Coronavirus : Jacques a dit « trou d’air » économique
L’histoire était déjà écrite : le coronavirus évaporé, l’économie mondiale devait très vite se remettre sur la bonne voie, et les marchés financiers repartir vers les sommets promis. Mais depuis vendredi dernier, la donne a changé.
Il y a une semaine à peine, les marchés financiers avaient déjà voté la fin de la crise du coronavirus (Le Monde), bercés par le simple « trou d’air » annoncé de l’économie mondiale. Mais en quelques jours, la maitrise des éléments semble avoir échappé au contrôle des autorités.
Aujourd’hui, la thèse du trou d’air de l’économie mondiale n’est pas invalidée, mais a été déclassée : elle est désormais aussi probable que celle d’un gel prolongé de l’activité. Pour les marchés financiers, cette nuance est de taille, elle motive un retour violent de l’aversion pour le risque : les investisseurs fuient les marchés d’actions et se réfugient sur les emprunts d’Etats, les taux d’intérêt s’effondrent, le cours de l’or s’envole.
Le bonbon crocodile haribo
L’idée du trou d’air était séduisante et pertinente. Elle était séduisante car elle signifiait qu’il suffisait de fermer les yeux et de les rouvrir plus tard, comme si rien ne s’était passé entre temps. Elle était pertinente car les chocs de ce genre sont le plus souvent ponctuels, affectent la confiance et la croissance un temps, avant que ces dernières ne rattrapent le temps perdu. En termes de fondamentaux, on dit qu’un choc ponctuel ne remet pas en cause le potentiel de croissance, et que l’économie est rappelée par ce potentiel une fois le choc dissipé. On peut imaginer l’élastique que l’on tend, que l’on relâche, et qui revient à l’état initial.
Oui mais voilà, depuis quelques années, l’économie mondiale ressemble davantage à un bonbon crocodile haribo qu’à un élastique. Si vous tendez un bonbon crocodile, vous observez deux choses : il revient lentement, et jamais à l’état initial. Concernant l’économie mondiale, cette mollesse a deux explications :
- Une plus grande défiance des entreprises lorsqu’il s’agit de remettre les gaz ; après chaque choc, il subsiste une forme de prime de risque à l’incertitude inhibant l’entreprise, comme si elle laissait un morceau d’elle après chaque chute. Cette défiance a pu tantôt être associée à de l’incertitude fiscale, monétaire, géopolitique, à la démondialisation (Trump, Brexit) et aujourd’hui peut être au coronavirus
- Depuis 2008 la vitesse de croisière des économies n’est jamais revenue à son rythme d’antan pour une raison bien connue : les entreprises n’ont pas ou peu rattrapé l’investissement qu’elles ont cessé de faire durant la crise des subprimes ; à l’exception il est vrai de l’investissement en biens intangibles, comme les dépenses en recherche et développement. Or, il est curieux que ces dépenses indexées au thème de la révolution technologique ne se soient pas accompagnées d’une accélération de la productivité.
Finalement donc, même dans l’hypothèse favorable d’un coronavirus cessant sa progression rapidement, il est probable que l’économie mondiale n’aurait pas digéré aussi facilement le choc. Autrement dit, la thèse du simple trou d’air devient plutôt celle d’une apnée prolongée.
Le PMI sur la crête
Il faut sans celle le rappeler, la publication des PMI (confiance des industriels) est surveillée comme du lait sur le feu par les investisseurs. Typiquement, une hausse des PMI au-dessus de son niveau neutre (environ 50) signifie que le PIB accélère plus vite que son rythme potentiel, et motive donc à la fois des remontées de taux d’intérêt, des révisions haussières des bénéfices des entreprises, une baisse du taux de défaut anticipé, une hausse des actions, du crédit, des matières premières…
Mais alors, si le coronavirus a un impact sur l’économie mondiale, on devrait s’attendre à une chute des PMI en Chine, mais aussi dans les autres économies. Qu’en est-il ? La crise du coronavirus s’est réellement diffusée sur les marchés autour du 20 janvier. La semaine dernière, une première publication des PMI a été faite pour le mois de février aux Etats – Unis et en zone euro. Cette publication était donc censée intégrer plus ou moins les premiers effets de la crise. Or, nous observons deux messages contradictoires :
- En zone euro, les PMI ont poursuivi leur mouvement de redressement initié en fin d’année 2019. Les chiffres ont même été bien meilleurs qu’attendu, aussi bien du côté du secteur des services que du côté manufacturier : l’indicateur composite s’établit sur un plus haut depuis 6 mois. Pourtant, un impact du coronavirus a bien été observé sur certaines composantes des indicateurs.
- Aux Etats – Unis, les PMI ont chuté beaucoup plus fortement qu’attendu, surtout du côté des services, alors que le secteur manufacturier sortait à peine la tête de l’eau, encore groggy par la guerre commerciale avec la Chine. L’indicateur composite lui-même passe sous la barre symbolique des 50 pour la première fois depuis le shutdown du gouvernement de 2013, et depuis la crise financière de 2008.
Il semblerait donc que les PMI soient encore sur une forme de crête, plus vraiment comme avant la crise du coronavirus, mais pas encore comme après. Il est fort probable que les futurs PMI ressemblent davantage à celui observé aux Etats – Unis récemment. Mais même pour les Etats – Unis, il est encore trop tôt pour parler de simple trou d’air ou de trou d’air durable.
La princesse à petits pois
Non, l’économie mondiale n’est pas une princesse à petite pois, hypersensible à la moindre contrariété, et s’effondrant au moindre choc. Au contraire, depuis les années 90 les économies brillent par leur capacité à gérer les imprévus, hormis les crises géantes (subprimes 2008, valeurs technologiques 2000). Quelle preuve avons – nous d’un tel phénomène ? Il existe un signe sans équivoque d’une telle évolution : la volatilité de la croissance économique se réduit.
En langage courant on pourrait définir la volatilité par les écarts de la croissance à son niveau moyen : plus la croissance s’écarte souvent et fortement de ce niveau moyen, et plus la volatilité sera élevée. Intuitivement, si on observe une volatilité faible, cela signifie que la croissance économique s’écarte peu de sa tendance, et que donc l’ensemble des agents économiques (consommateurs, entreprises, Banques Centrales,…) semble mieux outillé pour prévoir ou gérer les imprévus.
L’économie mondiale semble donc plus solide qu’il n’y parait, mais pas forcément les marchés financiers…
La princesse de Clèves
Les Banquiers Centraux sont en campagne pour tenter de rassurer les foules, suggérant sans le dire qu’un coronav-easing ne serait pas exclu si les choses venaient à empirer. D’ailleurs, les marchés financiers n’avaient pas attendu que les Banques Centrales parlent pour anticiper de tels messages : ils utilisent à merveille un argument boiteux qu’ils jugent imparable : « la Banque Centrale ne baissera pas ses taux à moins que la bourse ne s’effondre, ce qui n’arrivera pas car sinon la Banque Centrale baissera ses taux » (Les Echos). Ce type de raisonnement a l’air de couper l’herbe sous le pieds de n’importe quel évènement exogène. Pourtant, ce n’est pas avec des mots que l’on empêche un virus d’avancer.
Ainsi, depuis la semaine dernière et surtout ce lundi, les marchés financiers n’arrivent plus à faire semblant que rien ne se passe. Ils ont beau se rappeler que les Banques Centrales n’hésiteront pas à intervenir, cela ne suffit plus : « je vais vous faire un aveu que l'on n'a jamais fait à son mari, mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force… Je vous demande mille pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent », c’est ainsi que la princesse de Clèves avoua à son mari qu’elle éprouvait des sentiments plus forts envers un autre, incommensurablement supérieurs à toute tentative de la raisonner.
La princesse de Clèves propose alors une parade à son mari : la soustraire de la cour afin de ne plus être exposée à la tentation : « du moins, je ne vous décevrai pas par mes actions ». Dans le cas des marchés, ce type de parade est-il possible ? Oui, il est d’ailleurs souvent utilisé : cela s’appelle une bulle, c’est-à-dire lorsque les marchés décident d’évoluer dans un monde qui n’a plus rien à voir avec le monde qu’ils sont censés valoriser.
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