40 000 chômeurs de plus, le monde d’avant n’est plus, il s’écroule

Le chiffre du chômage pour le mois d’avril est mauvais, ou bien catastrophique. C’est selon les appréciations. Un politicien de la majorité se devant d’employer un terme plus neutre. Les chiffres ne sont pas bons ; comme on dit d’un aveugle qu’il est non-voyant ou d’un sourd qu’il est malentendant. Cela étant, les Français ont quand même bien entendu les chiffres, même s’ils sont aveugles au changement de civilisation qui s’opère. Finalement, la crise de 2008 n’avait pas pour première cause la finance. C’était même l’inverse, à savoir une économie globalisée et des mouvements financiers impliquant particuliers, établissements, Etats et industries qui en se réorganisant progressivement, ont fragilisé les équilibres financiers au point de faire chuter une grande banque américaine et représenter une menace systémique comme disait dame Lagarde à l’époque. Les responsables ont mis en place des dispositifs de grande ampleur pour remettre un peu d’équilibre et colmater les brèches.
Mais les ressorts économiques sont cassés, notamment en Europe. Alors, sur fond de dettes souveraines et de globalisation des productions économiques, le système est déséquilibré à nouveau. Les effets des mesures de 2008 ont été contrebalancés par le cours des choses économiques et la variable d’ajustement, c’est le chômage, dans toute l’Europe. Le cas de l’Allemagne étant spécial. Tout dépend si un travailleur qui gagne 4 euros de l’heure entre dans le type « chômeur » ou « travailleur » au sens classique, celui du BIT. N’oublions pas qu’en plein boum industriel au 19ème siècle, les chômeurs de l’époque étaient payés deux sous pour déplacer un tas de gravas d’un endroit à un autre. Ils pouvaient s’acheter un bout de pain pour ne pas crever.
Le plus inquiétant, c’est sans doute l’aveuglement et l’obstination des dirigeants qui pensent pouvoir utiliser les anciennes recettes héritées du monde industriel et post-industriel (1945-1990), avec les investissements, les emplois, la croissance, et pour renforcer le tout, une dose de planification et des grands travaux. On voit bien les technocrates réfléchir, depuis leur bureau, entre écrans, calculettes et réunions. L’écrivain, celui qui est sur le terrain, comme l’Européen moyen, prend le train en Espagne et constate les effets de la crise. Des décors de désolation, sanitaires brisés, tuyaux et briques dispersés sur des terrains vagues, murs inachevés, débris et gravats, femmes errantes, usées par la vie, tentant de trouver quelque subsistance en faisant les poubelles. Et ces bureaucrates qui pensent qu’il faut construire une autoroute, ou un énième musée. Nos élites passent vraiment à côté des enjeux. Et ces économistes, si bien payés et pourtant bien peu créateurs de solutions. La preuve, à chaque passage télévisé, la même litanie, la croissance n’est pas là, on n’y peut rien ma brave dame, c’est comme le mois de mai, le soleil n’est pas là, alors les salades ne poussent pas, enfin, les salades que racontent les économistes poussent d’autant plus rapidement que le chômage s’accroît !
Mais ne blâmons pas les économistes. La sagesse philosophique refuse de désigner des boucs émissaires. La responsabilité est collective et le peuple n’est pas cette instance immaculée et virginisée qu’on rencontre dans les discours de Mélenchon. Parmi ce peuple, il se trouve des hordes de chacals qui ont dévasté les rayons Virgin en piétinant les employés sur leur passage. Quant aux intellectuels, on ne peut pas dire qu’ils offrent des vues perçantes. La plupart réfléchissent dans un bocal puis vont s’afficher dans l’aquarium de Taddéi, le plus souvent pour montrer qu’ils existent et se voir célèbre un instant en poussant le bavardage intellectuel. Et ce n’est pas un Michel Serres qui va rattraper la mise, ensorcelé qu’il est par les nouvelles technologies. Non, la vérité n’est pas là mais dans le changement de civilisation qui arrive sans crier gare. Ou peut-être pas. Ce serait alors une impasse. La société serait achevée. Et comme pour les soldes Virgin ou bien lors d’un héritage, chacun demande sa part. Les premiers et les plus forts seront mieux servis que les autres.
Les économistes avertis disent cependant une chose vraie. C’est qu’on ne crée pas des emplois aussi facilement qu’on les supprime. Encore faut-il les créer. Le doute est de mise. Créer des emplois certes mais pour faire quoi et pour produire quels biens et services ? Les sociétés sont saturées de gadgets. Les dirigeants voudraient que des produits innovants soient mis sur le marché alors que les gens n’ont pas assez d’argent pour acheter ceux qui sortent des usines actuellement. Les stocks s’accumulent. Et puis, notons une chose très importante. Le cycle qui démarre par l’investissement fonctionne correctement dans une économie moins globalisée. Je m’explique. Une fois l’investissement réalisé, il faut écouler les produits. Mais si depuis la Chine ou le Brésil ou encore l’Inde, des produits identiques et moins chers sont sur le marché, eh bien l’investissement local reste vain et les employés sont dirigés vers pôle emploi.
Il fut un temps où ces pays fonctionnaient par transfert de technologie, ce qui laissait un peu d’avance aux industries avancées. En 2013, les pays émergés sont tout aussi capables que nous Occidentaux de réaliser des prouesses technologiques. Pour preuve le nombre d’ingénieurs chinois sortant des universités. Les Chinois ont parfaitement compris les analyses de Brzezinski datées de 1970 avec les tableaux synthétiques sur le nombre d’étudiants dans les pays industrialisés de l’après-guerre. Bref, comme on le voit, le schéma ancien ne fonctionne plus et le chômage risque de se stabiliser, dans le meilleur des cas, à un niveau dangereusement élevé du point de vue de l’équilibre social.
Il faut changer de société et peut-être commencer par ne plus axer la politique sur le travail. Inventer autre chose. Un nouvel ordre éthique et social ? Il y a certainement tant de pistes. Encore faudrait-il que nos analystes fassent les diagnostics corrects et que les dirigeants n’aient plus les yeux sur le guidon, suivant d’un regard assidu leurs obsessions idéologiques et productivistes d’un autre âge. Il faut lever la tête et regarder l’avenir. Et comme le dit le philosophe inconnu (moi en l’occurrence), pour voir l’avenir, il faut le créer !
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