Des riches veulent passer à la caisse
“…alors que la majeure partie des Américains lutte pour joindre les deux bouts, nous, mégariches, continuons à bénéficier d’extraordinaires réductions d’impôts” W. Buffett
On peut entendre la proposition de taxer les plus riches de M. Lévy de trois façons. L’entourloupe d’un oligarque, qui joue d’artifices de communication pour faire miroiter à la plèbe une participation à l’effort collectif. Une posture oblique sachant, soulagé, comme le subodore P. Bergé, que cela ne se produira pas. Un tournant dans la manière dont les nantis abordent l’avenir. Ou plutôt le non-avenir. Dans les deux premiers cas, par économie de temps il n’est pas nécessaire de s’appesantir. Mais on peut penser compte tenu de la situation économique que l’impératif de rationalité l’emporte sur la cupidité, le dérangement psychotique de l’accumulation de capital. Car peut-on clochardiser la majorité de la population impunément ? Sans qu’à aucun moment, à un certain niveau de saturation les choses ne se gâtent ?
Il n’y a rien de généreux dans la proposition de M. Levy d’imposer les plus riches. Comme W. Buffett il part d’un constat factuel. En proportion les classes moyennes participent davantage à l’effort collectif que les fortunés. Le milliardaire américain constate que son taux d’imposition fédéral avoisine les 18%, alors que ceux de ses collaborateurs s’échelonnent entre 30% et 40%. Le même type d’inéquité s’observe dans l’hexagone. Cette situation est rationnellement intenable. Comment dans le chaos économique généralisé, la paupérisation des classes moyennes, continuer à exhiber un train de vie abject ? Loin de l’altruisme, mais par efficience, ces deux milliardaires s’en remettent à la puissance publique par la levée de l’impôt pour sortir de l’ornière. Et ce n’est pas un détail. C’est même politiquement fort signifiant. On sort brutalement de la litanie communément assenée, le moins d’États, la charité, l’impôt égal pour tous (flat tax), les promesses de ruissellement et autres artefacts qui ont nourri l’alternative néo-libérale qui aujourd’hui, en fin de course, mène la planète (ou du moins les pays occidentaux) à l’abime.
Ce qui sous-tend cette façon d’aborder le problème, c’est la faillite du modèle orthodoxe. En appelant à la manoeuvre la puissance publique pour prélever la dime, ces milliardaires admettent tacitement que dans la conjoncture actuelle le modèle de contre-révolution hérité des années 80 n’a aucune chance de survie. Qu’il va mener la civilisation à sa perte dans un chaos incontrôlable. Ou le pire est envisageable. Même pour eux. Plus prosaïquement, la position d’ultra riche et d’influent dans un monde dévasté n’a absolument aucun sens. W. Buffett ou M. Lévy, très pragmatiques, perçoivent le danger de collapsus total. Le financier américain prophétisait le triomphe du capital, “La lutte des classes existe, et c’est la mienne qui est en train de la remporter. ” À une nuance prêt, ce triomphe va se transformer en victoire à la Pyrrhus.
Pourtant, les doctrinaires à la tête des gouvernements continuent à refuser obstinément la mise à contribution des plus fortunés. Par choix idéologiques, par électoralisme ou pire, par autocensure vis-à-vis des marchés dont ils croient percevoir le souffle rauque.
M. Levy pour faire bonne figure agrémente sa proposition de hausse d’impôts pour les ventrus par quelques adjuvants habituels. Les mantras de « bonne gestion » et de compétitivité, choses largement ressassées et aussi discutables en tant que préceptes orthodoxes. Il n’est pas dans l’habitus du président de l’association française des entreprises privées (AFEP) de vouloir changer l’ordre social. Voire de modifier substantiellement un système qui lui a tant donné. Plutôt le sauver pour qu’il continue à donner ses fruits. Mais il faut admettre que l’ajout d’une tranche d’imposition supplémentaire, le relèvement de l’assiette, la suppression d’avantages fiscaux inégalitaires (niches) s’observent dans l’arsenal politique de J. L. Mélenchon ou de quelques membres au Parti socialiste. Et saisir un changement de cap, un retour à une forme de keynésianisme aussi infinitésimal soit-il est toujours préférable à la position de principe du refus obstiné. Les mauvaises raisons, en l’occurrence la vulgaire survie d’un système, sont toujours les meilleures, ici, l’analyse lucide du désastre et son renoncement. Un aveu d’oligarques ivres de profits sur l’obsolescence d’un ordre automutilateur qui les a engraissés. Et qui enfin pensent le monde de façon un peu plus globale, ou un peu moins nombriliste. Ainsi, cela vaut toutes les démonstrations du monde…
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