Ces banques centrales qui nous gouvernent
Contrairement aux crises précédentes et contre toute attente, le ralentissement économique ne constitue pas le danger le plus important dans la crise actuelle. C’est bien plus les attitudes discordantes de nos banques centrales, l’absence de réactions concertées et une défaillance dans la gouvernance de certaines responsables qui risquent d’avoir des répercussions nettement plus dramatiques qu’une éventuelle récession aux Etats-Unis...
Nous vivons dans un monde où une fluctuation de taux d’intérêt dans une région du monde a un impact direct sur d’autres régions. Pourtant, hormis l’épisode de décembre dernier où la Fed et la BCE ont injecté des liquidités sur les marchés dans un contexte où les taux pratiqués pour les prêts entre banques étaient au plus haut depuis sept ans, les deux banques centrales les plus importantes du monde ne se sont nullement concertées dans la gestion de leur politique monétaire respective !
Ainsi, la Fed a-t-elle été la seule banque centrale à réduire substantiellement et en très peu de temps ses taux d’intérêt pour contrer le spectre de la récession et pour maîtriser la crise du crédit. Les Américains ont consommé ces dernières années l’équivalent de 72 % de leur revenu national, chiffre en nette augmentation par rapport à leur consommation de ces vingt dernières années se montant à 67 % du revenu national de leur pays. Aucun pays dans l’histoire mondiale n’a jamais laissé sa consommation atteindre cette proportion du Produit intérieur brut. En fait, la récession serait terrible et dévastatrice si cette consommation revenait seulement à ses niveaux historiques en l’espace d’un ou de deux ans...
Les banques centrales européennes, elles, ont à se battre contre des ennemis différents car tant la BCE que la Banque d’Angleterre ont préféré accorder la priorité à la lutte contre l’inflation. De fait, Jean-Claude Trichet semble - et de manière compréhensible - assez préoccupé par une inflation européenne au plus haut depuis quatorze ans. Pourtant, si les bourses devaient continuer à s’affaiblir reflétant ainsi une fragilisation de la confiance des investisseurs, la bataille anti-inflationniste devra alors passer au second plan. Pour le moment, la BCE estime que l’économie de l’Union est suffisamment saine et "découplée" de l’économie américaine pour s’en sortir à moindre frais d’une probable récession touchant les Etats-Unis. Elle avait pourtant fait la même analyse lorsque, du fait de la crise des valeurs technologiques, les Etats-Unis avaient inauguré en janvier 2001 une série de baisses de taux d’intérêts... pour commencer à réduire également les siens à partir du mois de mai de la même année.
Dans le monde globalisé qui est le nôtre où les marchés financiers opèrent 24 heures sur 24, une nouvelle à Tokyo aura un impact dès l’ouverture des marchés européens. Néanmoins, en dépit de l’interdépendance incontestable des économies développées et émergentes, les défis à relever n’y sont pas de même nature et l’attitude des banques centrales reflète ces disparités. Alors que la mission de la BCE est unique, lutter contre l’inflation, la Fed doit en plus se charger de soutenir l’économie américaine... C’est pourquoi la crédibilité de la Fed semble à présent inversement proportionnelle à sa politique agressive de baisse des taux d’intérêts. De fait, le reproche qui lui est couramment formulé est de gaspiller ses munitions à force de réduire ses taux à tel point que certains prévoient une réplique de la crise japonaise qui avait vu les taux nippons ramenés à 0 % en 1989 sans aucun impact positif sur la consommation ! En réalité, les problèmes affectant l’économie américaine sont nettement plus graves que ceux de l’économie japonaise de l’époque : comme le disait George Soros au Forum de Davos il y a quelques jours, les Etats-Unis ont épuisé toutes les ressources du "super boom " du crédit démarré voilà soixante ans et se retrouvent à présent en bout de route. Ainsi, le président de la Réserve fédérale, M. Bernanke, pourra-t-il dorénavant tirer encore autant de coups qu’il lui plaira - c’est-à-dire baisser encore et encore ses taux - les balles tirées seront toutes des balles "à blanc" ! M. Bernanke aurait-il oublié les erreurs néfastes de son prédécesseur Alan Greenspan qui, en baissant les taux américains à 1 % lors de l’éclatement de la bulle des valeurs internets, avait contribué à créer une autre bulle, à savoir la bulle immobilière ? Les baisses successives des taux américains depuis août 2007 rappellent pourtant étrangement le contexte du début des années 2000.
Comment la Banque centrale américaine gère-t-elle l’éclatement de sa seconde bulle financière en une décennie ? Que nous disent les faits ? Que M. Bernanke a été l’artisan d’une baisse de taux d’une amplitude et d’une rapidité inégalées depuis 1982. Quel est son objectif ? Que les taux d’intérêts à court terme soient nettement plus bas que les taux à long terme. Pourquoi ? C’est grâce au différentiel entre leurs emprunts à court terme et leurs crédits accordés sur le long terme que les banques réalisent le gros de leurs bénéfices. Ce faisant, la tentative de stabilisation des marchés financiers visant à ramener l’investissement et la confiance des consommateurs s’apparente à un exercice aussi périlleux que de rattraper sans se blesser un couteau qui tombe ! Dans son action, M. Bernanke semble guidé quasi exclusivement par la réaction des marchés boursiers et les effets de sa politique monétaire à ce jour ont principalement permis aux investisseurs boursiers de limiter leurs dégâts. Il est surtout grave de constater que la plus puissante banque centrale au monde puisse être ainsi influencée par des fluctuations de marché et que sa plus grande préoccupation soit de ne pas décevoir les attentes des marchés.
Ce déclin de la Fed, ces discordances entre BCE et Fed prouvent une fois de plus le réajustement fondamental dans l’équilibre des forces de notre monde. Le pouvoir économique passe graduellement d’Ouest en Est et c’est tant mieux puisque ce phénomène amènera la prospérité à des populations jadis sinistrées. Cependant, la crise financière que nous subissons prouve aussi que de tels réajustements ne se font pas sans douleurs.
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