Bilderberg & Co : le lobbying de l’European Round Table à Bruxelles
Pour rendre plus concrète l’influence de certains lobbies sur nos vies quotidiennes et notre avenir, il semble important d’examiner des cas concrets. Au niveau européen, la Commission européenne a l’initiative des lois, c’est donc auprès d’elle que la plupart actions de lobbying sont menées, sans que cela ne choque personne, bien au contraire. L’ERT est donc l’un de ces groupes de pression, encore que le terme « pression » semble inapproprié tant les liens avec la Commission sont étroits. Mais la construction européenne elle-même a été influencée par ce groupe de lobbies, dans un sens uniquement libéral, et ce, malgré les résultats économiques peu concluants de ces politiques.
L’éducation vue par l’ERT et consorts
Enfin,
l’idée d’un enseignement à distance est préconisée, reprise l’année suivante
par la Commission européenne qui juge un tel enseignement plus
« rentable ». À partir de là, toujours en suivant les préconisations
faites par l’ERT dans ses « rapports », on équipe les établissements
en ordinateurs, pas pour les former à l’informatique en elle-même, mais pour
familiariser les élèves avec l’interface informatique. Conséquence non
négligeable de cette introduction à grand frais de l’informatique à l’école,
les élèves seront aptes à utiliser les nouveautés électroniques et
informatiques lancées sur le marché.
La même
ERT revient à la charge dans un nouveau rapport en 1995, affirmant que « L’éducation
doit être considérée comme un service rendu [...] au monde économique. »,
et que « Les gouvernements nationaux devraient envisager l’éducation
comme un processus s’étendant du berceau au tombeau ». Vaste
programme...
L’idée de
« la formation tout au long de la vie » est immédiatement reprise par
la Commissaire - socialiste - Édith Cresson en 1995[4],
avec en prime une sorte de carte de compétences évaluées hors du contrôle de
l’État, que chaque élève/futur salarié traînerait avec lui comme jadis le
livret ouvrier. Bien évidemment, cette « formation » se fait via
internet grâce à des logiciels spécialement conçus par des entreprises privées...
De fait, on ne parle plus de savoirs mais de « compétences »,
quantifiables et immédiatement fonctionnelles quand l’élève/salarié arrive
sur le marché (du travail)[5].
De même, la pédagogie est une notion à oublier, perçue comme inutile puisque le
système éducatif sera uniquement destiné à effectuer un tri entre les futurs
cadres, et la future main-d’œuvre.
En 1998,
l’OCDE considère[6] que
les enseignants ne sont pas indispensables à « la formation tout au long
de la vie », des « prestataires de services éducatifs »
faisant l’affaire. La même année, la Commission, dans le rapport Reiffers,
considère que « le temps de l’éducation hors école est venu et que la libération du processus éducatif rendue ainsi
possible aboutira à un contrôle par des offreurs d’éducation plus innovants que
les structures traditionnelles ». Plus loin dans le même rapport on peut lire : « Même
à l’intérieur des établissements scolaires, l’individualisation plus marquée
des modes d’apprentissage - qui sont flexibles et induits par la demande - peut
être considérée comme supplantant les formules trop lourdes et dominées par
l’offre. Elle annonce le déclin consécutif du rôle des enseignants, dont
témoigne aussi le développement de nouvelles sources d’apprentissage, notamment
par le biais des TIC (Technologies de l’information et de la communication, à
savoir l’informatique) et de ressources humaines autres que le corps
enseignant ». Cette analyse remet en cause l’école telle qu’on l’a
toujours connue, avec un instituteur ou un professeur à qui on pouvait poser
des questions, et qui suivait plus ou moins le parcours des élèves. Comment
étudier les langues devant un ordinateur ? Comment apprendre la réflexion
philosophique avec ses subtilités, face à un écran ? Comment récupérer à
temps les élèves qui décrochent ?
Ensuite,
la notion de privatisation (on dit « autonomie » ou
« partenariat public-privé ») s’installe avec ses
corollaires : augmentation des frais de scolarité à la charge des
étudiants, et retrait étatique dans la gestion du système scolaire. Tout est
possible, puisque Maastricht a permis la
libéralisation complète de la « prestation de services ». Mais il
semble toutefois qu’avant même la signature de l’Accord général sur le commerce
des services (AGCS, qui prévoit la libéralisation complète des services),
l’Europe - 1er exportateur de services à l’époque - ait poussé à la
libéralisation de l’enseignement auprès du GATT (la première version de l’OMC),
afin que ce secteur figure dans la liste des services visés par l’AGCS[7],
la Commission s’engageant même à ne prendre aucune mesure qui puisse entraver
l’arrivée de fournisseurs de services privés dans l’enseignement, du primaire
au supérieur, tout en cherchant aussi à préserver le secteur public[8]...
Et de
toute manière, la qualité de l’enseignement donné au commun des mortels
importe peu, puisque les emplois qui seront crées seront en grande partie des
emplois non qualifiés. Une étude prospective américaine a calculé que 60 à 65 %
des futurs emplois ne nécessiteront aucune formation préalable, et sur les 30
emplois qui auront la plus grande croissance en volume d’ici à 2011, 19 ne
nécessiteront aucune qualification, et 9 seulement requiéront un diplôme
universitaire[9]. En
France, le nombre d’emplois non qualifiés est reparti à la hausse depuis le
milieu des années 90, d’où l’idée de Sarkozy de lancer l’apprentissage dès 12
ans pour ceux qui ne suivent pas bien dans le système scolaire...
En 1998,
l’OMC produit elle aussi un rapport, sur la libéralisation de l’enseignement,
considérant comme une « barrière (...) l’existence de monopoles
gouvernementaux et d’établissements largement subventionnés par l’État ». On
commence même à avoir des facs IBM- Microsoft notamment en Belgique, ou en
France des diplômes appelés « licences professionnelles » hyper
spécialisés et dont les programmes, l’enseignement et le financement sont en
partie assurés par les entreprises. Créées par Allègre lorsqu’il était à
l’Éducation nationale et mises en place en septembre 2000 via un
« partenariat » avec les entreprises, elles sont plus de 1 600 à
l’heure actuelle avec un taux de réussite à plus de 80 % la première année, taux
incroyablement élevé pour des études qualifiées de
« supérieures ». En 2004, à
Lille, il y en avait déjà 80 différentes, à Créteil, Metz, Lyon une soixantaine,
et 34 000 élèves suivaient ces formations en 2004- 2005... À la rentrée
2006, il y avait 1 438 formations menant à 48 licences professionnelles,
voilà pour l’ « harmonisation européenne », donc, même si au
niveau national point d’harmonisation. Il n’y est bien sûr pas question de
culture ou même d’un enseignement économique digne de ce nom. Où est la
cohérence de diplômes aussi spécialisés alors que le discours ambiant est
focalisé sur la « flexibilité » ?
Il y a
même en Angleterre un indice boursier de l’éducation (le « UK education
and training index »), qui a augmenté de 240 % entre son lancement en 1996
et 2000, ce qui est bien supérieur aux indices évaluant les marchés traditionnels,
preuve de l’importance des bénéfices potentiels dans le secteur.
En 2000,
au sommet de Lisbonne[10]
(qui fait de la compétitivité la priorité de l’Europe), l’objectif est
clairement défini : « L’objectif central des systèmes éducatifs
est d’aider l’Europe à devenir l’économie de la connaissance la plus
compétitive ». Cette notion de
compétitivité a été si bien assimilée par certains que des PDG se retrouvent
présidents d’université, à l’instar du PDG de Pétrofina, Patrick de Cornélis,
membre de l’ERT et accessoirement président de la réputée université catholique
de Louvain, en Belgique.
Au final,
ce processus est uniquement au service des entreprises qui pourront faire du
chiffre dans l’éducation et formater les futurs consommateurs. À côté de cela, les
inégalités vont se creuser davantage du fait des coûts de l’enseignement. L’éducation
sera chère, et inabordable dans le supérieur pour une partie de la population. Pour
les autres, il restera les licences professionnelles, et des cours formatés selon
l’envie des entreprises. Si en plus de cela l’État n’investit plus du tout dans
le système scolaire, les plus pauvres auront le choix entre se ruiner ou faire
subir un enseignement minimaliste à leurs enfants, suivi essentiellement devant
un ordinateur. Pour l’université, la recherche et les investissements privés
seront bien évidemment orientés vers les filières jugées « rentables »
à court et moyen terme, et il y a fort à parier que les thésards en sciences
sociales et humaines auront beaucoup de mal à survivre (ce qui est déjà
largement le cas)...
De plus, il faut rappeler que
les besoins d’une entreprise à un moment donné ne sont pas les mêmes dix ans
plus tard, et les formations risquent de devenir obsolètes. C’est déjà ce qui
est arrivé en France avec certains BTS, lancés et promus en grande pompe pour
fournir de la main-d’œuvre à peu près qualifiée à des entreprises qui, lorsque
les étudiants ont terminé leur cursus en informatique, se sont retrouvées en
pleine explosion de la bulle internet, les laissant sur le carreau.
Ainsi, l’école de demain formera des consommateurs prêts à
utiliser les dernières trouvailles informatiques et électroniques, de futurs
salariés ultra flexibles, mais certainement pas des citoyens conscients du
monde qui les entoure.
L’Europe
vue par l’ERT
Comme par
hasard, on constate qu’à chaque crise, un lobbie se met en place : en 1954,
après l’échec de la Communauté européenne de défense, la Bilderberg est
constituée et insuffle l’idéologie libérale que l’on retrouvera trois ans plus
tard dans le traité de Rome, qui n’assure qu’une Union économique et non
politique. En 1973, c’est la crise économique notamment grâce à l’OPEP qui augmente
de 400 % le prix du baril. Et là, on assiste à la naissance de la Trilatérale,
organe réunissant toute une clique de caciques de l’économie et de la politique
mondiales.
Enfin, en
1983, c’est encore une crise économique qui incite à la création de l’ERT, au
moment où Reagan et Thatcher sont en train de faire appliquer leurs politiques libérales :
recul du rôle de l’État, privatisation des services publics, politique
d’austérité budgétaire... Le jour de la création de l’ERT, celui qui n’est encore
que vice-président de la Commission européenne (mais aussi et surtout membre et
futur président du Bilderberg, à partir de 1999), le vicomte belge Étienne
Davignon, est présent. Puis l’Acte unique est immédiatement lancé, supprimant les barrières à la circulation des
marchandises en Europe.
Cet acte
est la concrétisation de la volonté du Bilderberg : en 1984 la Commission
sort un texte sur la limitation des barrières commerciales, mais l’ERT le juge trop
frileux. Le PDG de Philipps Wisse Dekker propose donc un calendrier afin
d’abolir toutes les barrières au libre commerce qui existaient dans l’Union
européenne[12], et l’ERT
envoie ensuite son propre rapport ("Europe 1990 : un agenda pour
l’action") aux chefs d’État et de gouvernement ainsi qu’aux fonctionnaires
de la Commission. Juste après, le commissaire à l’Industrie rédige son Livre
blanc, reprenant exactement les recommandations de l’ERT, qui sert de base pour
l’Acte unique de 1986.[13]
Jacques Delors a fait exactement la même chose en reprenant toutes les
recommandations de l’ERT dans son Livre blanc sur la croissance et la
compétitivité. C’est ce même Jacques Delors qui était encensé par la secrétaire
adjointe de l’ERT, Caroline Walcot, évoquant l’embellie des relations entre la
Commission et l’ERT sous la présidence du fameux socialiste.
Dans le
but de parvenir rapidement à une Union économique et monétaire (UEM) impliquant
que les États laissent la gestion de leur politique monétaire à une ou des
institutions supranationales, cinq multinationales de l’ERT (Solvay, Total,
Rhône Poulenc, Fiat et Philips, dont des représentants sont régulièrement
conviés aux réunions du Bilderberg) créent en 1987 l’Association pour l’union
monétaire européenne (AUME) - financée par la Commission- bien
qu’officiellement ce soit Giscard qui en ait eu l’initiative.[14]
C’est l’UEM qui a mené aux traités de Maastricht en 1992, et d’Amsterdam en
1997, au Pacte de stabilité, à la mise en place d’une Banque centrale
européenne privée et indépendante des États, et enfin à l’euro[15].
L’AUME
est actuellement dirigée par le vicomte Davignon (président du Bilderberg depuis
1999). Bertrand de Maigret, secrétaire général de l’AUME, a expliqué en mars
1997 à quel point les relations sont simples et cordiales entre son lobbie et
la Commission : « Ils nous appellent, nous les appelons, nous les
voyons, nous discutons des problèmes. Ils sont très souples. Je ne fais pas
partie de ceux qui critiquent l’administration de la Commission [européenne].
Ils sont très ouverts au dialogue, au moins en ce qui concerne le
monétaire. »
Il faut à
ce stade préciser que le projet d’union monétaire date au moins du début des
années 60, quand un dénommé Robert Marjolin intervient dans la politique
européenne. Il a rejoint Jean Monnet aux États-Unis pendant la guerre, a été
mis par lui à la tête de l’Organisation européenne de coopération économique
(OECE) et a fini sa carrière aux comités d’administration de multis comme la Royal Dutch Shell (qui appartient aux
prince Bernhard, fondateur du Bilderberg, et à la reine des Pays-Bas) ou la
Chase Manhattan Bank (à Rockefeller, autre fondateur du Bilderberg, membre de
la Trilatérale et du Council on Foreign Relations). Marjolin pond en 1962 son «
Programme d’action pour le deuxième étage de la Communauté économique
européenne (1962-65) », qui préconise déjà une union économique et
monétaire[16].
En 1968,
sort un « Mémorandum pour une action communautaire dans le domaine monétaire »,
prescrivant que les États ne prennent aucune mesure concernant la parité de
leur monnaie sans consulter les autres, ainsi que la définition d’une
« unité de compte devant être utilisée dans toutes les actions de la
Communauté ayant besoin d’un dénominateur commun », c’est-à-dire une monnaie
commune. Et en 1969, Raymond Barre (futur membre de la Trilatérale et ami
proche de Marjolin) fait son propre mémorandum, reprenant et dépassant les
préconisations de celui de 1968 : renforcement de la coordination dans les
politiques économiques, surtout en ce qui concerne la production, l’emploi, les
salaires et la balance des payements, obligation faite aux États de consulter
préalablement les autres avant de mener des politiques économiques, progression
dans la création d’une politique économique européenne.
Le projet
d’UEM stagne dans les tiroirs jusqu’à l’arrivée de Jacques Delors à la
présidence de la Commission en 1985. C’est lui qui avait incité Mitterrand à
faire son « tournant libéral » en 1983, et à mener des politiques
d’austérité budgétaire. Le Plan Delors, préparé uniquement par les banquiers de
la BCE et lancé en 1989, reprend les préconisations du Programme d’action de
1962, mettant en place une Banque centrale européenne indépendante des États et
un processus par étapes devant aboutir à une monnaie unique et à une « concurrence
libre et non faussée », grandes revendications des milieux banquiers et
industriels. En outre, ce Plan préconise la « flexibilité des
salaires et la mobilité de la main-d’oeuvre », ainsi que la fin des aides de l’État à certains secteurs.
Mais revenons
à l’ERT, qui se soucie ensuite, comme elle le réclame dans un rapport de 1991 sobrement
intitulé « Remodeler l’Europe », de doter ladite Europe (ce
« nain politique » dixit le rapport) d’une structure politique et de « principes
directeurs » efficaces[17],
notamment pour mener une politique étrangère tout aussi efficace, ainsi que
l’union monétaire.
Et puis
c’est la « compétitivité » qui passe à l’ordre du jour, concrétisée
avec le sommet de Lisbonne qui l’érige en priorité pour l’Europe. Depuis, 60 %
des emplois crées en Europe sont des temps partiels, les services publics sont
systématiquement privatisés, la part des « coûts » salariaux est
passée de 75,3 % en 1981 à 66,2 % en 2006[18],
ce sont autant de rémunérations supplémentaires pour les patrons et actionnaires.
Soucieux depuis longtemps de la « compétitivité », l’ERT suggère en
1993[19]
à la Commission de mettre en place un « conseil de
compétitivité » : en 1995 un « groupe consultatif de
compétitivité » est crée, avec 4 membres de l’ERT sur un total de 13 personnes[20].
Dans ce rapport de 1993, l’ERT préconise la libéralisation des
télécommunications, des transports et de l’énergie, et une
« harmonisation » des régimes fiscaux des pays européens.
Ceci n’est
qu’un bref résumé de l’influence de l’ERT sur la construction européenne, qui
comporte de nombreuses ellipses. Mais différentes études menées par des
universités encore indépendantes ou par des groupes de recherche sur le lobbying
ont mis à jour ces connivences, ainsi que les processus d’influence sur les
institutions. Effectivement, le lobbying consiste à influencer notamment les
pouvoirs publics, et l’on pourrait discuter de la légitimité de telles actions
pendant longtemps. Cependant, il apparaît que les représentants des populations
se bornent à recopier les préconisations de ces lobbies, qui eux ne sont pas là
pour représenter l’intérêt général mais celui des entreprises pour lesquelles
ils travaillent. Il y a donc un problème de démocratie évident dans le
processus de décision, puisque les citoyens ne sont pas informés de ces tractations.
Autres cas de lobbying
L’ERT, de
son côté, n’a pas chômé non plus. Avant le sommet de Lisbonne en mars 2000,
elle sort le rapport alarmiste « European Pensions, an appeal for
reform », considérant le financement public des retraites comme un frein à
la sacro-sainte compétitivité, qui justement était l’axe principal des
discussions de Lisbonne. Il préconise aussi d’augmenter l’âge de la retraite,
et de pousser les gens à économiser durant leurs
années de travail pour se
faire un bas de laine... Ce rapport, comme d’habitude, a été très bien reçu par
la Commission, dont Romano Prodi (invité plus tard par le Bilderberg) était
alors le président. En octobre 2000, la directive « fonds de
pension » sort des tiroirs, validée un an plus tard par le Parlement,
encore grâce à un intense lobbying, mais cette fois à Strasbourg.
Mais la
directive n’allait pas assez loin, donc l’ERT s’est remis à faire des rapports
toujours très objectifs, cette fois avec la très libérale Fondation De
Benedetti, pour expliquer à la Commission qu’un financement public des
retraites n’est pas viable. Ces rapports sont largement repris dans les grands
médias libéraux (les mêmes qui viennent régulièrement aux réunions du
Bilderberg, c’est-à-dire le Financial Times, l’Economist, Les
Echos, etc.) histoire de faire ce que
désormais on appelle de la « pédagogie » auprès des citoyens, au
moins une partie d’entre eux...
En 2003, l’Union
des industries chimiques françaises publie un « rapport » expliquant
que si REACH passait, le PIB français chuterait d’1,6 % en dix ans. Ce rapport
a été ensuite dénoncé par des économistes indépendants [24]...
La même année, une version ultra light de la directive est présentée par la
Commission, puisque à peine 10 % des produits seraient soumis à des tests. De
plus, l’autorité qui devait vérifier l’exactitude des tests devait être mise en
place par l’Europe elle-même, avec un budget forcément limité, étant donc
condamnée à une inefficacité certaine. Mais une fois arrivé au Parlement en
2005, le texte avait encore été allégé [25].
Finalement adopté en décembre 2006, REACH permet de continuer l’importation de
produits à la toxicité avérée et pour lesquels on a pourtant des alternatives,
et les fournisseurs de produits toxiques dont moins de 10 tonnes (ce qui est le
cas pour la plupart des substances les plus toxiques) sont importées chaque
année n’auront pas à avertir des risques sanitaires.
On
pourrait évoquer de nombreux cas dans lesquels le lobbying des multinationales
et autres groupes de pression a été à l’encontre de l’intérêt général. L’introduction
des OGM, le développement du réseau routier, le traité européen, l’Accord multilatéral
sur l’investissement, la réforme de la propriété intellectuelle entre autres mériteraient
d’être développés.
Si l’on
observe le processus depuis le début de la construction européenne (et encore
il faudrait remonter au moins aux années 30 pour bien comprendre les choses),
on s’aperçoit qu’il y a toujours eu des influences que l’on pourrait qualifier
d’illégitimes sur les instances décisionnelles européennes, et avant cela sur
les hommes à l’origine de cette « Europe » qu’on nous vend si bien
depuis soixante ans. Les Etats remettent toujours plus de leur souveraineté à cette
Europe, éloignant davantage les décisions des citoyens qui perdent presque tout
contrôle sur son orientation. Dès lors, il est relativement inquiétant de voir
l’influence de groupes de pression représentant des intérêts privés et purement
économiques sur les élus et autres fonctionnaires européens qui prennent des
décisions ayant un impact direct sur nos vies. On peut donc parler de « déficit
démocratique » en ce qui concerne l’Europe, parce que cette domination de
la technocratie empêche les citoyens de prendre une part active dans le
processus de construction européenne.
[1] L’ERT représente 47 des plus importantes
multinationales européennes. A sa création en 1983 par les PDG de Fiat, Volvo
et Philips il n’y avait que 17 entreprises représentées. Une partie des membres de l’ERT est membre ou
a été invitée par le Bilderberg, un lobbie chapeautant notamment la
Trilatérale, qui a été fondée par deux de ses membres. Dans le sillage du
Bilderberg, appliquant la même doctrine, on retrouve aussi le Council on
Foreign Relations, qui travaille auprès du gouvernement américain, toujours
avec la même orientation qui est d’établir un libéralisme sans entraves sur la
planète, et de créer des institutions supranationales dans les domaines
politique, économique et militaire.
[2] Cf. Gérard de Selys, « L’école, grand
marché du XXIe siècle » in Le Monde Diplomatique, juin 1998.
[3] ERT, Education et compétence en Europe,
Bruxelles, 1989, p. 27.
[4] Enseigner et apprendre ; vers la société
cognitive. Livre blanc sur l’Education et la formation, Commission des
Communautés européennes, Bruxelles, 29 novembre 95.
[5] Ce qu’a clairement dit Edith Cresson alors
Commissaire européenne, citée par Benrard Berthelot de l’association
Reconstruire l’école dans l’article « A propos de l’émission ‘Le
cartable de Big Brother’ » : « Nous travaillons avec 40
branches professionnelles européennes : elles ont des besoins communs et
nous essayons de les aider à mettre en place des systèmes d’accréditation des
compétences communes [...]. Le test d’accréditation permettra de juger le
candidat à un emploi, non sur les connaissances générales jugées par un
diplôme, mais sur les compétences très pointues recherchées par les
entreprises ».
[6] OCDE, 1998 « Analyse des politiques
d’éducation ».
[7] Finalement l’AGCS prévoit la libéralisation de
tous les services « à l’exception de ceux fournis dans l’exercice du
pouvoir gouvernemental ».
[8] Cf. J. E. Charlier, S Croché « Le processus
de Bologne, ses acteurs et leurs complices » in Education et société, décembre 2003.
[9] Cf. L’Ecole
démocratique, n° 11, juillet- septembre 2002.
[10] Sommet de Lisbonne 2000.
[11] Cité par Raoul Marc Jennar in "Le
gouvernement des lobbies : la gouvernance contre la démocratie",
ed. Balanya, 2003.
[12] Cf. Ann Doherty, Denis
Horman, « Les transnationales et leurs groupes de lobbying », GRESEA,
Bruxelles, octobre 1999.
[13] « Europe Inc. Liaisons dangereuses
entre institutions et milieux d’affaires européens » par
l’Observatoire de l’Europe industrielle (préface de Susan George), Agone
éditeur, Marseille, 2000.
[14] idem.
[15] cf. Christine Bierre, « L’union économique
et monétaire européenne ces Français qui ont ouvert l’Europe aux financiers
anglo-américains » in Nouvelles Solidarités, octobre 2005.
[16] cf. Christine Bierre, déjà citée.
[17] ERT, Remodeler l’Europe, Bruxelles,
septembre 1991, p. 58.
[18] European Commission, Economie européenne. Annexe statistique, Automne 2006. Statistiques économiques européennes.
[19] ERT, Vaincre la crise, 1993.
[20] cf. Jean marie Pernot, « Patrons et
patronat, dimensions européennes », in. Chronique internationale de
l’IRES, n° 72, septembre 2001.
[21] cf. Antoine Math, « Défense des intérêts
patronaux au niveau européen : le cas des retraites » in
Chroniques Internationales de l’IRES, n° 72, septembre 2001.
[22] idem.
[23] cf. Marc
Contiero, Greenpeace « Lobby toxique. Ou comment l’industrie chimique essaie de tuer REACH », mai 2006.
[24] cf. Marc Contiero, déjà cité.
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