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Après le hors-d’œuvre grec, le plat espagnol

Voici venir les choses sérieuses. Le plat de résistance espagnol sera autrement indigeste que l’entrée grecque. Je vous annonçais la semaine dernière l’an IV de la Crise, le voici…

Le mensonge espagnol

Ce sont les banques espagnoles essentiellement (et leurs consœurs italiennes) qui ont « profité » de la plus grande part des injections de liquidités de la Banque Centrale Européenne (LTRO) fin décembre et fin février. En Espagne particulièrement, les liquidités créées ont servi quasi exclusivement à racheter des obligations d’État pourries, voire à régler directement les impayés de certains ministères. Mais voilà, moins de deux mois après la dernière perfusion, les caisses sont vides. L'Espagne est revenue dans le viseur des marchés financiers, avec des taux à 10 ans désormais voisins de 6%, la limite de viabilité…
 
La question n’est pas de savoir aujourd’hui pourquoi l’Espagne n’a pas réussi vendredi 6 avril à réunir les 3,5 milliards € qu’elle cherchait à emprunter. Elle est plutôt de savoir comment il se fait que dans le contexte actuel où depuis le défaut grec, il est maintenant avéré que les États vont faire défaut en cascade, comment dans ce contexte elle a encore trouvé des nigauds prêts à lui prêter 2,7 milliards… La réponse à cette question se trouve dans la réponse classique donnée par le ministre de Witte aux premières défaillances des fameux emprunts russes, qui a été de faire comprendre aux prêteurs qu’interrompre l’alimentation des crédits revenait à condamner sans recours l’économie qu’ils avaient financée, et donc à se priver de la seule chance de récupérer leur mise.
 
L’Espagne est sous le coup d’un cocktail de trois maux majeurs :
  • une dette de l’État bien plus grave que ce que ne le laissent supposer les 80% du P.I.B. donnés par des statistiques qui s’emmêlent les pinceaux. Comme en France, on peut estimer cette dette bien plus raisonnablement aux environs des 140 à 150% du P.I.B. et en tout cas non seulement irremboursable mais insoutenable.[1] Cette dette de l’État est aggravée par celle des régions espagnoles, qui menace depuis un an de déboucher sur une crise majeure des caisses d’épargne et sur l’effondrement du système bancaire. Celui-ci vit-il ses dernières heures ? A l'origine doté de 9 milliards d'euros, le Fonds de restructuration du système financier (FROB) ne disposerait plus que de 300 millions dans ses réserves. Quant au Fonds de Garantie des Dépôts (FGD), il devra débourser quatre milliards supplémentaires pour recapitaliser Banco de Valencia y Caixa Catalunya (qui seront mises aux enchères ce jeudi 12 avril).
  • une bulle immobilière indigeste. La crise de 2008 a laissé sur le carreau des milliers de logements et entraîné une baisse de l’immobilier certes, mais totalement insuffisante pour résorber le marché. Là aussi les banques et caisses régionales sont aux avant-postes.
  • une ample récession qui ne laisse aucune marge de manœuvre et qui risque au contraire de s’amplifier encore dans le contexte de l’austérité étrangleuse qu’on n’installe que pour garder la façade vis-à-vis des marchés de capitaux. Avec un chômage qui approche 25% de la population, la situation sociale est évidemment elle aussi très tendue, et les jeunes n’ont qu’une idée en tête : émigrer…
Le cocktail est explosif, mais il va agir dans des circonstances autrement périlleuses que la pantomime grecque de cet hiver.
 

L’enjeu n°1 : le dollar

Depuis que l’essoufflement du dernier LTRO européen est perceptible, la Banque centrale américaine hésite à lancer le troisième volet de ses Quantitative Easing (QE3), équivalents des LTRO. C’est que l’économie américaine a, dit-on, frémi cet hiver. Déjà le frétillement s’estompe, et la Federal reserve, encourager par un pouvoir qui voudrait « rempiler » en novembre, se dit prête à « relancer » (en pure perte… !) Mais, car il y a un grand MAIS, l’opération est très risquée, car les pays émergents (BRICS) viennent de commencer à s’organiser pour cesser progressivement de stocker leurs avoirs tirés de leur balance favorable en dollars. Le marché de l’or se montre très nerveux de son côté. Un nouvel afflux de dollars ne ferait que renforcer le caractère (définitivement) inconvertible du billet vert et déclencher une panique sur le Dollar, dans laquelle ce qui reste du système risque de se faire emporter…
 
Nous sommes depuis trois ans dans une situation où les deux principales monnaies mondiales (le dollar et l’euro) tirent ce qui leur reste de vitalité de l’épuisement de leur concurrente. Nous passerons à l’étape suivante de la Crise le jour où cette « complémentarité » négative s’effacera au profit de leur commun écroulement. Cela nous pend au nez, certes, mais dans les circonstances présentes, forts de ce qui s’est passé en 2011, les Américains jouent la carte de la faiblesse du système européen pour tenter, à la manière de Dracula, de lui pomper un reste de liquide vital… C’est dans ce contexte qu’intervient la France et les élections en cours !
 

Le cancre de l’Europe

Toute l’Europe vit sous le coup de la crise, la France seule vit bien. Ne me faites pas dire que les autres européens, avec l’austérité, ont pris les bonnes mesures (y en a-t-il d’autre que d’annuler la dette ?), mais au moins tous, Allemands, Anglais, Belges, Espagnols, Grecs, Irlandais, Italiens,… vivent avec cette question principale sous leurs yeux. Rien de tel en France. La campagne électorale en cours se déroule entièrement sous l’angle du DÉNI,[2] ainsi que l’a récemment, et à juste titre, montré The Economist.
 
En France comme en Espagne, la Dette de l’État telle que l’expriment les statistiques officielles est largement sous-estimée. Un calcul a été fait récemment, montrant que si l’on additionne tous les engagements de l’État français, y compris ceux qu’elle cumule auprès des institutions internationales, elle aussi avoisine les 150% d’un P.I.B. légèrement surestimé de son côté. Les régions françaises vont subir de plein fouet la crise immobilière et sont arrivées à saturation dans l’augmentation des impôts locaux. Le système bancaire français est exposé de façon majeure en Espagne et en Italie, les deux prochains pays dans le collimateur. Et alors que l’économie du pays n’est pas loin de l’arrêt, le simple mot de récession fait l’objet d’une omerta. N’oublions pas en outre que la crise immobilière frappe à la porte. Il est évident que l’activité fébrile déployée dans l’immobilier en 2011 est le signe d’une seule chose : les épargnants plus ou moins lucides ont réalisé leurs économies en valeurs dures sinon sûres, tentant au moins de sauver quelque chose de la prochaine débâcle. Le marché vient au début de cette année de marquer un coup d’arrêt saisissant qui n’a pas manqué de frapper tous les observateurs.
 
Au même moment où le candidat qui a mis l’accent sur la crise et la nécessité d’y faire face (Bayrou) est mis aux oubliettes, où les deux ténors se jouent une vraie partie de campagne, le seul candidat auxquels les Français donnent un véritable coup de pouce est celui de la relance de la Dette. La crise de mélenchonite aiguëque se paient les Français est l’occasion inespérée pour les Anglo-Saxons de lancer une grande campagne anti-euro et de tenter ainsi de sauver le dollar de la débâcle. Merci M.Mélenchon, Obama’s best friend. Le président américain n’eût pas pu rêver mieux : renverser un dernier État soviétique en Europe, et pas n’importe lequel… la grandissime France ! prise la main dans le sac d’archaïsme invétéré. En août dernier, au beau milieu de la crise du Dollar, le magazine américain Time publiait lui aussi un numéro dont la couverture n’a pas manqué d’attirer l’attention : The Decline and Fall of Europe.
 
J’en ai proposé le commentaire que voici dans la revue lettres fantasques  :
« Les États-Unis ont récemment entamé un virage à 180° et tentent de mettre fin à d’anciennes hostilités pour se rapprocher des pays émergents. Ils ont pris grand soin d’impliquer directement les Européens dans le conflit militaire en Libye, tout en se dégageant eux-mêmes d’Irak et en préparant leur départ d’Afghanistan. Qui sera dans ce contexte leur ennemi privilégié ? Plus les « rouges » (Sur la guerre froide, voir mon exposé dans D’août 14 à l’âge d’or de l’État) ni les «  islamistes »… non, bientôt l’ennemi n° 1 ne sera-t-il pas le vieil ordre financier international incarné par… l’Europe ! C’est dans ce cadre qu’il faut situer notamment l’affaire DSK (Un Européen « pourri » à la tête d’une organisation financière internationale et dont on a obtenu immédiatement la démission après la mise en scène de ce qui aurait pu aussi faire figure de « fait divers »), la mise en opposition des pays européens dits « vertueux » et des PIIGS autour de la crise de la Dette, et plus récemment enfin par les attentats de Breivik à Oslo la tentative de déstabilisation de l’Europe du Nord, traditionnellement paisible et prospère. [3] L’Europe et sa finance, hier siège du vieil ordre colonial dont les Américains ont débarrassé le monde à l’issue du dernier conflit mondial. L’Europe et sa finance, aujourd’hui encore le cœur de tous les déséquilibres planétaires parce qu’elle symbolise cet univers de rentiers et de spéculateurs dont le discours dominant nous invite à nous débarrasser. Plus nous avançons, plus il se confirme que le fondement de l’ordre mondial réside dans l’accord Chine-USA, accord monétaire et financier qui fait de la première le cœur de l’industrie mondiale et le principal garant d’une situation qui permet aux seconds de dominer les débats en créant de la Dette à l’infini. »
 
Mais la Chine est parcourue pour l’instant de remous inquiétants. Une crise politique s’y additionne à une crise financière larvée. C’est là que se situe le véritable enjeu de la situation internationale présente, qui va mener à la relance de la crise européenne ou à une crise ouverte du dollar ? Pourquoi pas les deux en concomitance ? Faut pas rêver : l’écroulement du vieux monde passera encore par plusieurs phases.
 
Heureusement ? Je le répète, dans les circonstances présentes, la véritable question reste : Aurons-nous seulement le temps – et la volonté – plutôt que de redonner la vie à l’ancien, de réfléchir à ce que nous avons à construire ?
 
MALTAGLIATI


[1] Il faut insister sur le fait que nous vivons depuis des lunes avec des dettes non remboursables. Mais personne n’a depuis longtemps envisagé de les rembourser, simplement de « vivre avec » et de les renouveler, en faisant de cet endettement le moteur de toute l’économie. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est que de « moteur », ce mécanisme est devenu poids, voire surpoids…
[2] D’où le claque qu’est en train de se prendre Bayrou. D’où aussi la réponse négative de François Fillon aux propositions de Sarkozy (voir mon article), réponse qu’il vient de rendre publique : « Je ne voudrais pas être président au lendemain du 6 mai. »
[3] L'attentat d'Oslo ne trouvera d'explication que dans plusieurs années sans doute mais implique selon moi nécessairement les services secrets internationaux. Des révélations sur la carrière du tueur le confirment.

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15 réactions à cet article    


  • Buddha-dassa 11 avril 2012 14:27

    en supprimant certaines banques ont supprime les dettes.....


    • Buddha-dassa 11 avril 2012 14:28

      « on » et non pas « ont ».. smiley


      • Buddha-dassa 11 avril 2012 14:30

        ce mot de crise me gonfle, après 10 000 ans de pouvoir de droite, il y en a encore qui parle de crise !!

        la gauche c’est quand on sera graand...


        • Scual 11 avril 2012 14:50

          L’Espagne c’est l’entrée après l’apéro... le plat de résistance ce sera la France.

          Et la résistance ils y auront droit !


          • BA 11 avril 2012 15:13

            Mercredi 11 avril 2012 :

             

            Espagne : baisse de la production : - 5,1 % sur un an.

             

            La production industrielle espagnole a accru son repli au mois de février, avec une baisse de 5,1% sur un an, selon les chiffres publiés mercredi par l’Institut national de la statistique (Ine).

             

            Cet indicateur, calculé en données corrigées des variations saisonnières (CVS), avait débuté l’année 2012 dans le rouge, en plongeant en janvier de
            - 4,3%, un chiffre révisé à la baisse mercredi (-4,2% annoncé auparavant), sur un an, précise l’Ine dans un communiqué.

             

            En février, le recul a été particulièrement marqué dans les biens de consommation durable (-14,8%), les biens d’équipement (-10,6%) et les biens intermédiaires (-6,8%).

             

            Les biens de consommation non durable sont également dans le rouge (-4%). Mais l’énergie en revanche repasse dans le vert avec une hausse de 7%, conséquence « principalement » de la bonne santé des secteurs « Production, transport et distribution d’énergie électrique ».

             

            Sur l’ensemble de 2011, la production industrielle espagnole a baissé de 1,8% par rapport à 2010, rappelle l’Ine.

             

            Ces mauvais chiffres surviennent alors que l’Espagne a renoué avec la récession au premier trimestre 2012, accumulant deux trimestres consécutifs dans le rouge. Après une faible croissance, de + 0,7%, en 2011, le gouvernement conservateur a prévu un recul de - 1,7% du PIB en 2012.

             

            Lundi, l’Espagne a annoncé un effort supplémentaire de dix milliards d’euros qui touchera les secteurs sensibles de l’éducation et de la santé, dans un pays frappé par un taux de chômage record qui devrait bondir cette année jusqu’à 24,3% de la population active, selon les prévisions du gouvernement.

             

            http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/04/11/97002-20120411FILWWW00340-espagne-baisse-de-la-production.php


            • Buddha-dassa 11 avril 2012 15:25

              ah oui j’oubliais , plus il faut fabriquer ,vendre plus., sinon c’est mauvais ,c’est mal...plus de tout , de n’importe quoi mais plus et de suite....
              l’argent n’a jamais fabriqué quoi que ce soit...ce fait n’arrive aux neurones de quasiment personne c’est incroyable non ? non, non ,d’où cette manière de vivre depuis 10 000 ans  !


              • lsga lsga 11 avril 2012 16:40

                vivement le Tiramisu Italien puis le Fromage français !


                A la terza !

                • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 11 avril 2012 17:38

                  Très bon article, bien informé.

                  J’aurais aimé un peu plus de prospective à court terme, mais à l’impossible nul n’est tenu smiley


                  • maltagliati maltagliati 13 avril 2012 06:44

                    Moi aussi, mais il y a des impondérables. Si demain se déclenche une crise de régime en Chine, ou qu’une banque espagnole a caché un trou et « saute », cela change non la donne d’ensemble, mais l’immédiat....


                  • mortelune mortelune 12 avril 2012 11:17
                    Dirigeants des multinationales, gouvernants des pays riches et partisans du libéralisme économique ont vite compris qu’ils devaient se concerter s’ils voulaient imposer leur vision du monde. Dès juillet 1973 (la même année - création de l’argent dette dans un contexte de mondialisation financière sans limites la Banque de France abandonne son rôle de service public), David Rockefeller lance la Commission trilatérale, qui va marquer le point de départ de la guerre idéologique moderne. 
                    Il y a trente ans, en juillet 1973, à l’initiative de M. David Rockefeller, figure de proue du capitalisme américain, naissait la Commission trilatérale
                    Les français et plus largement les européens doivent comprendre qu’ils se font léser de leur travail et de leurs biens par des nantis aux projets plus que douteux. La mondialisation vous intéresse ? sauriez vous dire pourquoi ?
                    En France nous avons la chance d’avoir un homme politique résolu, Melenchon pour le citer, à vouloir réaménager le système bancaire et ainsi redonner un souffle d’air à cette crise. Evidemment notre pays pesant son poids dans le paysage économique européen il y a de grandes chances que d’autres sauront prendre exemple sur le notre.
                    La crise Grec et celle que va affronter l’Espagne n’est pas de bonne augure pour la suite à donner, alors pourquoi subir ce que nous pouvons éviter ? 


                    • Jicé Jicé 12 avril 2012 11:25

                      La dette française représenterait 150% du PIB...
                      Je n’ai encore jamais entendu de réfutation à l’argument « mélenchonien » (sûrement tiré de son équipe d’économistes, dont jacques Généreux) selon lequel il est curieux que l’on rapporte l’équivalent d’en moyenne 7 ans d’endettement à une seule année de PIB... Peut-être que le novice en économie que je suis va enfin avoir une explication ?


                      • maltagliati maltagliati 13 avril 2012 06:55

                        Ce sont des rapprochements très formels. Je ne vois pas ce à quoi ils font allusion. Ce que je peux dire, c’est que tout cela ne signifie pas grand chose. On peut dans certaines circonstances supporter une dette très importante, dans d’autres être complètement noué par une moins importante... cela dépend d’une foule de données. En outre, il faut tenir compte de deux points de vue, comme dans une entreprise : « rentabilité » et « trésorerie ». Même si votre affaire « marche », si le mois prochain, vous ne pouvez pas faire face à une échéance ou trouver le prêt indispensable à l’investissement qui va vous tenir sur le marché, vous coulez. En économie de la dette, il y a aussi ce double point de vue. Essayez de réfléchir plutôt sur la logique des choses que sur leurs rapprochements formels auxquels on fait dire blanc ou noir selon ce qu’on veut...


                      • Marie caroline porteu 12 avril 2012 14:19

                        Le regain de tension sur les dettes européennes pourrait également bien venir de cela :

                        Réunion de Delhi du 29 Mars 2012 

                        Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud n’utiliseront plus le Dollar dans leurs échanges 
                        Comme le dit l’article : cette nouvelle pourrait provoquer une fragmentation de l’espace monétaire mondial . Cette décision s’inscrit totalement dans la volonté des Brics et en particulier de la Chine de créer une monnaie mondiale stable qui ne soit pas gérée uniquement par les USA .. 

                        http://www.algeriedz.info/2012/04/01/le-bresil-la-russie-linde-la-chine-et-laf rique-du-sud-nutiliseront-plus-le-dollar-dans-leurs-echanges/

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