Ah ! Ah ! Ah ! La France en première ligne
Il y a dix-huit mois, quatre pays européens (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne) s’agitaient au bord du gouffre de la Dette souveraine. Les choses ont évolué : la Grèce est au fond du trou, l’Irlande et le Portugal s’accrochent à un arbuste 50 mètres sous le rebord ; l’Espagne multiplie les passes pour se faire oublier ; l ’Italie vient de basculer. C’est désormais, au bord du gouffre, la France qui est en première ligne de la Crise de la Dette. Il faut nous y habituer : Français, après-demain on parlera de nous comme on parle des Grecs aujourd’hui, des Italiens demain !
A la vision économiste – qui impute tout le mal aux banquiers, à l’oligarchie financière, le 1% - j’ai opposé dans un précédent article [1] une vision proprement politique : les États se sont enfoncés depuis 1914 dans un maniement complètement dément des finances publiques. Cette politique – menée au nom de la mobilisation pour la Guerre jusqu’en 1945, au nom de la Croisade de la Consommation depuis – a généré pendant quelques dizaines d’années une économie de pure illusion centrée sur la croissance, arithmétique d’abord, exponentielle ensuite, de la Dette d’État. Bien sûr cette politique, proposée tant par la Gauche que par la Droite, a entraîné pendant soixante ans tout un mécanisme « positif » centré sur la croissance, mais, revers de la médaille, on voit aujourd’hui où elle nous a menés : au bord du Gouffre. Nous y sommes.
En attribuant la faute aux spéculateurs et aux banquiers, les uns et les autres s’efforcent tant bien que mal de cacher que la croissance de la Dette était le seul moteur de notre pseudo-dynamisme économique. Ce qui explique aussi le caractère proprement absurde de notre économie centrée sur le gaspillage, l’art de tourner en rond et 1001 futilités et autres services improductifs. Ce ne sont pas deux problèmes différents, ce sont les deux faces d’un même problème.
Les « solutions » les plus largement envisagées : nationaliser les banques, créer de la liquidité, mieux répartir les produits de la croissance… ne font que proposer de relancer le cycle infernal dans lequel nous sommes en se contentant d’en arrondir les aspérités, d’en augmenter les contrôles et de démultiplier la machine administrative qui déjà nous étouffe. Les donneurs de solution semblent nous dire : « Indignons-nous et demandons une nouvelle injection du poison dont nous mourons ! »
Il faudra tôt ou tard nous rendre compte qu’il n’y a qu’une solution à la présente crise : le poids de la Dette étant devenu insupportable, il faut l’annuler.[2] Un défaut global est inévitable. Mais qui n’en veut pas ? Les financiers, certes. Voici leur capital qui s’envole, part en fumée. Mais ne vous en faites pas pour eux, ils s’en remettront. Ceux qui n’en veulent surtout pas, ce sont les États. Posez-vous un peu la question simplement, non pas en fonction d’insondables concepts économiques, mais en fonction du simple bon sens : comment la France peut-elle fonctionner demain sans creuser annuellement cette montagne de déficit qui l’accable ? Qui va travailler à crédit, si les banques ne prêtent plus ?
Et, d’ailleurs, qui « travaille » encore ? Nous faisons globalement de l’administration, du commerce, de la finance et des services… Quant à travailler : vous connaissez tous la blague qui faisait le décompte des travailleurs, en commençant par soustraire les oisifs, les retraités, les chômeurs, les fonctionnaires et arrivait au résultat final… de 2 travailleurs, toi et moi ! Je relisais récemment un traité politique du XIXème siècle : l’auteur s’inquiétait de la présence en France du chiffre incroyablement élevé de 130.000 fonctionnaires ! Ils sont aujourd’hui 5 millions, auxquels il faut ajouter les innombrables entreprises travaillant en sous-traitance ou dépendant exclusivement des commandes de l’État. Notre premier ministre – qui lors de son entrée en fonction en 2005 avait fait scandale en se présentant comme à la tête d’un État en faillite – vient de présenter le budget le plus rigoureux depuis 60 ans, tout en prévoyant pour l’année 2012 un déficit de 80 milliards d’euros !!! A quoi la commission européenne a apporté un commentaire assez critique en précisant que ce budget était calculé sur une prévision de croissance de 1% alors qu’elle ne voit au grand maximum – et elle est gentille – que 0,6%. Voyons les choses en face, cessons de tripatouiller les chiffres : sans l’inflation, nous sommes en RÉCESSION. Ce seront donc près de 100 milliards d’euros qui viendront s’ajouter aux 1.700 milliards actuels de dette globale. La France plongera dans le trou en 2012 ou 2013 avec une dette avoisinant les deux mille milliards d’euros, 30 000 € par habitant ! Et si vous me dites que d’autres ont une dette plus importante en rapport à leur P.I.B., c’est vrai. Mais je vous répondrai que la France continue à faire du déficit, qu’elle est donc actuellement le plus mauvais élève de la classe. C’est pour cela aussi qu’elle est en première ligne.[3]
C’est là une Réalité, et une Réalité ne se corrige ni par des variations du cours des monnaies ni en diminuant les bonus des banquiers ou quelques salaires ministériels. Car tout est à l’avenant. En France on s’indigne ou on se réjouit de la même situation suivant le rôle joué : 300 000€ par mois, cela fait rêver s’il s’agit d’un joueur de foot et cela indigne pour un directeur de société. Pourquoi ? Et tout ce qui touche à l’administration, comme il s’agit de l’État, de la France, c’est sacré. Mais sans parler des abus flagrants aux sommets de l’État, analysons par exemple les retraites de fonctionnaires. Savez-vous que pour vous assurer par un placement financier un standing de vie comparable à la retraite d’un inspecteur des finances, c’est de plus de vingt millions d’euros dont il vous faut disposer en placements financiers ou immobiliers ? Et vous serez montré du doigt comme un « méchant » car vous payerez l’Impôt sur la Fortune ! La gabegie est à tous les niveaux du fonctionnement de l’État, depuis le fonctionnaire qui est obligé de voyager en première classe pour son standing, en passant par le directeur dont l’épouse dispose d’une voiture de service avec chauffeur pour ses courses, jusqu’aux députés et ministres à qui est attribuée une pension complète après avoir « servi la France » pendant, non pas 42 années comme vous, … mais pendant trois mois !
Ce qui est plus fort, c’est que l’État ne se contente pas d’acheter ses fonctionnaires et serviteurs, il nous achète tous, jour après jour. Certes la loi de notre société est que quelque soit le niveau auquel nous évoluons, nous n’avons que ce qu’il nous faut (et encore !). Et l’évolution de cette loi est telle que là où un homme entretenait sa famille par son salaire, il en faut aujourd’hui deux (pas deux hommes, Mesdames, deux salaires !) pour boucler les fins de mois. Mais alors qu’on nous tient dans l’univers de la nécessité, on nous achète par 1001 gâteries, on nous cajole comme des coqs en pâtes. Le déficit de l’État n’est pas seulement composé d’abus en tous genres, il est avant tout constitutif d’un mode de vie. C’est donc toute notre organisation sociale qui devra être revue pour nous en sortir. Car les humains ne vivent pas simplement pour survivre ou pour se reproduire. Ils ont besoin d’objectifs qui les dépassent, de rêve aussi… et tout cela, dans notre vie actuelle, a été remplacé par des hochets et des gadgets, dont nous avons l’air de nous contenter. Un signe cependant ne trompe pas : avez-vous remarqué à quel point, dès que s’éteint l’effervescence autour du travail et des emplettes, avec les embouteillages qui les accompagnent (et de ce point de vue la France se parisianise de plus en plus), il n’y a plus aucune vie sociale ! C’est ça la crise, c’est ainsi que nous la vivons présentement : un grand vide !
Les fêtes arrivent avec leur étalage de luxe, de paillettes et de scintillements. Gageons qu’elles seront brillantes. C’est la particularité du coq que de chanter sur son fumier ! Et cela a toujours été la spécialité de la France d’habiller les situations les plus désespérées des chants les plus beaux. Mais gageons une chose : si les Grecs auront du mal à avaler leurs repas de fêtes, au lendemain du jour de l’an c’est la France qui aura la fève !
[1] Tribune libre : Crise de la Dette. Ne pas se tromper de cible.
[2] Si nous ne les annulons pas volontairement, nous devrons passer par un processus d’annulation sauvage dont le mécanisme sera celui d’une inflation galopante. Quand la baguette « vaudra » 7 euros, la dette d’État sera de facto ramenée à 10% de son poids ! Ce qu’on ne dit pas, c’est où nous en serons, NOUS !
[3] L’erreur commise par l’agence de notation Standard & Poor's en annonçant ce jeudi 10 novembre la perte du AAA français est un joli compromis : si les agences contribuent à accentuer la crise, en jetant le discrédit sur les États, ceux-ci s’en prendront aux agences. C’est assez bien imaginé que de faire passer le message, tout en simulant une erreur !
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