Bernanke Ponce Pilate
Le discours de rentrée du Président de la Banque Centrale Américaine tenu il y a quelques jours devant l’Association Economique de son pays fut consternant. Selon ses dires, si une régulation appropriée s’avère en effet nécessaire aujourd’hui, la politique monétaire de la Fed s’est révélée adaptée en toutes circonstances !
La Réserve Fédérale US n’a-t-elle donc rien à dire sur les pratiques délictueuses des établissements bancaires et financiers censés être sous sa supervision ? Abus du levier et de commissionnements n’ont-ils pas abouti entre 2002 et 2007 à l’émission de 1’400 milliards de dollars de prêts subprimes qui se sont transformés en 14’000 milliards de dollars d’actifs toxiques utilisés à leur tour par ces mêmes Banques comme garantie pour emprunter encore plus ?
Bernanke, qui n’a tiré aucun enseignement des tourmentes de ces dernières années, cherche-t-il donc ostensiblement à se moquer du plus grand nombre pour protéger un cercle restreint ? Comment faire abstraction de cette frénésie bancaire - dégonflée durant l’été 2007 - ayant consisté à titriser, à labéliser et à revendre des créances pourries néanmoins considérées en leur temps comme une poule aux oeufs d’or mais qui aggravaient l’exposition du secteur financier en proportion de ses bénéfices ?
A l’occasion de son premier discours de l’année, la seule stratégie du Président de la Réserve Fédérale US fut en fait de se lancer dans un exposé académique sur la règle de Taylor et d’analyser de manière très professorale l’équation évaluant la fixation des taux d’intérêts en fonction des objectifs d’inflation ! Très rapidement balayés les griefs selon lesquels la politique des taux ridiculement réduits était responsable de l’appréciation très rapide des prix immobiliers de son pays prétextant que cette fièvre immobilière - trop importante pour être simplement attribuée aux taux d’intérêts - aurait également dû sévir dans d’autres pays ayant des taux bas ... ce qui fut bien évidemment le cas !
Quant à l’hypothèse d’une bulle spéculative immobilière - et des subprimes - évitée grâce à des taux remontés dès 2003 ou 2004, elle fut tout aussi rapidement contournée par l’argument suprême selon lequel la croissance en aurait souffert. La Fed avait donc tout juste et Bernanke - qui a évité à notre monde de sombrer dans une Grande Dépression bis - est donc bien l’Homme de l’année...
L’économie réelle avec le crédit difficilement consenti aux ménages moyens, l’augmentation du nombre des faillites et des saisies immobilières ne furent même pas évoqués ... pas plus que la complexité effarante des produits financiers ou l’indispensable reconstruction du paysage bancaire Américain en établissements d’utilité publique traitant avec le consommateur et établissements dédiés à la Bourse et à la spéculation porteurs d’un risque systémique latent nettement plus élevé...
En réalité, Bernanke, Geithner, Paulson et leurs amis estiment que sauver les fondements de l’économie de leur pays revient à inonder les établissements financiers de liquidités qui resteront bien entendu aux portes de Wall Street. Sinon, pourquoi les autorités US n’auraient-elles opté pour l’alternative moins coûteuse, plus efficace et plus équitable d’injecter une partie au moins de ces fonds directement dans les hypothèques insolvables ? N’est-il pas plus élégant de procurer 6’000 milliards de dollars en prêts et autres facilités de paiement à des Banques en nourrissant le voeu qu’une partie de ces sommes finira bien pas trouver son chemin vers le peuple ? La passation sous silence du lien inextricable entre Wall Street et le pouvoir financier et politique Américain n’est-elle pas la meilleure garantie qu’une nouvelle crise point à un horizon pas si lointain ?
Pour autant, le plus déconcertant dans ce discours de Bernanke fut sa défense quasi acharnée des taux d’intérêts très bas ayant régné durant la majeure partie de la décennie précédente car elle prépare le terrain à une politique monétaire tout aussi laxiste - et donc potentiellement catastrophique - en 2010. En effet, comment excuser des taux d’intérêts qui resteront toujours à zéro cette année si ce n’est en prenant la défense de son prédécesseur et de sa politique hyper accommodante ... ayant conduit à des hyper bulles ? L’évocation de la bulle immobilière étant prétexte à préparer le terrain et les esprits vis-à-vis de la future bulle qui menace.
En minimisant les responsabilités et actions passées de la Fed dans la formation des bulles spéculatives, Bernanke absout ainsi par avance ses propres actes et les bulles qui porteront son empreinte. On devine déjà le discours qu’il donnera dans quelques années : " Nous n’avons pas provoqué cette bulle car les prix ont aussi augmenté dans d’autres pays".
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