Finirons-nous par nous apercevoir un jour que la
microfinance n’apporte rien et ne peut rien apporter dans l’aide au
développement tant que nous nous acharnons à n’en rester qu’à la toute première
étape du modèle coopératif qui seul peut apporter la solution ?
LES LIMITES DE LA MICROFINANCE,
L’EXEMPLE DE L’AGRICULTURE
La microfinance tend à devenir la panacée à l’ensemble des
problèmes de développement, notamment agricole, au point que tous les projets
se rapportant à ce dernier ne s’articulent qu’autour du pivot central
« crédit » à condition que celui–ci corresponde aux principes de la
microfinance.
Dans le début des années 70, Muhammad Yunus développait au
Bengladesh le concept de la
Grameen[1]
Bank. Il partait du principe qu’une somme minime est souvent
suffisante pour permettre le démarrage d’une activité, particulièrement dans
les campagnes.
Le concept reposait sur les principes ancestraux du
mutualisme, les mêmes repris chez nous avec le succès que l’on sait à la fin du
19ème siècle. Ces principes s’appliquaient au Bengladesh à une
population homogène dans sa pauvreté absolue.
Grandes furent les difficultés de Muhammad Yunus pour
obtenir un appui des bailleurs de fonds internationaux, Banque Mondiale et
Fonds Monétaire International considérant que cette initiative au ras des
pâquerettes ne pouvait s’inscrire dans le contexte de la mondialisation ou du
développement dit durable.
Longtemps décrié et combattu, le système devait il y a
peu, non seulement être remis à l’honneur, mais devenir la véritable tarte à la
crème de la Banque
Mondiale qui n’avait pas manqué au passage de le dénaturer.
On ne parle plus désormais en matière de développement agricole dans les pays
émergents que de microprojets financés par la microfinance dérivée directement
de l’initiative de Muhammad Yunus.
La crise actuelle, où le système bancaire tend à limiter
les crédits, est l’occasion pour certains de considérer que le microcrédit est
une des solutions, sinon la solution, à cette crise.
Dans la recherche de solutions de financement pour les
plus démunis que le système bancaire traditionnel maintient à l’écart de ses
interventions, on oublie systématiquement le modèle coopératif qui il y a plus
de cent ans apportait la réponse à l’agriculture française notamment.
Muhammad YUNUS et la Grameen Bank du Bengladesh
n’ont pourtant quoi qu’on en dise rien inventé du tout, ce qui n’enlève
d’ailleurs rien à leur mérite.
La Grammeen Bank,
et tous les modèles de microfinance qui en découlent, ne sont que la première
étape du modèle coopératif inventé par les Babyloniens. Après l’expérience des
pionniers de Rochdale ou des producteurs de micocoulier dans le Gard en France,
le système a été il y a cent ans à la base des modèles européens de la
coopération agricole, notamment le Crédit Agricole français, que l’on oublie
systématiquement dans les programmes de développement au profit du seul modèle
de Muhammad YUNUS, prix Nobel de la
Paix, porté désormais aux nues.
Le problème est que malgré tous ses mérites, le modèle mis
en œuvre dans cette seule première étape, ne marche pas – à l’échelle de
l’économie globale – et ne marchera jamais, pas plus d’ailleurs que les modèles
coopératifs européens pris dans leur forme actuelle et que nous nous acharnons
à développer en vain depuis les indépendances.
Il faut pour mobiliser le maximum de ressource bancaire
vers le secteur agricole sous forme de prêts, bancariser les populations
rurales de façon à ce que tous les flux financiers résultant de leur activité –
essentielle dans les pays en développement, il s’agit du secteur primaire –
restent dans ce secteur et ne s’évadent pas vers la banque commerciale.
Celle–ci dans la meilleure des hypothèses fera semblant d’aider l’agriculture
en avançant des fonds aux organismes de microfinance qu’elle crée la plupart du
temps sous forme de filiales.
Ceci est vrai aussi pour les autres secteurs et pour nos
pays en ce qui concerne les laissés pour compte du système bancaire
traditionnel.
On ne saurait trop insister sur cette nécessité de
bancarisation déjà citée des populations les plus pauvres
– C’est une véritable
alphabétisation, économique bancaire et comptable qui leur permet
d’appréhender des notions simples, ce que ne permet pas la manipulation de la
seule monnaie fiduciaire.
– C’est une garantie
supplémentaire pour le prêteur que l’emprunteur dispose sur un compte qui
enregistre tous ses mouvements financiers, de la ressource nécessaire,
résultant de l’activité financée, pour rembourser le crédit.
Ceci implique bien entendu, et ce n’est possible que dans
le cadre coopératif, que le principe essentiel d’exclusivisme soit bien
respecté, c’est–à–dire que le sociétaire ne puisse pas, au risque d’exclusion
du système, ouvrir des comptes et contracter des emprunts dans plusieurs
établissements.
Il faut rappeler encore une fois que la dégradation de
tous les modèles coopératifs a pour origine principale le non respect de ce
principe d’exclusivisme, qui a d’ailleurs été supprimé ou n’a pas été repris
dans toutes les lois coopératives mises en place dans les pays en développement,
ce qui conduit irrémédiablement à l’échec du système.
– C’est une garantie
de création monétaire réelle. Le crédit anticipe en effet la création
monétaire par production de biens ou de services.
Celui qui distribue le crédit doit donc s’assurer que le
prêt est bien utilisé pour l’objet financé et que son montant ne dépasse pas (
il doit même rester inférieur) la valeur estimée du produit de l’activité
financée.
Il est évident que la simple surveillance des mouvements
du compte, à condition là aussi que le principe d’exclusivisme soit appliqué et
respecté, permet de vérifier que l’anticipation de création monétaire est
parfaitement justifiée.
Ce point est d’une cuisante actualité dans la crise
économique que nous vivons et qui résulte de dérives bancaires où, dans le
cadre d’une économie virtuelle généralisée et mondialisée, les crédits
consentis pour des spéculations de tous ordres ont conduit à la création de
fausse monnaie avec les conséquences dramatiques que nous n’avons pas fini de
vivre.
Cette mobilisation indispensable de la ressource de base
qui devra d’ailleurs être complétée notamment pour les investissements longs ne
peut se faire qu’au travers du modèle coopératif qui a fait ses preuves depuis
des siècles.
Encore faudrait il que ce modèle fut et restât
l’authentique, et ne soit pas remplacé par les ersatz infâmes que l’on a vu se
développer tant en Afrique que dans les pays communistes et qui ont conduit à
la ruine et à l’abandon de ce modèle coopératif .
Ceci ne pourra se faire que par la mise en place de lois
et règlements propres à la
Coopération, agricole notamment, et qui en retiennent
impérativement les authentiques principes de base.
La bancarisation des plus pauvres est de surcroît une des
conditions essentielles pour que le système s’il est vraiment d’inspiration
coopérative soit construit et fonctionne à partir de la base : les
sociétaires ; et il y a bien là une des faiblesses de la microfinance
telle qu’elle est conçue jusqu’à présent comme un système construit « d’en
bas » et géré « d’en haut ».
Un problème supplémentaire est que l’on entend appliquer
les principes de la microfinance d’un intérêt indiscutable par ailleurs à des
populations hétérogènes dans leur pauvreté relative.
On se retrouve donc en fait dans une agriculture à deux
vitesses : l’une de type industriel, comme chez nous, qui doit se
soumettre aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, l’autre de type
social qui concerne la très grande
majorité des populations rurales.
On notera au passage que dans le second cas les résultats
des actions menées pour atteindre des objectifs sociaux sont mesurés selon des
critères uniquement économiques.
Le financement est réalisé pour le premier type, la
minorité, par les banques commerciales traditionnelles, pour le second par des
systèmes complexes, notamment mutuelles d’épargne et de crédit qui fleurissent
à qui mieux mieux sur le plan local, sans aucune coordination nationale, et qui
finalement n’arrivent à concerner qu’une « minorité de la
majorité » : les plus pauvres parmi les pauvres, les autres devant se
débrouiller comme ils peuvent en recourant notamment au crédit informel.
Le résultat désastreux est double :
La ressource d’épargne et de dépôts – qui est une
ressource bon marché – en excédent localement ne peut être transférée
directement et à prix coûtant chez ceux où elle manque et transite par le
système bancaire où elle est, soit utilisée au prix fort au financement des
autres secteurs de l’économie, soit réacheminée toujours au prix fort vers les
structures de microfinance momentanément déficitaires en ressource.
Ce système encore une fois à deux vitesses, au delà du
fait qu’il accroît les déséquilibres liés à deux types de systèmes
d’exploitation extrêmes : agriculture de subsistance et agriculture
industrielle, a l’inconvénient d’isoler les plus pauvres, les empêchant comme
on vient de le voir de profiter de la solidarité au sein de leur groupe même en
ce qui concerne la ressource bancaire.
C’est bien au niveau de cette notion de solidarité que se
trouve la solution au problème du financement du secteur primaire.
Autant il serait vain en effet de vouloir faire jouer la
solidarité du monde agricole en faveur des plus déshérités en isolant ces
derniers dans des ghettos, autant il est possible de la mettre en œuvre
efficacement dans des systèmes qui intègrent tous les acteurs de ce secteur,
ceux momentanément déshérités bénéficiant de l’assistance du groupe.
Bergerac le 3 septembre 2010
Jean-Pierre CANOT
Auteur de « Apprends-nous plutôt à
pêcher ! »
http://ehlafrancetoutfoutlecamp.blogs.nouvelobs.com/
http://reviensilssontdevenusfous.blogs.sudouest.com
[1] Grameen signifie « village »
c’est dire que le concept s’appuyait sur le principe de proximité !