Commerce équitable : le défi du politique
Le 25 et le 26 avril se tient le 4ème Forum national du commerce équitable, à la Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris). 12 000 visiteurs sont attendus.
Le commerce équitable vit un moment paradoxal. Deux chiffres le symbolisent :
82% des Français affirment avoir déjà entendu parler du commerce équitable alors qu’en 2000, ils n’étaient que 9%, et 51% en 2004 (dixit la dernière étude IPSOS sur le sujet).
En même temps, il ne représente que 0,01 % du commerce mondial (1,6 milliard d’euros en 2006, source FLO) : un poids marginal, sans commune mesure avec l’importance de sa notoriété.
Les optimistes diront à raison que nous n’en sommes qu’au début. Les pessimistes clameront aussi légitimement que de raisons structurelles (le fonctionnement actuel du commerce mondial) l’empêchent de se développer massivement et le cantonnent à un rôle de béquille, voire de caution rebelle du système.
Même si sa part du marché mondial reste très faible, le commerce équitable se développe rapidement. Il continue à progresser dans le champ de l’alimentation et investit de nouveaux marchés comme le textile, la décoration, la santé, le tourisme, etc.
Ses ventes augmentent rapidement, notamment grâce à une diffusion via les grandes surfaces (En France, cela représente plus de la moitié du chiffre d’affaires) ou les chaînes de restauration. Certains y voient un danger1. MacDo qui propose du café équitable traduirait ainsi une dérive dangereuse du commerce équitable.
Mais, de deux choses l’une, soit MacDo est un danger pour les citoyens, alors les pouvoirs publics se doivent de l’interdire. Soit MacDo est une entreprise qui a une « licence to operate », et auquel cas, il est difficile de l’empêcher de proposer du café équitable (surtout si ses clients le demandent !). Même raisonnement avec Carrefour ou Auchan.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas être vigilant sur les effets pervers de la grande distribution (pression sur les fournisseurs notamment), ni s’abstenir de les critiquer, de pointer leurs contradictions ou de leur mettre la pression... Au contraire ! L’utilisation du commerce équitable par les grandes entreprises de distribution ou de restauration est ainsi moins une hérésie à combattre qu’un levier d’action et de pression pour les pousser à améliorer leurs performances sociales et environnementales sur l’ensemble de la chaîne de valeur.
Un autre point me paraît d’ailleurs plus problématique que le recours à la grande distribution : le déficit de pensée et d’action politiques (au sens noble du terme) du commerce équitable. Quelles modifications apporter aux règles de fonctionnement du commerce mondial pour le rendre plus juste, dans son ensemble ? Comment porter ces propositions pour leur donner une résonance politique et créer les conditions de leur concrétisation ? Le commerce équitable n’apporte pas encore de réponses précises et fortes à ces questions fondamentales.
D’aucuns diront que ce n’est pas son job et qu’il a déjà fort à faire sur le terrain. Ce n’est pas faux, mais alors, outre que la dimension politique était bien présente à ses débuts, quel est l’intérêt ou la pertinence à long terme de développer un commerce équitable qui occupe 1 %, 5 % ou 10 % du commerce mondial (soit 1000 fois plus qu’aujourd’hui), si dans le même temps, les 99 %, 95 % ou 90 % restant demeurent inéquitables ? Et comment croire que le commerce équitable pourra atteindre 25 %, 40 % ou plus du commerce mondial si les règles du jeu restent celles d’aujourd’hui ?
Ce qui menace le plus le commerce équitable n’est pas la collaboration avec le capitalisme classique, mais l’indifférence du « reste » du commerce mondial à la vision qu’il porte. Le projet du commerce équitable ne peut ainsi se limiter à son propre développement, il doit s’impliquer et s’engager, par le politique, dans la transformation du commerce mondial dans son ensemble.
Surtout que les acteurs du commerce équitable, de par leur "ADN" de terrain, peuvent être les mieux à même de formuler des propositions opérationnelles et efficaces, à la fois ambitieuses et réalistes, audacieuses et pragmatiques, propositions que les mouvements altermondialistes n’ont pas encore su exprimer ou du moins, populariser, crédibiliser et imposer.
(1) Pour une analyse critique et nuancée de l’ouvrage de Christian Jacquiau, Les coulisses du commerce équitable, Albin Michel, 2006 voir l’excellent papier de Thomas Coutrot, membre du Conseil scientifique d’Attac.
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