Aide internationale : le grand détournement
Aide bien ordonnée commence par soi-même... Vous croyez que l’aide internationale est détournée de ses fins dans les pays pauvres par un réseau de potentats véreux qui résistent à la modernisation ? Détrompez-vous. Les deux-tiers de l’aide ne se rendent même pas dans les pays au développement desquels elle est censée contribuer.
L’aide publique au développement atteint 75 milliards en 2005. Du moins est-ce la somme de ce que les pays donateurs calculent comme étant de l’aide.
Le problème, c’est que leur calcul inclut des dépenses qui profitent aux pays donateurs ou à l’industrie de l’aide beaucoup plus qu’à ceux qui la reçoivent.
Le Cambodge est un exemple classique : environ la moitié de l’aide internationale allait aux 740 consultants étrangers travaillant dans ce pays en 2002. Ceux-ci gagnaient à peu près l’équivalent de ce que gagnent les 16 000 fonctionnaires cambodgiens.
David Sogge, auteur de l’essai Les mirages de l’aide internationale, estime à un demi-milliard le nombre de personnes qui travaillent directement ou indirectement pour l’industrie de l’aide.
Fait paradoxal, la pauvreté et les inégalités se sont accrues et l’insécurité prévaut là où l’aide joue un rôle prédominant.
L’aide serait-elle devenue autant, sinon davantage, un problème qu’une solution ?
Le discours sur l’aide utilise des termes comme « participation citoyenne », « maîtrise locale des politiques ». Cependant, la conception de l’aide, son organisation et sa mise en œuvre continuent d’être la prérogative d’étrangers.Sans donner dans l’autoflagellation, les pays riches doivent sérieusement se demander où et pourquoi ils ont raté le coche.David Sogge
Deux thèses s’affrontent :
- les uns accusent les pays riches d’utiliser l’aide d’abord et avant tout à leur propre bénéfice. Par exemple, est-ce vraiment pour répondre à des besoins alimentaires criants, ou plutôt pour écouler leurs surplus de récoltes, que les États-Unis et les Européens ont acheminé vers l’Afrique des tonnes de blé ? (The Give and Take of Foreign Aid.)
- les autres sont convaincus que l’aide est parfaitement inutile tant que « les règles les plus fondamentales nécessaires à la génération de la richesse ne sont pas en place ». (L’aide et la bonne gouvernance sont essentielles au développement, dit M. Natsios.)
Le cas de l’aide alimentaire en blé est emblématique d’une situation qui ne mène nulle part. Les habitudes alimentaires dans les pays africains ont changé à la suite de cette aide alimentaire, mais les producteurs agricoles locaux sont incapables de concurrencer les producteurs américains ou européens : le blé peut être produit dans peu d’endroits en Afrique et quand c’est le cas, c’est à un coût plus élevé que dans des zones plus tempérées.
Combien de pratiques culturales, artisanales ou autres ont ainsi été détruites, même avec les meilleures intentions du monde ?
La part réelle de l’aide dépensée dans les pays en voie de développement est très révélatrice de ce qui a pu se produire. En réalité, les règles nécessaires à la génération de la richesse sont en place. Le problème, c’est qu’elles jouent en faveur des pays qui les ont imposées.
Imaginez un riche propriétaire terrien qui retient les deux tiers du débit d’un cours d’eau passant à travers ses vastes champs. Les petits propriétaires en aval manquent d’eau et n’arrivent pas à produire suffisamment pour nourrir leurs familles. Que fait le propriétaire terrien ? Il retient encore davantage d’eau, tout en accusant les petits propriétaires de ne pas savoir cultiver.
N’est-ce pas ce que font les pays riches ?
Il est grand temps de revoir les règles du jeu.
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