Arcelor Mittal : chronique d’une terrifiante désillusion
Dans l’imaginaire collectif, il existe un personnage qui synthétise les visions négatives du capitalisme mondialisé conquérant, dévorant tout sur son passage. Un Némésis terrifiant de la prospérité promise jadis par l’Union européenne, rêve auquel de nombreux salariés ont un temps voulu croire. Ce personnage, redoutable capitaine d’industrie, c’est Lakshmi Mittal. Sa décision de fermer les hauts-fourneaux de l’usine ArcelorMittal à Florange, qu’il a justifié par le marasme du secteur automobile, n’a toujours pas été acceptée par une opinion publique qui ne comprend pas que l’on ait pu sacrifier une partie de l’industrie française à cet ogre industriel. Car dans la tête de tous, c’est l’industrie dans son ensemble, et non une simple entreprise dont il est aujourd’hui question, au travers d’un exemple devenu tristement célèbre.
C’est en 2006 que Lakshmi MIttal prend le contrôle d’Arcelor. Arcelor est née d’une fusion de différentes entreprises européennes : Aceralia pour l’Espagne, Arbed pour la Belgique et le Luxembourg, et enfin Usinor pour la France. Cette fusion a lieu en février 2001. Arcelor était le premier producteur mondial d’acier, avec 42,8 millions de tonnes (4.5% du marché) jusqu’à ce que Mittal lui ravisse cette place en octobre 2004.
En 2006, Mittal annonce une OPA hostile sur Arcelor pour 18.6 milliards d’euros. Cette offre publique d’achat, qui semble achopper dans un premier temps, ne décourage pas Mittal qui augmente son offre à plus de 25 milliards d’euros, transformant au passage une agression en bonne et due forme en une tentative d’achat plus apaisée. Finalement le 25 juin 2006, le groupe Arcelor-Mittal est créé, la fusion entérinant la réconciliation entre deux entités qui ont fait le feuilleton économique du printemps 2006. Le 1er septembre de la même année le groupe sera inclus dans l’indice CAC40.
L’opinion publique est alors frappée par la violence, la rapidité, et l’ampleur de cette fusion qui a vu un fer de lance européen absorbé en l’espace de six mois par un groupe étranger jusqu’alors peu connu du grand public.
Le bilan social du groupe est une succession de controverses et d’actions entre justice, entre syndicats qui entendent maintenir un niveau de vie à la française, et une entreprise qui est régulièrement dans le viseur de l’Elysée.
Le Courrier International est très clair à ce sujet :
« Le 27 septembre, Mittal a été convoqué à l'Elysée pour se faire sermonner par le président François Hollande qui lui a dit qu'il ferait mieux de trouver un acheteur au plus vite au lieu de fermer l'usine, comme il l'avait laissé entendre. "Relancez les hauts-fourneaux ou mettez-les en vente", aurait dit François Hollande à Mittal. Le magnat de la sidérurgie aurait répondu qu'il était prêt à le faire à condition qu'un repreneur se présente. Ce qui, en en ces temps difficiles, n'est guère probable. Les hauts-fourneaux de Florange sont devenus un symbole du malaise des travailleurs en France et Lakshmi Mittal a rapidement été désigné comme le méchant de l'histoire. Le nombre d'emplois perdus à Florange ne devrait pas dépasser les 650. Et pourtant, avec 14 000 licenciements et la fermeture de l'usine d'Aulay-sous-Bois, Philippe Varin, PDG de Peugeot-PSA, est beaucoup moins pris à partie par les syndicats que Mittal qui est invariablement présenté comme un prédateur vorace. »
Qu’est ce qui explique alors cette vision à sens unique de l’opinion concernant Mittal ? L’origine étrangère du personnage et du groupe ?
Peut-être tout simplement le symbole - puissant – de la bulle qui éclate. Bulle de protection européenne illusoire : ici pas moins qu’aux Etats-Unis, nos entreprises sont exposées, et exposées à des pays qui ne sont pas européens et qui n’ont pas du tout notre conception de l’entreprise et du développement économique.
Florange, symbole de la ville martyr de la mondialisation, est le siège d’un bras de fer improbable entre les « deux M », Mittal et Montebourg. Le premier a lancé un ultimatum au second : vous avez 60 jours pour trouver un repreneur pour les hauts-fourneaux de Florange. Ainsi, Lakshmi Mittal, le président du groupe, a accepté « la demande du gouvernement français pour que celui-ci recherche un repreneur pour la phase liquide de Florange au cours des soixante prochains jours », selon un communiqué d'ArcelorMittal.
Problème : l’Etat, par la parole de Nicolas Sarkozy, est engagé à Florange. En mars 2012, celui-ci annonçait :
"A la demande de l'Etat français, ArcelorMittal va investir maintenant 17 millions d'euros à Florange", a dit M. Sarkozy, avant d'ajouter que "le deuxième haut-fourneau repartira au deuxième semestre".
"Je vous rappelle que Florange, c'est 2 667 salariés, dont 500 en situation de perdre leur emploi si le haut-fourneau ne repart pas. Ce sont des décisions concrètes, comme pour Petroplus, comme pour Photowatt, comme pour Lejaby (...), comme pour Alstom", s'est félicité le candidat UMP en référence à ses interventions dans plusieurs dossiers d'entreprises en difficulté. "Ça ne règle pas tous les problèmes de la sidérurgie, mais c'est du concret, il faut se battre pour obtenir ça", a dit M. Sarkozy.
Aujourd’hui, les promesses sonnent comme des effets d’annonce de pré-campagne présidentielle. Et l’Etat tente de se sortir de ce bourbier, ultime cadeau empoisonné d’un Nicolas Sarkozy qui cherchait alors à regagner une image de protectionniste buissonnien, fort pour l’industrie française.
Les salariés de Florange apprécieront : ils ont eux aussi, en six mois, été victime d’une forme d’OPA d’une violence inouïe, signe de temps qui deviennent moins certains. Et malheureusement pour eux, il n’est pas certain que Lakshmi Mittal, lassé de son investissement comme un enfant se lasse de son dernier jouet, décide de transformer l’agression en négociation.
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