Betteraves : chronique d’une mort annoncée
2020, au mois d’avril, pendant que la France entière était rivée sur le coronavirus, légitimement, la filière betteravière, les planteurs de betteraves, tiraient la sonnette d’alarme…
Pourquoi ? Revenons, je vous prie, en arrière.
C’était en 2016, lorsque la députée de la Somme Barbara Pompili présentait une loi dite Biodiversité. Dans cette loi était inscrite l’interdiction des néonicotinoides à l’horizon 2018. Ces néonicotinoides qui sont des produits phytosanitaires qu’utilisent nos planteurs de betteraves pour protéger leurs cultures.
Une suppression motivée par la préservation des abeilles. Nous avions beau leur expliquer que les betteraves sont récoltées avant qu’elles ne fleurissent, qu’il n’y a pas d’incidence sur les abeilles, ou si incidence il y a, elle est minime, mais rien à faire…
Arrive le 1er septembre 2018 et cette fameuse suppression des néonicotinoides.
Mais ce serait oublier entre-temps une autre décision fatidique qui creuse le tombeau de la filière betteravière et des producteurs : la fin des quotas sucriers le 1er octobre 2017. Ce qui entraîne une dérégulation des marchés, une surproduction qui baisse les prix... bref la betterave mangée à la sauce laitière.
Une fin des quotas bénie sournoisement par le Président de la Confédération Générale des Planteurs de Betteraves (CGB) qui s’exclamait en 2014 : « la fin des quotas est une opportunité », tout comme le pensait Agritel pour le lait.
Oui, une très belle opportunité. En plus du résultat écrit plus haut, cette situation a entraîné la fermeture de quatre sucreries : Cagny (Calvados) et Eppeville (Somme) pour le compte de Saint-Louis-Sucre, Bourdon (Puy-de-Dome) et Toury (Eure-et-Loir) pour Cristal Union. Oui c’est une très belle perspective. Mais ces fermetures sont toutes récentes, fin 2019 début 2020.
Mais restons encore un instant en 2018. Le 11 octobre 2017, à Rungis, le Président Macron avait promis d’inverser la construction du prix, de façon à ce que les agriculteurs gagnent leur vie. Sont venus les états-généraux de l’alimentation, la loi Egalim le 30 octobre 2018 qui en découle.
Cette loi Egalim qui devait permettre une meilleure rémunération pour nos Agriculteurs. Résultat : porc = 11 cts en dessous du coût de production (1,29 au lieu de 1,40 le kilo). Le lait = 80 euros en dessous (320 au lieu de 400), la viande bovine= 50cts à 1euro en dessous (3,50 à 4 au lieu de 4,50). Belle avancée et très significative. Bref, nous pourrons toujours y revenir.
Dans cette même loi, nous notons la présence de l’article 83, où il est écrit : « interdiction d'utilisation des produits phytosanitaires à modes d'action identiques aux néonicotinodes ». En clair, le retour des néonicotinoides ne semble pas être au menu du jour, encore moins les dérogations ou les alternatives.
Suivant cette logique, le 12 septembre 2019, le gouvernement a pris un décret interdisant l’utilisation de deux substances aux modes d’actions identiques aux néonicotinodes, en application de la loi EGALIM.
Le 28 juillet 2020, le Ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a dit que « jamais », il n’abandonnera la filière de la betterave. Un « jamais » qui fait penser à celui de Jérôme Cahuzac pour la (fausse) non existence de compte à l’étranger.
Se cachant derrière le respect des rôles parlementaires et gouvernementaux, l’ingénieur agronome qu’est le Ministre Denormandie se défausse de toute responsabilité en omettant (volontairement ?) le fait que le pouvoir exécutif peut initier des lois, et condamne ainsi les producteurs de betteraves…
Le Ministre de l’Agriculture préfère la voie du soutien financier à la filière (Agriculteurs compris ?!) plutôt que de remettre les néonicotinodes en attendant de trouver des solutions alternatives. Serait-ce pour rassembler les votes verts pour la réélection de 2022 à laquelle le gouvernement semble plus attaché qu’à l’intérêt général, ou pour ne pas créer de crise gouvernementale avec son homologue Barbara Pompili, devenue Ministre de la Transition écologique, porteuse de la loi Biodiversité de 2016 ? Cette même Pompili qui, lorsqu’on lui pose le problème de l’impasse technique de la betterave, répond par l’idée d’une taxe aux importations.
Et quid du prix payé aux producteurs ? C’est l’impasse aussi ? Le coût de production s’élève à 28 euros la tonne et les planteurs sont payés 3 voire 7euros de moins !
Au final, la betterave ne sera pas sauvée, les planteurs sont laissés pour compte. Ce que nous ne pourrons plus produire sera produit ailleurs en dessous de nos normes de production, et exporté chez nous.
Éclatante vision des idées de transition écologique et de souveraineté alimentaire.
Et c’est ainsi que la betterave est morte…
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