Création d’entreprise en France ! Jeu de l’oie ou tir au pigeon ?
J’avais bien préparé mon affaire, c’est du moins ce que je croyais...
Après bientôt 25 ans de bons et loyaux services, notre entreprise, créée sous forme associative, va devoir opérer sa grande mutation.
Tout cela à cause de la baisse drastique de l’intervention de l’état dans notre champ d’activité et d’un conseil d’administration qui veut passer la main, l’heure de la retraite devant bien sonner un jour pour les pionniers de l‘insertion.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tenté de renouveler ce conseil d’administration, mais las ! Nulle recrue ne pointait à l’horizon, une fin de cycle qui voit l’éducation populaire battre en retraite, de guerre lasse.
Deux A.G à un mois d’intervalle pour adapter les statuts et caler le rétro planning et, après mûre réflexion, décision est prise de transformer cette association en Sarl Scop.
Deux passages en Préfecture me seront nécessaires pour faire enregistrer la modification des statuts, en guise de préliminaire...
Pour la suite d’un parcours que je devine tortueux et complexe, je sais pouvoir compter sur l’aide de l’Union Régionale des Scops qui nous fournira l’aide nécessaire pour la rédaction des nouveaux statuts, ainsi qu’un vade-mecum fort utile : celui de la marche à suivre pour créer cette boîte.
Je ne le sais que trop, tout mon entourage ne s’est d’ailleurs pas privé de me faire l’article "tu verras, c’est une galère ! » ou « pourquoi prendre tant de risques, alors que dans quatre ans tu peux prendre ta retraite !" ;
Mais, c’est décidé et on ne se refait pas....
1èré étape : l’annonce légale de transformation de l’entreprise en SCOP. Deux coups de téléphone et deux fax pour faire enregistrer ma demande auprès des "petites affiches" et envoi d’un courrier explicatif assorti d’un chèque de 218,62 euros - cliiiing bling ! -jusque là rien de bien problématique.
2ème étape : mobiliser les futurs associés et réunir le capital qui sera déposé auprès de la banque. Malgré les misères que cette dernière nous fait subir depuis des années, et compte tenu des résultats financiers antérieurs, je sais qu’il me sera difficile de nous trouver un nouveau banquier, surtout après trois années d’exercices déficitaires.
Je dois faire face à la méfiance de ma chargée de clientèle qui exige des pièces complémentaires et les signatures en copie conforme des associés.
Dix jours passent et je n’ai toujours pas reçu l’attestation de la banque me notifiant le dépôt de capital. Ma chargée de clientèle est partie en vacances toute affaire cessante et je vais devoir batailler plusieurs jours durant avec un fichu standard automatique et un personnel elliptique, sinon mutique.
« Votre dossier est en instance, patientez ! » me lance-t-on à chaque fois.
Peu avant le jour de l’an, je décide de passer au guichet prêt à en découdre. Ce jour là, une chargée d’accueil au sourire contrit me fait comprendre que le directeur ne me recevra pas « débordé et esseulé en cette veille de nouvel an ».
Ulcéré, je récite en boucle le slogan coopératif de ma banque devant les clients médusés et apathiques, puis je décide de quitter les lieux, passablement inquiet et dépité quant à l‘avenir de cette SCOP.
Cet épisode me vaudra de passer un très mauvais nouvel an. A 22 heures, je suis couché après une engueulade avec mon épouse.
De retour au bureau le lundi suivant, je reçois un appel de la banque. Le fameux certificat signé du directeur m’attend au guichet. Ouf ! ils auraient pu éviter de me pourrir les fêtes de fin d‘année.
3ème étape : « dès réception du journal d’annonce légale, déposer les statuts de la SCOP (se munir du PV de l’AGE de délibération, de l’annonce légale et du fameux certificat de dépôt de capital), auprès du CFE au Greffe du Tribunal de commerce, Quai de Corse, c’est du moins ce que je lis sur mon vade-mecum.
Un tribunal ? Quelle idée pour inaugurer l’acte fondateur d’une entreprise, comme si, ce faisant, tout créateur devenait un futur justiciable en puissance.
Première impression, après passage sous le portique de sécurité, celle d’un lieu qu’on éviterait de visiter aux journées du patrimoine. Un vaste hall décoré de courants d’air, avec au fond un premier barrage à franchir, ticket de file d’attente de rigueur.
Avec ce projet de SCOP, je ne sais pas encore que je vais faire les frais de la confidentialité de ce statut auprès de ces dames du Centre de Formalité des Entreprises.
Un premier formulaire m’est remis que je commence à remplir sur mes genoux, en plein courant d’air. Au premier coup d’oeil, j’entrevois l’erreur, le formulaire ne me parait pas adapté à notre configuration.
Devant moi, des bornes automatiques débitent à la chaîne des Kbis pour patrons pressés. Mettre la pièce dans la fente de l’appareil... A les voir ainsi, la résignation de nos petits patrons semble avoir pris le pas sur la colère.
Bon point, un écran informatisé me signale ma position dans la file d’attente. Je bénéficie d’une journée glaciale qui en a découragé plus d’un, où alors serait-ce un effet de la crise....
Une sonnerie m’indique que mon tour est venu. Je me dirige vers le guichet Q, pas très rassuré. Accueil aussi glacial que l’air de Paris, je n’ai effectivement pas le bon imprimé.
Je dépose mes pièces, aussitôt inspectées à la loupe par une jeune hôtesse. Je me fais soudain l’effet d’un faussaire qui espère avoir réussi sa première coupure de dix euros.
Plusieurs questions perfides fusent qui me font craindre l’acharnement thérapeutique. Après examen attentif de mon dossier, tout paraît conforme, je me détends un poil....
Dans l’oeil de la fonctionnaire, je sens bien comme une pointe de dépit.
Subitement, son regard s’illumine et elle me lance "avez vous un pouvoir du Président pour représenter l‘entreprise"
« Mais je suis le gérant ! » rétorque-je. « C’est indiqué noir sur blanc sur l’acte que je viens de vous donner ».
"Oui mais ! comme il s’agit d’une transformation, il me faut un pouvoir du Président ».
Aie ! ce document ne figurait pas sur mon road book, mais prévoyant le coup fourré, je m’en m’étais fort heureusement muni d’un exemplaire au dernier moment, glissé dans ma sacoche avant de grimper dans le métro.
Triomphant, je lui tends le document en question qu’elle s’empresse de vérifier scrupuleusement..
Je la regarde se tortiller sur sa chaise et je pressens le pire.
"Avez vous la copie de votre bail commercial"
Vlan, pour le coup, je sens que c’est mort. L’audition s’arrête sur cet entrefait, il me faudra revenir demain...
Dès potron-minet, je suis de retour Quai de Corse. Aujourd’hui, je vais devoir patienter. « quatre personnes vous devancent dans la file d’attente » dit le panneau électronique.
Autre guichet, autre fonctionnaire, qui me soumet à un nouvel interrogatoire serré. Mieux préparé que la veille, j’échappe non sans mal à un lot de nouvelles questions non référencées sur ma notice, car de SCOP, cette hôtesse n’a jamais entendu parler. Il lui faut prendre conseil auprès d’une collègue. Je les laisse à leur conciliabule en espérant que le méchant lièvre restera cette fois-ci dans son terrier.
A son retour, l’air accablée, elle me dit « c’est bon, votre Kbis vous sera adressé au siège - 83,96euros, vous réglez par chèque ? » - cliiiing bling - combat finalement gagné aux points.
Le lendemain, je me rends aux impôts pour la quatrième balise de mon parcours fléché.
Pas d’attente pour le coup. Le fonctionnaire est plutôt bien disposé et visiblement bien reposé de ses vacances.
Quel document enregistrer pour la formalité du jour ?
Le préposé n’a pas l’air très sûr de lui qui part questionner un collègue au loin. Enregistrer le procès verbal de l’A.G de délibération ou les statuts de la SCOP, il n’est pas sûr de lui. « C’est nouveau pour nous ! » lâche-t-il un peu gêné.
Il me lance « on va enregistrer l’un des deux, ça devrait le faire »
Craignant l’erreur administrative fatale, je lui propose d’enregistrer les deux documents. « Alors, ce sera deux fois 125€ » - cliiiing bling - je sors le carnet de chèque, presque ravi de m’en tirer à si bon compte.
A ce stade, il me suffit de recevoir le fameux Kbis pour pouvoir passer à la suite des opérations : lever le dépôt de capital auprès de la banque, pour ensuite repasser à la Préfecture remplir la dernière formalité et enterrer cette vieille association pour de bon.
Ce matin, un courrier du CFE m’attendait dans ma boite à lettres. Je hurle à la cantonade « le Kbis est arrivé »
C’est donc sans appréhension que j’ouvre l’enveloppe....et reçois alors comme un coup au foie !!!!!
De Kbis, que nenni, mais c’est seulement ce fichu formulaire M0 qui vient de m’être retourné avec près d’une semaine de retard, à cause d’une secrétaire distraite qui a tapé le nom de son organisme à la place de celui de notre société.
Pour pimenter le tout, une série de termes barbares noircissent le courrier du jour et je n’ai pas coché toutes les cases. Je m’étais pourtant borné à remplir les cases stabilotées par mon hôtesse, mais le superviseur est passé par là.....
Pire, vu le charabia, je vais devoir solliciter notre expert comptable.
Autant dire que je ne suis pas encore sorti de cette auberge.......
J’avais cru comprendre, avant les élections présidentielles, que la création d’entreprise devait être simplifiée et facilitée.
J’ai dû rêver.........trop fort
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