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Accueil du site > Actualités > Economie > Banque Centrale : la quatrième blessure narcissique

Banque Centrale : la quatrième blessure narcissique

La Banque Centrale n’est pas le centre du monde, elle n’est pas née de la cuisse de Jupiter, et n'est pas aussi rationnelle qu'elle le croyait. Pire encore, depuis 2008 une 4ème blessure narcissique fait son chemin : la Banque Centrale ne peut pas tout comprendre.

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Devinette : existe-t-il une entité qui a le pouvoir de multiplier les "pains", en quantité illimitée, lorsqu'elle le désire et pour qui elle le désire ? Une entité telle que rien ne puisse se penser de plus grand ?

Dieu ou la Banque Centrale. Mais pour Dieu ce sera quand même difficile (Einstein à propos de la stupidité de l'homme). Ainsi, on accordait jadis à la Banque Centrale une forme de privilège exorbitant, pour la bonne cause. Et puis finalement…

La Banque Centrale n’est pas le centre du monde

Il fut un temps où la terre était au centre de l’univers, tout tournait autour d’elle. On a même pensé qu’elle était plate. Il aura fallu attendre longtemps (16ème siècle) pour mettre tout le monde d’accord : non, la terre n’est pas au centre de l’univers, et c’est même elle qui tourne autour du soleil. Un sérieux revers redéfini comme une première blessure narcissique par Freud  : « la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur ».

Notre Banque Centrale aussi a pu un temps être considérée comme l’horloger d’un monde qui gravitait autour d’elle ; une véritable machine à saucisses transformant toute question en réponse, une machine de Turing capable de calculer toute sorte de choses, une machine à bulles aussi... Aujourd’hui, on en est plus là. La Banque Centrale a autant d’influence sur le monde que le monde n’en a sur elle. Illustration éclairante : plus aucune décision, commentaire, ou geste des autorités monétaires ne se font sans penser à la réaction des marchés. Autrement dit, les deux ne font plus qu’un : consubstantialité. D’autres chercheront quand même à savoir qui fait l’œuf ou la poule. Mais la conclusion est la même : la Banque Centrale n’est pas, plus, le centre du monde.

La Banque Centrale n’est pas née de la cuisse de Jupiter

Deuxième blessure narcissique : « le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique inspirée des travaux de Darwin, de Wallace, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal... » (Freud). Ainsi, Adam et Eve n’avaient donc pas encore l’apparence et la connaissance des homo œconomicus que nous sommes.

La Banque Centrale non plus n’est pas née de nulle part ou tombée du ciel, avec son statut d’indépendance et d’omniscience :

- D’abord, il s’agissait d’être le bras armé des gouvernants afin de financer la dette publique ; puis de mettre dans l’ordre dans les différentes monnaies métalliques.

- Une fois ces missions assurées, on assigna un nouvel objectif à la Banque Centrale : que la machine économique ne s’emballe pas en contrôlant les prix. Dans le même temps il fallait aussi que les gouvernants ne l’utilisent plus comme une éponge à dette : d’où l’indépendance.

- Puis, l’inflation a disparu mais pas les crises. Du coup, la Banque Centrale a inventé de nouveaux jouets : le QE, le taux négatif. Le statut d’indépendance ? de l’histoire ancienne avec la MMT invitant la Banque Centrale à redevenir le bras armé du gouvernement.

- Demain ? le défi environnemental, les crypto-monnaies anticipent déjà un relooking de la politique monétaire traditionnelle.

La Banque Centrale n’est pas aussi rationnelle qu’elle le pensait

Descartes pourrait se retourner dans sa tombe, mais la thèse de l’homme rationnel avançant de manière censée et usant de son plein libre arbitre a vécu. Finalement, nos choix seraient biaisés par nos émotions ou heuristiques boiteuses. Pire, il paraitrait que nous choisissons sans le savoir (expérience célèbre de Benjamin Libet) ! Ainsi naquit la 3ème blessure narcissique de l’homme : « Un troisième démenti infligé à la mégalomanie humaine… le moi n’est pas maître dans sa propre maison. » (Freud).

Et notre Banque Centrale ? Jadis, la politique monétaire consistait à lire dans les règles de Taylor le bon dosage de taux à appliquer à l’économie : ni trop, ni trop peu, afin de ne pas trop freiner ou trop doper la croissance. Ce dosage était déterminé à l’aide d’un savant mélange de potentiel de croissance économique et de cible d’inflation. Les Banquiers Centraux eux-mêmes pratiquaient un discours aride, laissant peu de place aux fantasmes des investisseurs. Mais chassez l’irrationnel, il revient au galop : déjà durant les années 90, Alan Greenspan innova avec son fameux : « si vous avez compris ce que j’ai dit, c’est que je me suis mal exprimé ». Puis, les crises de 2000, 2008, et 2012 ont semé la pagaille finale, donnant l’impression que les autorités n’avaient plus la maitrise des éléments. Comme un chien qui a perdu ses dents mais qui ne veut pas qu’on le sache sans défense, les autorités se mirent alors à aboyer plus fort : forward guidance, QE, whatever it takes… 

La 4ème blessure narcissique : elle ne peut pas tout comprendre

Freud ne pouvait pas encore le savoir, mais l’homme allait subir un 4ème affront : il ne pourra jamais tout savoir, tout comprendre. Il faut oublier le projet d’une connaissance parfaite espéré par certains (Laplace, Hilbert). Ce rêve nous est interdit, pour toujours, par des résultats dits négatifs du siècle dernier dans des domaines clefs : physique (Poincaré), quantique (Heisenberg), informatique (Turing), et mathématique (Gödel). Il faut s’y résoudre : Le fantôme de la transparence n’existe pas (Girard).

Pourtant les Banques Centrales y ont cru. Il y avait les théories et leurs modèles, ne manquaient plus que les données pour obtenir la réponse à la question posée. Mais, parfois cela coince, soit parce qu’il manque des données, soit parce que le modèle n’est pas le bon, ou soit simplement parce qu’il n’y a pas de réponse à la question. Pas découragées pour autant, les Banques Centrales ont multiplié les tentatives pour tenter de percer le mystère de la croissance qui ne fait pas ce qu’on lui dit : des modèles encore plus fins (DSGE rafistolés), davantage de données (Big Data). Mais quand ca veut pas… Pourtant, Hayek avait déjà prévenu tout le monde en son temps : « sachant qu’un individu n’est même pas capable de justifier pourquoi il choisit A plutôt que B, comment une Banque Centrale pourrait – elle le comprendre pour tous les individus ? »

Conclusion

Ainsi, nos Banques Centrales ont bien des pouvoirs, mais pas celui de choisir à notre place : "On ne peut pas vouloir ce que l'on veut" (Schopenhauer). On ne fait pas boire un cheval qui n'a pas soif, même si on lui propose des tonnes d'eau de très bonne qualité. Autrement dit, la pratique de politiques monétaires ultra-accommodantes ne s’est (toujours) pas traduite par une accélération significative de la croissance et des prix. 


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14 réactions à cet article    


  • Samy Levrai samy Levrai 6 septembre 2019 14:41

    Battre sa monnaie... un des 4 piliers de la souveraineté, c’est pas difficile sur les 4 piliers, nous n’avons le contrôle sur aucun.


    • Gérard Foucher Gérard Foucher 6 septembre 2019 16:05

      Oh là là, tellement de fausses croyances dans cet article !... 

      Il faudrait expliquer l’étanchéité monnaie centrale vs monnaie bancaire, l’inversion du faux lien de causalité Banque centrale => banques commerciales, l’inexistence des « réserves fractionnaires », qui explique le fait que les banques commerciales créent (beaucoup) plus de monnaie que les banques centrales, etc, etc...
      Bon à tout hasard, pour celles ou ceux qui voudraient décrypter tout cela :

      https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/scoop-la-banque-d-angleterre-149472

      https://aaapositifs.ch/le-mythe-de-la-multiplication-des-reserves-fractionnaires/

      https://aaapositifs.ch/qui-a-cree-combien/



      • Gérard Foucher Gérard Foucher 6 septembre 2019 16:37

        Créer des jetons n’est pas vraiment l’apanage des Banques Centrales...
        https://aaapositifs.ch/serions-nous-les-cobayes-de-la-bns/

        ... et certains sont déjà bien au courant...
        "enormous money creation by Chinese banks “out of thin air”.
        https://www.zerohedge.com/markets/real-helicopter-money-2009-china-has-created-21-trillion-new-money-more-then-double-us


      • Francis, agnotologue JL 6 septembre 2019 19:15

        @Gérard Foucher
         
        à votre troisième lien on lit ceci : ’’ ... des faux-billets c’est très mal, c’est interdit par la loi, par contre des nombres créés dans les comptes en banque, par les banques, là ce n’est pas interdit parce que créer des nombres c’est très différent que de créer des faux-billets.’’
         
        A mon avis,
         
        La différence est tout de même de taille : les lignes de crédit ouvertes par les organismes de prêts ont vocation à être soldées : les nombres seront effacés ; en revanche, les faux billets ont vocation à demeurer.
         
        Par contre, je suis d’accord sur ça : la monnaie fiduciaire créée par la banque centrale s’apparente à celle des faux-monnayeurs, à ceci près qu’elle est légale.
         


      • Julien Pradet 25 septembre 2019 11:50

        @Gérard Foucher Il existe des réserves fractionnaires représentées par le taux de couverture. Avant la crise de 2008 il était de 9%. Après, il est passé à 11% (loi Bâle III, de mémoire). Rassurant, non ?


      • Julien Pradet 25 septembre 2019 11:56

        @Gérard Foucher Le deuxième lien présente un rapport d’une vision purement monétariste :

        Voici les 3 points du résumé du rapport :

        • Cet article explique comment la majeure partie de la monnaie dans l’eìconomie moderne est creìeìe par les banques commerciales lorsqu’elles accordent des prêts. (le mot crédit aurait été plus précis… voir notre lexique)
        • Dans la pratique, la creìation moneìtaire ne se passe pas comme le deìcrivent certaines ideìes fausses reìpandues : les banques n’agissent pas comme de simples intermeìdiaires qui acceptent des deìpôts placeìs chez elles par des eìpargnants, et elles ne multiplient pas non plus la monnaie de la Banque Centrale pour creìer de nouveaux prêts ou de nouveaux deìpôts.
        • En deìfinitive, la quantiteì de monnaie creìeìe dans l’eìconomie deìpend de la politique moneìtaire de la Banque Centrale. En temps normal, celle-ci est meneìe en fixant les taux d’inteìrêt. La Banque Centrale peut eìgalement agir directement sur la quantiteì de monnaie par l’achat d’actifs ou « assouplissement quantitatif » (QE).
        C’est le dogme actuel, c’est se bien faire voir.

        Nota : les taux de couvertures sont encore pire que dans la zone Euro !!


      • Ruut Ruut 6 septembre 2019 16:33

        Devinette : existe-t-il une entité qui a le pouvoir de multiplier les « pains », en quantité illimitée, lorsqu’elle le désire et pour qui elle le désire ? Une entité telle que rien ne puisse se penser de plus grand ?

        OUI LA FED


        • ddacoudre ddacoudre 6 septembre 2019 20:56

          Bonjour Merci pour cet article qui remet les pieds sur terre. J’ai souvent écrit L’HOMME ne survivra pas à la comptabilisation de son existence. la recherche du déterminisme n’est pas à la disposition de l’homme même s’il peut ressentir que nos existent s’auto détermine avec l’environnement. C’est tous ceux qui ont imaginé la création avec leur collection de dieu dont un celui des chrétiens inclus l’incertitude d’Heisenberg, celui des musulmans le déterminisme de l’existence, comme ceux qui ont accordé cette tâche à la comptabilité et la la divination des banques. Les patrons on déjà compris que pour conserver l’avantage du Capitalisme il vont devoir l’adapter à l’économie de la connaissance qui se met en place. Comme à leurs habitudes ceux qui auraient à prendre place, les SALARIÉS ne le font pas alors que ce sont eux qui gagne le capital des banques et des marchés.

          http://ddacoudre.over-blog.com/2019/08/supprimer-l-impot-sur-les-societes-que-paient-les-salaries.html Cordialement ddacoudre OverBlog


          • Julot_Fr 7 septembre 2019 10:28

            Il a une lutte aux usa avec la fed qui essaie de rejeter la faute du prochain crash sur la guerre commercial imposee par Trump sur la Chine. La lute va jusqua ce que Dudley, un official du monde des banques, a suggere a la fed d’empecher la reelection de Trump (avec elevation des taux + pas d’achat de dette). Ici on voit qu’il y a un probleme avec les banques centrales.. elles sont privees, completement politisees et leur business model est d’enculer le peuple en creant les bulles et les crash


            • Parrhesia Parrhesia 7 septembre 2019 11:29

              Revenir à l’étalon-or serait déjà un moyen efficace de pallier nombre des bidouillages monétaires éhontés que son abandon a autorisés. (Cf., pour ne citer que cela, le rythme d’émission de la planche à billets comme régulateur principal de la socio-économie !)

              Les « eggyheads bidouilleurs et apprentis sorciers financiers » de tous bords commencent enfin à le comprendre, dans la mesure où les exagérations et incohérences du système finissent par le rendre de plus en plus difficilement gérable.

              Un peu comme les abus de corruption dans certains pays, finissant par devenir plus coûteux pour les corrupteurs que le respect de la Loi et de la Justice, le retour à la Loi et à la Justice s’impose alors brutalement par simple logique incontournable.

              Chine et Russie échappant encore, au moins partiellement, à l’influence du N.O.M. semblent l’avoir compris et semblent déjà agir en conséquence. (Cf. : Certains rachats d’or qui ne s’expliqueraient plus autrement.) 

              Malheureusement, les pitbulls mondialistes et autres apprentis-sorciers financiers ne lâchant pas facilement leur os, cela ne pourra pas se faire sans douleur.

              Je veux dire : « Sans de grandes douleurs » !!!


              • Julien Pradet 25 septembre 2019 11:47

                @Parrhesia Revenir à l’étalon or ne résoudrait rien. La valeur de cette matière fluctue selon la masse disponible. Si un nouveau filon important est trouvé, immédiatement sa valeur décroit. Cela a-t-il une raison en rapport de l’économie d’un pays ? Que ce soit une valeur de référence, soit.
                A savoir que le volume d’or mondial est représenté par un cube de 47 m3. Surprenant, non ? Et si ce cube disparaissait, toutes les économies s’effondreraient ?


              • Julien Pradet 25 septembre 2019 19:38

                @Julien Pradet

                Pardon : Le volume d’or mondial représente un cube de 47 mètres de côté.


              • Ruut Ruut 9 septembre 2019 17:34

                Mettre fin à la libre circulation des capitaux réindustrialiserait comme par magie notre Pays.
                Imposer aux Banques d’avoir 100% du cash qu’elles prêtes mettrait fin aux crash boursiers.
                Après ceux qui profitent sont aussi ceux qui décides et qui nous désinforment….


                • Julien Pradet 25 septembre 2019 11:43

                  Très bon article, merci.

                  « puis de mettre dans l’ordre dans les différentes monnaies métalliques » je pense que vous vouliez dire « mettre de l’ordre ».

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