Bras de fer en Attique
Un lecteur m’a posé à propos de mon dernier article GRECE - L'exception qui anticipe la règle (dimanche 22 janvier) la question : que sont ces CDS ? Voici donc une brève explication pour les non techniciens et une application immédiate au bras de fer en cours à Athènes !

Les CDS
Je vous avoue que pour moi, l’exploration technique détaillée de ce que représentent les CDS est impossible. Peut-être quelqu’un de plus investi dans le domaine pourra-t-il y répondre. Ce qui me semble intéressant, par contre, c’est d’en saisir le concept : quand je fais une opération financière je crée un RISQUE, le risque qu’elle ne se conclue pas à l’échéance prévue, par défaut de l’autre partie du contrat. Auquel cas, je fais quoi… ? J’avais prévu à l’issue du contrat de réemployer aussitôt cet argent prêté, vais-je à mon tour « faire défaut » parce qu’il ne me revient pas ? En 1994, le marché des CDS a commencé à se développer comme réponse magique à cette question. Sur simple paiement d’une commission de ma part (moi qui court le risque), l’institution qui m’assure s’engage à se substituer à mon débiteur dans le cas où celui-ci ferait défaut. Le CDS est donc un contrat d’assurance qui transfère le risque, sans qu’il y ait de transfert de fonds.
Ce marché s’est développé de manière exponentielle en moins de vingt ans et couvre aujourd’hui des sommes difficilement cernables (plusieurs dizaines de milliers de milliards de dollars quand même !) puisque, comme il n’y a pas de mouvement de fonds, ces montants n’apparaissent pas dans le bilan des banques et institutions financières. En outre, il règne un flou que l’on identifie bien quand on envisage le problème grec. Qu’est-ce qu’un « défaut » ? Comme il est de l’intérêt de tous que le système n’explose pas et qu’à l’évidence l’État grec est en situation de faillite, on négocie et on génère des accords de réduction de la dette. Qui dit accord, dit qu’il n’y a pas « défaut » à proprement parler, donc l’assureur n’intervient pas. Par contre si on fait un accord classique, dit de restructuration, qui consiste par exemple à prolonger un prêt prévu pour 10 ans sur une durée de 20 ans, là, c’est prévu dans les contrats, l’assureur doit intervenir… En outre, même si une normalisation des CDS a été entreprise, tous les contrats ne sont pas les mêmes. Vous voyez le flou dans la situation présente ! Bref, les CDS font leur crise et engendrent une situation de rapport de force. Pas facile en pleine déstabilisation de la Phynance.
Les CDS ont été au cœur de la crise de 2008 (faillite de Lehmann Brothers). Celle-ci a montré l’impossibilité où se sont trouvés les assureurs de tenir leurs engagements. Pour éviter une débandade complète du système financier international, ce sont donc les contribuables, américains ou anglais qui se sont substitués aux institutions défaillantes, car les CDS sont émis sur les grandes places financières internationales. Si un État couvre normalement les défaillances des banques sur son territoire, c’est à l’égard des nationaux. Dans ce cas, en 2008 les États-Unis ont couvert internationalement, et ce que la faillite de Lehmann Brothers aurait pu coûter à la Société Générale, c’est le contribuable américain qui l’a écopé. Il faut encore « noter » ici que c’est bien le développement des CDS qui a accru considérablement le rôle des agences de notation… dont l’impact est immédiat sur les primes d’assurance des CDS.
Le bras de fer en cours à Athènes
Il va de soi que rien qu’à imaginer qu’une telle situation de « défaut global » telle qu’elle s’est présentée en 2008 sur le marché immobilier (subprimes), puisse se renouveler, cette fois non plus sur base des crédits fonciers des familles américaines, mais sur celle des crédits souverains des États européens, la panique est générale. Le tout est de bien se rendre compte des données « philosophiques » du problème. Les CDS ont complètement dilué la question du risque. Jadis, vous prêtiez à Untel et vous saviez que si ce Untel faisait défaut, vous en preniez pour votre portefeuille. Là vous avez revendu votre risque à telle banque, mais peut-être celle qui a acheté ce risque l’a-t-elle revendu à son tour, etc. etc. Où est donc votre risque ? Pas moyen de le savoir ! Le marché financier international, de volatile qu’il était, en est devenu explosif.
Le bras de fer actuel porte sur ce point : qui va prendre quelle part du désendettement ? Les prêteurs ? (c’est toujours un risque de prêter !) Les assureurs ? (ils sont là pour encaisser les primes, ils peuvent bien couvrir les dégâts !) Les États (id est les contribuables ! toujours les mêmes !) Des pressions s’exercent en tout sens. Les premières sur les populations, forcément ! C’est toujours à elles qu’on pense d’abord. C’est ce qu’on appelle l’Austérité. J’ai mis un grand A. Mon dernier billet sur la Dette grecque a été complété par un commentaire qui en dit long sur les possibilités d’aller plus loin en ce sens (1). Hier soir 24 janvier, l'Union européenne s’est encore distinguée, en affichant un vif mécontentement à l'égard de la Grèce et en menaçant de lui couper les vivres si les réformes économiques drastiques promises ne sont pas appliquées. Après avoir réclamé plus d'efforts de la Grèce lundi soir pour espérer des prêts supplémentaires afin d'éviter la faillite, ils ont demandé mardi des engagements par écrit non seulement du gouvernement mais des principaux partis politiques du pays (La Grèce vote en avril).
Les autres pressions sont exercées par les différents acteurs les uns envers les autres. Ce qui est en train de se passer en ce moment même est TRÈS inquiétant : des fonds (hedge funds) se sont constitués d’importants portefeuilles en obligations européennes avariées vendues à bas prix depuis la crise de novembre dernier. Ils manœuvrent à présent pour organiser un défaut. Ayant racheté des obligations sur le marché à une décote allant de 30 à 70%, ils prétendraient alors se les faire rembourser à 100%. Mardi soir, Charles Dallara, négociateur du côté des créanciers a argumenté du fait qu’il en était arrivé à « la proposition maximale qui peut se faire dans le cadre d’un plan d’échange dit volontaire ». Sinon la sanction sera là le 21 mars : DÉFAUT. Ayant lu le début de cet article, vous comprenez en quoi résonne là l’écho d’un véritable chantage au défaut sur la dette grecque. Et vu l'incertitude qui règne sur les CDS, on comprend que leur déclenchement rend tout le monde plus que perplexe. Pourtant d'aucuns l'envisagent âprement, et juridiquement ils sont dans leur Droit.
Les négociations sont d’autant plus âpres que, si une partie de la dette grecque sera épongée, il faut renouveler les contrats pour les nouveaux prêts qui coincernent la partie restante. A quel taux ? Ici aussi la lutte est serrée. Moins de 4% disent ceux qui envisagent les capacités de paiement de la Grèce, des Grecs plutôt (voir la note ci-dessous) ! Pas moins de 5% disent les banques et institutions financières… Tout ceci dans le contexte que je décrivais samedi dernier : la Grèce, prétendue exception, est en fait une anticipation de règlement de l’ensemble de la dette souveraine.
Un peu comme la guerre d’Espagne en 1936 a été un test pour les États désireux de savoir s’ils pouvaient faire basculer le monde dans un nouveau conflit, alors que vingt ans avant la clameur unanime était Plus,jamais ça ! Je mesure, croyez-le, très bien mes comparaisons !
Maltagliati
(1) « Les gamines qui tombent dans les pommes à l’école car ça fait trois jours qu’il n’y a plus rien à manger à la maison. Les malades qui partent à l’étranger quand ils le peuvent parce qu’il n’y a plus de médicaments et les grabataires qu’on soigne à l’eau claire. Les gens de la classe moyenne qui ne se chauffent plus alors qu’il fait moins de 10°C en ce moment (si si en Grèce aussi il y a un hiver) car l’énergie est devenue inabordable. L’exode urbain généralisé car les villes sont devenu des pièges. Les familles qui ne payent plus leur loyer depuis des mois parce qu’ils sont submergé par les nouvelles taxes. »
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