Conservation des hypothèques et dilution des « subprimes »
La conservation des hypothèques
Lors de ma dernière visite au Louvre, j’ai été fasciné par des petits rouleaux que les notaires de Mésopotamie enfichaient sur un pieu à l’entrée d’une propriété ayant fait l’objet d’une transaction immobilière. Ces petits rouleaux de couleur claire sont en albâtre ou en pierre, je ne m’en souviens plus, et ils conservent finement gravés l’objet, les modalités et le nom des acteurs de la mutation immobilière.
Cette nécessité de garantir l’authenticité des transactions immobilières par un enregistrement solennel et incontestable est apparue dans les cités-Etats de Mésopotamie, il y a plus de quatre mille ans et s’est continuée jusqu’à nos jours. Nous en reconnaissons la marque dans ces institutions discrètes, mais ô combien appréciées, que sont le notariat et la conservation des hypothèques. Notre droit civil, est, de ce point de vue, le descendant en ligne directe des pratiques romaines puis médiévales. François Ier puis Henri IV jetteront les bases de notre organisation actuelle.
Une telle obstination des hommes, pendant quarante siècles, à tracer l’immobilier, il doit bien y avoir une raison, non ?
Un monde de chicanerie judiciaire
Un des points essentiels des dispositions des pays de tradition « romano-germaniques », en l’occurrence l’Europe continentale, est la prééminence du droit écrit sur la coutume, de la loi sur le contrat. Le droit des pays anglo-saxons présente des dispositions inverses, il est réputé plus souple et favoriser les échanges économiques. Il aurait été un des facteurs déterminants de la prospérité de ces contrées depuis des lustres. Mais cette souplesse dans l’élaboration et l’application du droit a entraîné une inflation des contentieux civils, et le phénomène que nous appelons « judiciarisation » du monde américain n’en est que la traduction contemporaine.
La Deutsche Bank a perdu ses papiers
Un juge fédéral de l’Ohio (1), Christopher Boyko, vient de débouter, le 31 octobre dernier, la demande de saisie de 14 logements, demande émanant de la « Deutsche Bank National Trust », au motif qu’elle ne détenait pas nominalement d’hypothèque sur ces biens immeubles. De quoi paniquer grave le banquier de Francfort ou le trader de Hong Kong. Il va falloir retrouver « le papier », refaire le lien entre des milliards d’écritures électroniques et des millions de bouts de papier. Reconstituer les liens. Retrouver les équations. Les refaire à l’envers. Toutes les équations, toutes, et dans le bon ordre s’il vous plaît. Il ne faudra pas en oublier une seule. Détitriser. Et présenter ça à un juge de l’Ohio. Et prier pour qu’il y comprenne quelque chose. Vous y croyez, vous ?
Un fumet de banqueroute
La « titrisation » des créances hypothécaires, qui revient à virtualiser les créances, et à faciliter leur échange, leur agglomération puis leur dilution en d’infinies combinaisons de plus en plus élaborées et abstraites, pourrait rendre impossible leur recouvrement.
Le goût prononcé des Américains pour le contentieux pourrait produire, si cette décision fait jurisprudence, un emballement des procédures, un blocage des recouvrements et par voie de conséquence un effondrement total de la valeur de ces créances, dites « subprimes ». Bref, dégager un joli fumet de banqueroute de Law.
Si le pire n’est pas toujours sûr, l’irrationalité des marchés fonctionne cette fois-ci à plein régime vers le bas, et provoque une ruée vers les placements les plus solides : matières premières, produits agricoles, revalorisant le secteur primaire de l’économie, ce secteur oublié par les chantres de l’ultralibéralisme. Comme des ménagères paniquées, les spéculateurs se ruent sur le kilo de sucre. Ou plutôt la tonne. Enfin c’est le même mouvement, en plus grand.
Retour à la raison
Quelle que soit l’issue de la crise financière actuelle, la peur de la banqueroute aura été telle qu’il est assez probable que le monde économique et la pensée économique subissent des transformations profondes.
La finance n’a jamais produit de richesses. Pas plus aujourd’hui que dans l’Espagne couverte d’or du XVIIe siècle. Dans les rayons de vieilles bibliothèques on retrouvera peut-être bientôt, recouverts de poussière, les ouvrages jaunis des Smith, Ricardo, Marx, Keynes et autres Galbraith (2). Et on y découvrira avec stupeur que tout y est décrit. Tout y est écrit.
(1) Source : http://www.cleveland.com/news
Cleveland.com Friday, November 16, 2007
(2) J’omets Bernard Maris. Mais il est encore trop jeune.
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