront jouir du bonheur incommensurable de dormir sous les ponts ou à la rue.

Point de prise de bec avec cet oiseau de proie, l'huissier seul fera loi, dépouillant sans vergogne les miséreux. D'un trait de plume, le bailleur signe l'arrêt d'expulsion, jouissant ainsi d'un pouvoir qui lui donne des ailes et une jubilation sans pareille. Œuvrer dans le social n'est certes pas une raison pour faire preuve de mansuétude. La marque des grands et des puissants, c'est l'absence de cœur et de commisération.

Le bailleur ne dort jamais sur ses deux oreilles. L'œil aux aguets, il lorgne les traites non honorées dont il fait naturellement son beurre. Soupe au lait, il ne supporte aucune défaillance, pas le plus petit retard. Il attend son heure pour fondre sur l'oisillon qui rate son envol, sur les œufs laissés sans surveillance lui qui n'a jamais mis les siens dans le même panier.

Se prendre pour un aigle quand on n'est qu'une corneille est sans nul doute la racine de ce mal qui le ronge, le rend ainsi impitoyable pour les plus faibles tout en lui laissant un goût amer dans la bouche quand il déchiquète ses infortunés victimes. La jubilation du bourreau, le frisson de la traque, la jouissance de l'hallali sont les moteurs de ses actions, l'essence même de sa raison de sévir.

Pour lui, un foyer est à prendre au pied de la lettre. Le feu couve, la première étincelle attisera l'incendie, celui qui ne laisse que ruine et cendres après son intervention. Bailleur certes mais pyromane plus sûrement pour jouir pleinement d'une puissance que lui donnent des lois qui font bien peu de cas de la misère du monde.

Agir ainsi, c'est se persuader d'éradiquer la vermine, ces mauvais payeurs qui mettent à mal les rentiers qui à la sueur de l'affront, vivent de leurs pactole sans se soucier d'une conscience qu'ils laissent au repos, dans le secret des comptes bancaires. Le cœur est bien trop encombrant pour exercer cette tâche quand on a fait vœu d'inflexibilité.

Pour corser le tout, le bailleur s'arroge le pouvoir de choisir ses interlocuteurs, fuyant les colibris et les blanches colombes. Dans sa volière, il convient d'avoir le bec crochu, les serres acérées et le goût du sang dans la bouche. Qu'importe les règles d'usage, le bailleur s’en émancipe pour agir à sa guise dans cette jungle locative qu'il entend diriger à sa guise.

D'autres drôles d'oiseaux, vêtus de noir, portant houppette, se chargeront peut-être de rétablir la morale dans cet univers impitoyable. Il est à espérer que la justice coupera les ailes de ce bailleur corneille. Rien n'est jamais certain en la circonstance quand dans la volière la loi du plus fort est la règle communément acquise.

J'ai pris la plume pour, d'un texte digne du vol du corbeau sur la plaine, dénoncer sans citer ceux qui se refusent au droit de cité. Ne mettant jamais tous mes œufs dans le même panier, je vous confie le rôle ingrat de donner du sens à ce billet amer. La prudence veut de ne point nommer ceux qui agissent, avec la bienveillance des puissants à l'encontre de l'humanité.

La guerre des classes dans laquelle sont pris en otage les plus humbles, les plus en détresse, les plus démunis, mérite des francs-tireurs ou des écriveurs abscons pour mettre sur le grill les corneilles et autres bailleurs sans foi ni loi. Si l'exercice est purement gratuit, il mettra un peu de baume au cœur à leurs victimes.

À contre-cœur

Texte dédié à Smina Kernoua et sa liste interdites par un bailleur qu'il convient de ne pas nommer alors que son association est agrée et les candidats à jour de leurs loyers.

Illustrations de

Laurent Falco