Crise suite : la vie régulée des anges
Après le « laisser-faire », la « libre concurrence », le « Marché » voici la dernière incantation à la mode : « la régulation » !
Certains m’ayant lu précédemment s’étonneront peut-être de me voir exprimer quelques doutes sur le sujet.
Pourtant, il me paraît essentiel au stade où nous en sommes, à savoir un concert à peu près unanime de critiques sur le fonctionnement actuel du marché et ses conséquences désastreuses de nous interroger sur les alternatives qui nous sont proposées afin le cas échéant de faire tomber les masques et les faux-semblants.
Régulation oui, mais quelle régulation ? Mise en œuvre et contrôlée par qui et avec quels moyens ? Qui formule les appels à la régulation et à destination de qui ? Voilà les questions et pour ce qui est des réponses… mystère ! Force est de constater que nos savants experts ne rentrent pas dans les détails. Sans doute pensent-ils qu’ils ne seraient pas à la portée du premier lecteur venu.
Alors, quelle sera la nature de la régulation ? En réalité, il conviendrait de dire de la régulation « nouvelle vague ».
En effet, le système actuel est régulé.
Les six économistes requis par Le Monde du samedi 18 octobre nous le disent : « La puissance publique n’a jamais totalement déserté la finance. Le secteur bancaire est même le plus réglementé ! »
Gilles Etrillard, président du fonds LFPI, fondateur de La Revue française d’économie précise : « Les réglementations strictes du secteur bancaire n’ont pas permis d’éviter la crise. Elles ont au contraire encouragé une externalisation du risque bancaire et permis, grâce à une liquidité excessive de la politique monétaire américaine, une distribution laxiste du crédit. »
Richard Descoing, Conseiller d’Etat, directeur de Sciences Po nous écrit la même chose dans un article intitulé « La nécessité d’une réflexion générale et croisée sur la régulation » disponible avec d’autres articles très enrichissants sur le site http://www.regulation.sciences-po.fr/fr/documentation/DER_1/index.htm.
Il indique notamment : « Le secteur financier, qu’on évoque souvent comme le plus pur des marchés, est par nature un marché régulé. »
Force est donc de constater que la régulation mise en place a échoué à empêcher la constitution de la « bulle » dans le domaine bancaire dont on nous dit par ailleurs qu’il est l’un des domaines les plus réglementés !
Que doit donc être la régulation « nouvelle vague » pour éviter un bis repetita sachant que nous n’en sommes plus, depuis longtemps, à la première secousse… Et que les experts nous disent qu’il y en aura nécessairement d’autres.
C’est là que les choses deviennent plus difficiles car, comme le souligne Richard Descoing aux termes de l’article précité, « La notion de régulation n’a rien encore de bien précis. »
Elle doit faire intervenir de façon coordonnée des institutions mondiales telles que la Banque mondiale, l’OMC ou encore le FMI, seules habilitées à jouer le rôle de régulateur à l’échelle utile ou aboutir à la création de nouvelles instances mondiales dédiées.
Mais se posent alors les questions traditionnelles en la matière : avec quels moyens, notamment de contrainte ? Sous quel type de contrôle ? Avec quelle responsabilité ?
S’agira-t-il de mécanismes préventifs et bloquants destinés à border un risque qui à ce jour ne semble avoir d’autres limites que l’imagination d’autant plus fertile des inventeurs de produits financiers qu’ils ne misent pas leur argent (cf. L’avenir du capitalisme par Daniel Cohen – Le Monde 2 – samedi 18 octobre 2008). Comment ? Qu’on nous explique !
Si l’on compte sur la sanction pour réguler des comportements fautifs, se posent plusieurs questions dont celle, non négligeable, des moyens mis en œuvre notamment pour les détecter.
Un article du Monde de dimanche 19 octobre – lundi 20 octobre, intitulé « Discipliner les rémunérations colossales de Wall Street » effleure rapidement la question au sujet de la réaction d’un trader aux annonces de restrictions. Le journaliste indique :
« A l’écouter, les limites aux parachutes dorés pourront être facilement contournés grâce à des salaires plus élevés et des primes basées davantage sur les résultats collectifs plutôt qu’individuels. Par ailleurs, la surveillance du Trésor est pénalisée par le manque de fonctionnaires compétents. C’est pourquoi Washington a fait appel au civisme des enfants gâtés de la finance pour ne se montrer raisonnables en période de crise. »
Le « en période de crise » s’avère à lui seul assez savoureux et renforce l’idée selon laquelle il ne s’agirait après tout, pour les ténors de la finance, que d’un mauvais moment à passer rendu le plus court possible par l’intervention des Etats tolérée à ce seul effet. Ce qui en dit long sur leur volonté et leur croyance en une éventuelle régulation de leurs activités futures.
Or, et c’est ce qui intéresse davantage le juriste dans le passage susvisé, l’instauration d’une règle, ne trouve son efficacité que dans l’intérêt et la volonté qu’ont les personnes à la mettre en œuvre ou dans la réalité des sanctions qui peuvent découler de son inobservation.
On notera sur le premier point les réflexions faites par Fabrice Demarigny, secrétaire général du Committee of european Securities Régulator (CESR) dans un article intitulé « Régulateurs et régulés dans la construction des normes financières européennes ». Il rapporte la volonté des professionnels « qui fondent au quotidien la réalité concrète du marché unique » de participer à l’élaboration des règles « afin que celle-ci répondent, le mieux possible, à leurs besoins. » Et les besoins de la société ? Ce ne semble pas être le propos.
Quoi qu’il en soit le régulateur qu’il est n’y voit pas d’inconvénient s’agissant d’un « facteur "d’intériorisation" de la norme plus fort chez le régulé. »
Or, en l’état, et notamment pour ce qui concerne les Américains, il semble bien évident que les acteurs ne sont pas convaincus de l’utilité de nouvelles règles auxquelles d’autres souhaitent les contraindre. Et le fait d’être sauvés avec les meubles peut les renforcer dans une telle attitude.
Dès lors, il semble tout aussi évident qu’en application d’un adage bien connu selon lequel une règle n’est faite que pour être transgressée, il y a fort à parier que nos « Amis » s’efforceront demain, au mieux de contourner, au pire de violer, les éventuelles nouvelles règles mises en travers de leur chemin vers la fortune, comme ils l’ont fait jusqu’alors avec les règles élémentaires de prudence ou de bon sens.
D’où la nécessaire question de la sanction laquelle doit avoir un caractère dissuasif.
De plus, les sanctions envisagées doivent alors être susceptibles de tomber sur des personnes physiques ou morales.
Or, là encore, la question doit être posée. Quel type de sanction peut s’avérer suffisamment dissuasive et présenter le caractère d’un risque qu’il n’est pas possible de prendre lorsque l’on voit que nos « Amis », ont pris, en conscience (on ne peut pas pousser l’infamie jusqu’à les taxer d’un tel degré d’incompétence qu’ils auraient pu ignorer les conséquences possibles de leurs actes), celui de planter, au-delà de leur grande carrière et leur réputation, le système ?
Comment pourrait-on envisager de sanctionner la prise d’un risque avant même qu’il ne se réalise ? Comment apprécier celui qui est jouable et celui qui ne l’est pas ? Comment apprécier en amont l’aléa et à l’instar d’un joueur de poker averti comparer la cote du risque social avec la cote du gain financier pour savoir si la partie peut être jouée ?
Pourrait-on s’inspirer du droit pénal général français en matière de délits non intentionnels, dit encore délits d’imprudence, lequel sanctionnerait le comportement des traders au regard du délit de risque causé à autrui ?
Ce délit présente en effet la particularité de sanctionner la prise d’un risque même s’il n’a pas porté à conséquence (ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque la crise est bien là avec son lot de faillites réalisées et à venir) et ce dès lors que le risque en cause fait encourir à un tiers la mort ou une blessure d’une particulière gravité. Le coupable n’a pas voulu la réalisation du risque, mais il l’a pris en connaissance de cause.
Pour autant, on rétorquera que sanctionner le risque ce serait porter une atteinte fatale au métier de trader et au système dans son ensemble bâti sur la rémunération dudit risque.
D’où la nécessité qu’il y aurait à faire une sorte de casuistique du risque avec le risque toléré et celui sanctionné. On pourrait à nouveau faire le parallèle avec ce que le droit a développé en matière de dol (tromperie) avec la notion de « dolus bonus », c’est-à-dire la tromperie admise socialement comme par exemple dans la publicité et le « dolus malus » sanctionné notamment par l’escroquerie (pénal) ou l’annulation du contrat (civil).
Toutefois, on touche du doigt toute la difficulté de l’exercice dans le domaine financier...
Si l’on envisage le mécanisme de la responsabilité civile, les obligations mises à la charge des financiers seront des obligations de faire dont la violation donne lieu au simple paiement de dommages-intérêts. Or, on voit bien aujourd’hui combien la menace d’une sanction financière serait inadaptée car non dissuasive. D’une part, le coût éventuel serait calculé, anticipé et intégré dans le produit et, d’autre part, en cas de problème, la sanction ne ferait qu’accélérer la chute du ou des établissements en cause lesquels seront a priori déjà en difficulté abandonnant de la même façon à leur triste sort les victimes de leurs errements fautifs.
De plus, l’article du Monde aborde rapidement l’autre versant de la régulation. Sa mise en œuvre qui suppose des moyens humains et financiers. En période de restrictions budgétaires et de diminution du nombre de fonctionnaires, la question prend tout son sens. Les tentatives de privatisation des contrôles notamment par les sociétés de cotation ont depuis longtemps montré leurs limites.
De plus, force est de constater que le discours ambiant apparaît très ambigu sur le sujet. Concomitamment à l’appel à la régulation et à la responsabilisation des acteurs, on critique comme vaine toute démarche qui consiste à rechercher judiciairement la responsabilité individuelles desdits acteurs.
On en revient alors à la croyance en un marché-système qu’il suffirait de programmer pour le bonheur de tous. Mais un marché tout aussi déshumanisé et déresponsabilisant pour ses principaux acteurs.
En conclusion, il y a réellement lieu de s’interroger sur le caractère magique que l’on entend donner au mot « régulation » comme si de le brandir suffisait déjà à résoudre les problèmes. Peut-être alors n’est-il pas destiné aux cadors de la finance ? Peut-être constitue-t-il juste une déclaration d’intention parmi d’autres destinée avant tout aux opinions publiques qu’il faut calmer dans l’urgence ?
Dans ces conditions, nous devons rester en alerte au regard des lieux d’où partent ces appels à la régulation. Il nous appartient à tout le moins de nous en méfier, de ne pas nous satisfaire des mots et de leur pouvoir de fascination. La régulation telle qu’envisagée, notamment à Washington (voir ci-dessus) semble ne pouvoir s’appliquer que dans un monde d’anges...
« La vie régulée des anges »…
Après tout, peut-être est-ce le titre du prochain blockbuster américain ? Il est vrai que si la crédibilité n’est pas nécessairement leur marque de fabrique, ils n’en restent pas moins efficaces !
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