Calcul socialiste et socialisme de marché
Socialisme et rationalité économique
Il n'est pas inintéressant de savoir qu'au cours des années vingt et trente du vingtième siècle, des économistes ont débattu de la question de la rationalité du socialisme et plus précisément de l'économie planifiée. Parmi eux, quatre des plus grands économistes de l'époque :
Mises (von) Ludwig
Autriche
1881-1973
Hayek (von) Friedrich
Autriche / G-B
1899-1992
Lerner Abba
Etats-Unis
1903-1982
Lange Oskar
Pologne
1904-1965
Je me contenterai d'un résumé très bref, car j'ai publié sur internet un article à ce sujet, dont voici le lien :
Article publié sur le site du MPRA
Il faut savoir que les écrits de Marx analysent abondamment le capitalisme mais sont très discrets à propos du socialisme. Le marché est, selon Marx, source d'anarchie en conséquence de quoi l'économie socialiste doit être guidée par un plan ; mais Marx ne donne aucun détail sur le contenu du plan et la manière de l'élaborer.
C'est là le point de départ d'une attaque en règle lancée par von Mises en 1922. Mises constate que chez beaucoup de marxistes surtout en Allemagne règne l'idée que le plan pourrait ne déterminer que des quantités et se passer de calculs en valeur : quels flux quantitatifs de facteurs et de biens serviraient à produire quelles quantités de produits et services. Selon Mises, un tel système ne peut prétendre à la rationalité, accumulant les gaspillages. Le seul moyen d'obtenir une utilisation optimale des ressources est de choisir la méthode de production la moins coûteuse. Ceci implique que l'économie dispose d'un système de prix et ceci, pas seulement pour la vente au détail mais aussi pour le secteur des biens de production. Mises ne voit pas comment le plan pourrait générer un système de prix cohérent et significatif à partir du néant. Il émet également d'autres critiques déniant de la rationalité économique au socialisme, mais l'impossibilité du calcul est la principale.
L'Américain Taylor et le Britannique Dickinson sont les premiers à apporter comme réponse la modélisation de ce qu'on appellera "le socialisme de marché". Aux extrémités du processus de production, les prix sont déterminés par deux marchés :
- en amont, les facteurs de production primaires (travail et terre) sont rémunérés au prix permettant leur plein emploi
- en aval, les produits sont vendus aux consommateurs à un prix évitant l'accumulation d'invendus.
Partant de ces contraintes, le ministère de la production fixe les prix des produits intermédiaires de telle façon qu'ils égalent le coût de production. La méthode préconisée est celle de l'essai-erreur. L'intérêt sur le capital ne disparaîtrait pas dans ce système.
Face à cette conception neuve, Hayek reconnaît que le calcul rationnel est théoriquement possible dans une économie socialiste, mais il lui semble trop complexe pour être mis en œuvre. Il est impensable qu'un planificateur puisse concentrer toutes les analyses que les entrepreneurs effectuent sur le terrain.
Lange reprend les idées de Taylor et Dickinson et insiste sur la proximité de la problématique avec l'approche de l'économie de marché par Walras et Pareto. Lange, disciple de ces deux fondateurs de l'économie néoclassique, reprend leur théorie des prix paramétriques : les entreprises et les ménages, pour autant que la concurrence les prive du pouvoir d'influencer les prix, établissent pour chaque système de prix potentiel un programme d'achats et de ventes de bien et de facteurs qui optimise leur situation. Walras et Pareto ont démontré l'existence d'un système de prix équilibrant simultanément tous les marchés lorsque
chaque acteur tente d’optimiser sa situation ; Lange estime qu'on peut admettre la quasi-unicité de celui-ci. Il reste au ministère à faire ce que fait le marché en économie capitaliste : trouver le bon système de prix en augmentant le prix des biens en pénurie et en diminuant le prix des biens en abondance. Le système walrassien se prête d'autant mieux à ce rapprochement que Walras, de façon assez contestable, présentait l'économie de marché comme si un commissaire-priseur caché la faisait accoucher du bon système de prix. Vu sous cet angle, le planificateur effectue le travail de cette figure mythique qu’est le commissaire walrassien.
Lerner reprend l'idée des prix paramétriques et expose les deux règles que doivent respecter les directeurs des entreprises d'Etat :
- Engager de chaque facteur des unités tant que leur prix reste inférieur à leur produit marginal en valeur
- Augmenter la production des biens tant que leur prix reste supérieur à leur coût marginal
Ces règles correspondent à la description du comportement du producteur en concurrence parfaite par l'économie néoclassique.
Tout en reconnaissant l'avancée que représentent ces contributions, Hayek reste sceptique et énumère une série de problèmes que le système Lange-Lerner ne résout pas :
- création de nouveaux produits,
- nouvelles méthodes de production,
- produits non standardisés,
- anticipation des prix futurs,
- sélection des investissements,
- motivation des dirigeants à réduire les coûts.
On a accordé l'appellation "socialisme de marché" au système de Lange, mais à l'exception de la vente au détail et du travail, il ne comporte pas de marché réel ; il y a juste un marché virtuel dans le cerveau du planificateur et accessoirement dans celui des chefs d'entreprise. A mon avis, le socialisme à la sauce Walras-Pareto de Lange est une aberration. Il est inapplicable. Paradoxalement, la thèse de Lange met en lumière les insuffisances de la théorie walrassienne. Elle ramène le fonctionnement de l’économie à la solution d’un système d’équations simultanées[1] ; l’entrepreneur en est le grand absent. Elle ne convient ni pour le capitalisme ni pour le socialisme.
Pour répondre aux objections de Hayek, il faut transposer la solution dans le monde réel. Et pourquoi pas remplacer les marchés virtuels de Lange par des marchés réels ? Le système mériterait alors son appellation « socialisme de marché ». Divers auteurs (dont moi) ont réfléchi à cette piste. C’était l’objet de l’article « Le socialisme peut-il être de marché ? » que j’avais posté sur Agoravox le 10 juillet 2019.
[1] Qui devrait comporter au bas mot des milliers d’équations et d’inconnues.
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