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2015, année hellénique

En plein psychodrame sur la enième poussée électorale du FN, retour sur ce qui restera l'un des faits marquants de l'année 2015, la tragédie de la dette grecque, que le théâtre franco-français a transformée en pantalonnade....pour le plus grand malheur des citoyens, condamnés à n'y rien comprendre.

Tentative (tardive) d'éclaircissement

Dès avant d'adopter l'euro, la Grèce était déjà dans une situation budgétaire critique, semble-t-il bien connue des initiés : laisser la Grèce, créateur de la déesse antique Europa, hors de l'euro semblait inconcevable. Il fallait donc l'y intégrer à marche forcée.

L'adoption de la monnaie unique n'a toutefois aucunement assaini les comptes de l'État. Mieux, elle a généré le surendettement : pour les financiers et les banquiers, la zone euro était alors considérée dans sa globalité et chaque pays bénéficiait d'un taux d'emprunt unique, résultant de la moyenne du crédit accordé à l'ensemble. Un ensemble très hétérogène a des extrêmes qu'une moyenne ignore… Bénéficiant de cette garantie, la Grèce a pu emprunter à moindre coût et ne s'en est pas privée.

Précisons que les raisons de cet endettement ne sont pas forcément illégitime en elles-mêmes. Sans parler gabegie, corruption, clientélisme ou fonctionnaires budgétivores, c'est aussi par cette voie que la société grecque, politiques et consommateurs, souhaitait se mettre aux standards de l'Europe développée1 . Ce n'est certes pas très « moral », mais est-on sûr de toujours résister à la tentation ? La bulle immobilière française, alimentée par des taux d'emprunt au plus bas, n'est-elle pas une bonne illustration d'un tel phénomène ? Qui oserait aller à l'encontre des professionnels de l'immobilier prompts à pleurer misère dès que le marché se ralenti ?

Précisons aussi que théoriquement les États ne sont nullement tenus de trouver leurs ressources financières extraordinaires par emprunt aux « marchés » (banques, fonds d'investissement…). Rien n'oblige non plus à boucler systématiquement ses années grâce à l'endettement. Mais ceci est un autre débat, qui est finalement de peu d'utilité ici puisque les dettes grecques sont maintenant bien là.

Lorsque les gouvernements grecs n'ont pu dissimuler leurs difficultés financières, leur taux d'emprunt s'est réajusté brutalement, à la hausse toute, étranglant encore le pays. À partir de 2010, les autres pays européens ont progressivement « soulagé » des créanciers privés qui s'en sortent décidément bien en reprenant en charge ces dettes de plus en plus douteuses. Les créanciers de la Grèce, maintenant, c'est nous !

La Grèce est peu à peu devenue le bouc émissaire d'une Union des borgnes qui a déroulé implacablement une réponse mécanique : dérégulation, économies budgétaires, privatisations, austérité. L'arrivée du gouvernement Tsipras, qui comptait remettre en cause cette réponse, en fut l'apogée. La « stabilité budgétaire » [des États] gravée dans le marbre des traités, est resté l'alpha et l'oméga de l'embryon d'une politique économique européenne...quand bien même la crise financière de 2008 puis les crises de la dette souveraine des années 2010 ont largement démontré, pour ceux qui pouvaient en douter, que l’État n'est pas le seul acteur de l'économie, et que la dette privée devient facilement une dette publique...tout comme une dette publique excessive fragilise les banques prêteuses.

La gestion de l'État grec a été gravement lacunaire. Une chance.

Ce n'était pas le cas en Irlande et en Espagne, deux pays exemplaires en la matière jusqu'à la crise de 2008, qui se sont trouvés ensuite en graves difficultés.

Le premier après la remise à flot de son système bancaire, qui a frôlé la liquidation après la crise de 2008.

Le second après l'éclatement d'une bulle immobilière qui a sinistré toute son économie.

Mis au pilori de l'Union – voir l'acronyme dégradant de « PIGS » utilisé pour qualifier les 4 « suspects » (Portugal Irelande Greece Spain) ou le qualificatif condescendant de "pays du Club Med" employé par la presse populaire allemande – l'Espagne n'a toujours pas mis la tête hors de l'eau, tandis que l'Irlande n'a eu d'autre solution que d'appliquer une politique d'économies drastiques pour réduire « ses » dettes.

Évoquant l'hypothèse de la sortie d'un pays de la zone euro, Jean Pisani-Ferry, dans son livre Le Réveil des démons. La crise de l'euro et comment nous en sortir ? , Fayard, 2011, a décrit la possibilité d'une « expulsion », qui prendrait la forme d'un ultimatum : « il est toujours possible de forcer un État à se soumettre ou à se démettre. Si les conditions sont suffisamment humiliantes, on peut être sûr qu'il choisira la 2e solution. […] Il est même possible de le forcer à une sortie précipitée en coupant à ses banques l'accès à la liquidité de la banque centrale. La BCE pourrait le décider […] et ce serait à l'évidence extrêmement conflictuel » (p 147 148). Cette hypothèse « extrêmement conflictuelle » s'est pour ainsi dire réalisée sous nos yeux stupéfaits aux mois de juin-juillet de cette année, au plus fort de l'affrontement entre le gouvernement Tsipras et ses créanciers (référendum du 5 juillet).

Menacées par les retraits massifs des particuliers, plombées par une masse de créances douteuses, les banques grecques ont tout simplement...fermé boutique à compter du 29 juin, lorsque la Banque centrale européenne a très subtilement décrété un embargo monétaire sur le pays en réponse à l'échec des négociations entre le gouvernement Tsipras et ses créanciers :

L'assistance d'urgence était maintenue...sous réserve d'une limitation drastique de l'activité (limitation des retraits aux distributeurs à 60 €, interdiction de faire sortir des capitaux). Un pays tout entier a été de fait interdit bancaire pendant plus de 15 jours.

« Ne vous inquiétez pas si vous perdez votre souveraineté monétaire » nous annonçaient les promoteurs de l'euro. À l'évidence avoir une banque centrale délocalisée à Francfort, déconnectée de « son État », n'est pas aussi anodin...

Et derrière le vernis européen, les intérêt nationaux sont farouchement défendus. Il n'y a guère qu'en France, où se sont affrontés avec un certain ridicule « pro-grecs » (gauche « anti austéritaire ») et « pro-allemands » (droite sarkozyste, centre-gauche « moral »), qu'on n'a pas semblé le comprendre.

Toutes les décisions des gouvernements grecs et allemands étaient dictés par leur seul intérêt national :

Après 6 mois de tergiversations, Tsipras, qui ne voulait plus de l'austérité mais ne souhaitait pas lâcher l'euro, a fait accepter un plan d'économies punitif encore pire que les précédents. Le but demeure, dès que l'inévitable défaut (partiel ou total) sera constaté, de transformer en subventions les dettes accumulées, qui ont permis au pays, non sans effets pervers, d'accéder à des ressources.

Du côté des dirigeants allemands, conservateurs et sociaux-démocrates à l'unisson, il n'est pas question de faire mine de céder à la Grèce.

« Homme malade » de l'économie européenne à la fin des années 90 après l'absorption de l'ex RDA, l'Allemagne a retrouvé une compétitivité au prix d'une réorientation complète de son appareil productif et d'une cure d'amaigrissement prolongée des salariés au profit des entreprises. Sembler subventionner « un mauvais élève » à fonds perdus est inenvisageable pour une société qui estime avoir fait de même avec l'ancienne Allemagne de l'Est.

Face à cet affrontement qu'à proposé le gouvernement français, qui est pourtant créancier en second de la Grèce ? La seule ligne exprimée était le maintien coûte que coûte de la Grèce dans la zone euro, une position de synthèse « hollandaise » entre des demandes contradictoires, comme si la France était arbitre d'un match où elle joue : la Grèce doit rester dans l'euro...et doit payer ses dettes :

Ainsi Michel Sapin :

« La dette est odieuse, odieuse pour tout le monde » 2.

Probablement faut-il voir dans cette apathie les conséquences d'un non-dit : fidèle à une ligne très européiste, François Hollande souhaite sans doute mutualiser complètement pertes et profits et aller vers un budget fédéral. Cette position était décidément indéfendable ouvertement, dans le contexte d'un scepticisme de plus en plus hostile des opinions et de l'affrontement violent entre la Grèce et l'Allemagne.

D'où la paralysie complète de l'exécutif français, avantageusement présentée comme « une médiation », qui a en réalité contribué au pourrissement de la situation durant de longues semaines. Qu'on ne vienne pas déplorer, ensuite, « l'affaiblissement de la position internationale de la France »… Affaiblissement tout court, en réalité, d'un pays qui veut jouer collectif lorsque tous semblent la jouer perso.

Parallèlement, la « gauche de la gauche » et « la gauche anti-austéritaire » ne sortent pas grandies de l'affaire. De Mélenchon à Montebourg, tous ont déclaré leur flamme à Alexis Tsipras puis, après son retournement de la mi-juillet, à son flamboyant ex ministre de l'économie. Tous ont évoqué « le respect de la démocratie » contre « l'austérité européenne ».

Lors de sa fête annuelle de la rose de Frangy-en-Bresse, rebaptisé pour l'occasion « Frangy-en-Grèce », Arnaud Montebourg se posait en donneur de leçons avec Yannis Varoufakis : « vous votez pour la gauche française [ou grecque], vous vous retrouvez avec la droite allemande au pouvoir »3.

Ces déclarations témoignent d'un contresens assez grossier :

La démocratie c'est aussi accepter la loi de la majorité si on est minoritaire.

MM Mélenchon, Varoufakis et Montebourg s'affirment avec constance pro européens et anti austérité. Mais, au fait, sont-ils sûrs que l'austérité n'est pas souhaitée par une majorité des Européens ? L'ont-il demandé aux autres pays ?

Il est facile de développer des idées mais plus difficile, visiblement, de les faire partager :

non sans une certaine lâcheté, les responsables de la gauche française ont semblé confier à la gauche grecque, parvenue à la tête d'un pays exsangue, le soin d'appliquer à l'UE, dans son entier, le programme...qu'ils n'ont pu imposer à François Hollande en 2012 !

Quant à l'euro…

S'il n' a « ni propriétaires ni locataires », créer une monnaie unique revient bien, de fait, à confier un rôle majeur aux économies les plus importantes, selon la loi des moyennes rappelée plus haut. L'Allemagne, plus grosse économie de la zone euro, y pèse naturellement de tout son poids. Surtout lorsque personne ne conteste son orientation « ordo-libérale » (monnaie forte, inflation limitée, indépendance de la banque centrale, orthodoxie budgétaire – sur ce dernier point, quand ça l'arrange).

Et, par définition, une démocratie européenne conduit effectivement les plus petits à perdre leur souveraineté et à accepter, peut-être, un jour, de se retrouver sous la direction des conservateurs allemands. Toujours par définition, une démocratie européenne revient bien à accepter l'inutilité d'un référendum dans un seul pays.

Cette critique du fonctionnement de l'UE « au nom de la démocratie » démontre en réalité qu'il n'y a pas démocratie européenne. Un peu comme dans des pays en transition comme la côte d'Ivoire, où aucune faction ne veut être dominée par l'autre.

Des analyses qui exacerbent le nationalisme...au nom de la solidarité européenne. Il fallait le faire. Tel est l'aboutissement, désespérant, d'un débat franco-français aux airs de miroir déformant.

 

2Cité dans Marianne n° 929 du 6 février 2015, p 21.

3Cité dans L'Est républicain du 24 août 2015..


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2 réactions à cet article    


  • G. N’Doutpa 21 décembre 2015 13:35

    Entièrement d’accord avec cette excellente analyse..
    Comment ne pas voir que l’Allemagne renoue avec son moralisme arrogant qu’elle se garde bien de s’appliquer à elle-même en matière de dettes non remboursées.
    Comment occulter son rôle de puissance économique tutélaire vis à vis de pays Est-européens, notamment ?
    Que nous dit l’histoire de la deuxième guerre mondiale sur les rapports Allemagne / Ukraine, Allemagne / Grèce ? Sous quelle forme cela réapparaît-il aujourd’hui ?
    Où sont les écolos allemands qui venaient entraver les trains de résidus nucléaires en France et sont maintenant silencieux dans les fumées âcres des centrales à (mauvais) charbon qui nous salopent l’air jusqu’en France ?
    Qui, toujours brandissant la morale humanitaire, crée un appel d’air considérable en direction des réfugiés en quête de tranquillité ? Comment ce beau geste est-il mutualisé en Europe ?
    Combien de temps faudra-t-il encore une fois, pour que l’on réalise que le premier nationalisme en Europe est allemand ?
    L’Europe c’est :

    • des mouvements centripètes vers l’Allemagne
    • des mouvements centrifuges dans les pays « secondaires » comme la France (Corse, Pays Basque, Unser Land,...), l’Espagne (Catalogne,Pays Basque), Italie (Lombardie), Royaume Uni (Écosse), à suivre.
    L’Europe, c’est la Paix. C’est la guerre économique du temps de paix. En attendant mieux.
    Au fait : comment la dernière guerre des Balkans s’est-elle déclenchée ?

    • zygzornifle zygzornifle 22 décembre 2015 13:39

      Héllé nique la France hurlèrent nos terroristes français « chance pour la France » :

      - Khaled Kelkal 1995 

      - Boualem Bonsai 1995 

      - Karim Boussa 1995 

      - Abdelkader Bouhadjar 1995 
      - Abdelkader Mameri 1995 

      - Main Ait Ali Belkacem 1995 

      - Nasserine Slimani 1995 

      - Rachid Ramda 1995 

      - Safe Bourada 1995.

      - Mohamed Merah 2012 

      - Abdelkarim Dekhar 2013 

      - Mehdi Nemmouche 2014 

      - Bilal Nzohabonayo 2014

      - Chérif Kouachi 2015 

      - Said Kouachi 2015 

      - Amedy Coulibaly 2015 

      - Sid Ahmed Ghlam 2015 

      - Yassin Salhi 2015 

      - Ayoub El-Khazzani 2015 

      - Ahmad Al Mohammad 2015 

      - Samy Amimour 2015 

      - Omar Ismaïl Mostefaï 2015 
      - Salah Abdeslam 2015 

      - Brahim Abdeslam 2015 

      - Bilal Hadfi 2015


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