Chiffres du chômage, quelle interprétation ?
Chaque mois, nous sommes abreuvés de nouveaux chiffres du chômage à coup de +0,3% ou –0,12%. Ont-ils un sens ? Comment sont-ils construits ? Faut-il leur accorder du crédit ?
Alors que de nombreux médias feignent de découvrir en ce moment le bilan calamiteux de Sarkozy en termes de délinquance et d'insécurité (ce qui était déjà connu depuis bien longtemps voir quelques exemples ici : l'Express, Marianne, Libération, le grand truquage (livre)), l'inefficacité de la vidéo-surveillance (alors qu'on le sait depuis un moment aussi bien au Val-Fourré, qu'au Royaume-Uni) ou le faible taux d'imposition des entreprises du CAC 40 (ce que disait déjà le JDD il y a 6 mois).
Pour ramer à contre-courant, parlons un peu des chiffres du chômage. Tous les mois, la presse ne manque pas de nous donner la tendance actuelle des chiffres du chômage, à la manière dont les présentateurs météo nous annoncent les variations de température. Le plus souvent, entend-on « +0,2% de chômage ce mois-ci » sans remise en contexte. Combien était-ce le mois précédent ? Sur quelle tendance se situe-t-on ? Mais ce n'est pas la seule critique qu'on peut faire aux chiffres du chômage.
Les chiffres du chômage
On peu parler des chiffres du chômage car il y en a plusieurs. Les chômeurs sont divisés en cinq catégories : A, B, C, D ou E selon qu'ils travaillent déjà un peu ou non, selon qu'ils recherchent activement un emploi ou sont en stage ou en formation, …
Le plus souvent les chiffres du chômage présentés sont ceux de la catégorie A (qui recherche activement un emploi et n'a aucune activité) voire ceux des A, B et C (ceux qui recherchent activement un emploi). En revanche les catégories D et E (stage, formation, maladie, contrats aidés, …) sont très rarement intégrées dans les chiffres présentés. C'est pourquoi une mesure très efficace pour faire baisser les chiffres du chômage présentés dans les médias est de recourir aux formations ou aux contrats aidés pour les chômeurs.
Les autres chiffres du chômage
Mais ce n'est pas tout. Il existe encore d'autres chiffres du chômage. Mais pour les découvrir il faut se rendre sur le site du ministère du travail de l'emploi et de la santé, dans la rubrique dédiée aux statistiques de la DARES (direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques). Cela nous donne alors accès à deux statistiques différentes du nombre de chômeurs : une série corrigée et une série brute.
La série corrigée est issue de la série brute dans laquelle, comme sont nom l'indique, certaines rectifications ont été faites. Ces rectifications sont tout à fait logiques. Selon la saison, le nombre de jours ouvrables dans le mois, il y a des fluctuations dans les chiffres du chômage qui ne sont pas propres au marché de l'emploi (mais juste au fait que fin juin de nombreux étudiants sortent d'école et s'inscrivent à Pôle Emploi, par exemple). Afin d'éliminer ces biais, les chiffres bruts du chômage sont donc corrigés afin d'avoir des données qui puissent être analysées indépendamment de la saison ou du nombre de jours ouvrables.
La DARES nous explique même la façon dont sont corrigés les chiffres bruts du chômage. Et le problème de cette méthode est qu'elle se base (naturellement) sur le passé pour corriger les données actuelles. La méthodologie fait donc l'hypothèse que le futur se déroulera de toute façon de la même manière que le passé ! Ce qui est une hypothèse très forte qui est tout sauf logique (c'est en suivant le même genre de raisonnement que l'espérance de vie est calculée, ce qui ne prend pas donc en compte les problèmes à venir qu'ils soient environnementaux ou sociétaux).
Comment faire sans correction ?
On a bien vu que les corrections ont une utilité puisqu'elles servent à corriger des variations inhérentes aux saisons. Mais on peut pour autant s'en passer et se contenter des données brutes. Prenons les chiffres du chômage de la DARES, les données brutes et les données corrigées à partir du 1er janvier 2006 :
Les différentes couleurs représentent les différentes catégories de chômeurs. De bas en haut, on a les catégories A, B, C, D puis E. Les courbes crénelées représentent les données brutes alors que les courbes « lisses » correspondent aux données corrigées.
Si avec les données brutes, il est impossible de tirer une conclusion concernant une évolution d'un mois sur l'autre, il est possible de regarder l'évolution entre deux mois identiques d'années différentes (par exemple le nombre de chômeurs entre mai 2010 et mai 2011). Dans ce cadre, on pourrait envisager une (seule) correction en fonction du nombre de jours ouvrables dans chacun des mois (le fait qu'il y a plus de jours fériés pendant la semaine, peut influer sur le nombre de chômeurs). Une telle correction ne revient pas à faire l'hypothèse que le présent se déroule comme le passé et est donc acceptable.
Comparaison d'une année sur l'autre
Il y a quelques jours, des médias nous apprenaient que le chômage était en « forte hausse après quatre mois de repli ». Qu'en est-il lorsqu'on ne regarde plus les données corrigées ? Hé bien dans ce cas, on n'observe plus quatre mois de repli de janvier à avril ! Par rapport à janvier-avril 2010, le chômage a augmenté tous les mois en janvier-avril 2011, que l'on considère la catégorie A seule, les catégories ABC ou toutes les catégories. Et en mai 2011 on est à 4,607 millions de chômeurs (3,986 en catégories ABC) contre 4,461 millions de chômeurs en mai 2010 (3,829 en catégories ABC). Le graphique ci-contre représente les chiffres du chômage pour les catégories ABCDE entre janvier et mai en 2010 et 2011. Si l'écart s'est resserré ces derniers mois entre 2010 et 2011, il est prématuré d'essayer d'en tirer des conclusions !
Ainsi la baisse du chômage claironnée au début de l'année, et vue par certains comme annonciatrice de jours meilleurs, n'est qu'une construction statistique ! Point de baisse du chômage à l'heure actuelle ! La prochaine fois, attentions aux chiffres que vous voyez !
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