De l’influence des clichés sur les politiques économiques
La Grèce est-elle au bord de la banqueroute ? Certainement pas, mais l’image qu’ont les acteurs économiques de ce pays expliquerait largement, selon l’économiste Gilles Raveaud, l’émotion médiatique suscitée par sa situation. De là à penser que les clichés sont aux commandes de nos politiques économiques...
Tout d’abord, explique Raveaud, la Grèce n’est absolument pas en faillite. Au passage, il tord le cou à l’idée selon laquelle un endettement dépassant 100% du PIB serait le signe d’une banqueroute imminente. Mais il est vrai que les lamentations sur ce registre sont parfois bien pratiques pour justifier l’absence d’ambition d’un gouvernement, principalement en matière sociale : on se souvient du "je suis à la tête d’un Etat en faillite" lâché par Fillon, ou encore du "qu’attendez-vous de moi ? que je vide des caisses qui sont vides ?" argué par Sarkozy lors de sa désormais célèbre conférence de presse de début 2008.
Par ailleurs, souligne Raveaud, de nombreux Etats, comme la Belgique ou l’Italie, se sont déjà trouvés dans des situations bien pires que celle de la Grèce sans susciter le même émoi. On pense également aux Etats-Unis, dont le surendettement était connu avant crise sans qu’on s’en émeuve : la bonne santé de l’économie américaine était au contraire saluée par les agences de notation ; celles-là mêmes qui aujourd’hui dégradent les créances émises par la Grèce !
Pourquoi cette différence de traitement ? Elle tient, estime Raveaud, aux "représentations mentales" des agents financiers. Et selon ces représentations, la Grèce serait "un pays peu rigoureux, mal géré, où la fraude fiscale est généralisée et l’Etat dispendieux…" Que ces clichés renvoient ou non à une réalité est ici accessoire : l’important est qu’ils existent et qu’ils suffisent à influencer les agents économiques de manière déconnectée de la situation réelle, avec des incidences très concrètes. Ainsi, en dégradant les créances grecques, les agences de notation contribuent directement au renchérissement du crédit pour cet Etat, aggravant ses difficultés.
Le poids des clichés dans les grandes politiques économiques est sans doute non négligeable, dans de nombreux domaines. Ainsi en est-il de la politique de l’emploi et, notamment, de la loi sur les "droits et devoirs" des chômeurs. Une disposition de cette loi, applicable depuis l’automne 2008, a introduit pour les chômeurs l’obligation d’accepter les "offres raisonnables d’emploi" qui leur sont faites, sous peine de perdre leurs droits. A l’origine de cette disposition, on trouve le cliché selon lequel les chômeurs seraient des fainéants préférant toucher leurs allocations plutôt que travailler.
Or plusieurs éléments permettent de dénoncer ce cliché et son interprétation par cette loi. En effet, cette obligation devient contraignante uniquement pour les chômeurs présentant les caractéristiques suivantes :
- des offres "raisonnables" leurs sont faites (logique)
- ils ont, avant d’être au chômage, suffisamment travaillé pour ouvrir des droits (autrement la sanction prévue est inapplicable)
- ils sont trop trop paresseux pour accepter de retravailler sans menace de sanction
Au final, ce cliché dépeint des situations ultra-minoritaires au sein de l’ensemble des demandeurs d’emploi, et en tout cas très éloignées des situations vécues par les chômeurs les plus éloignés du monde du travail, c’est-à-dire ceux qui ont très peu travaillé et auxquels on ne propose de toute façon rien, parce que leur "profil" n’intéresse pas les employeurs.
Résultat : selon le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), neuf mois après l’application de cette loi, seuls quatre chômeurs avaient été sanctionnés pour ce motif. Autant dire rien, pour une loi dont le principal effet aura été de conforter un cliché déjà largement répandu.
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