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Dettes publiques argentine et équatorienne. Similitudes et différences...

Au rayon des clichés à la mode, on en rencontre un qui oppose fort sommairement une Argentine , jamais véritablement guérie de sa tendance au recours à l’endettement, à un Equateur qui aurait rompu radicalement avec ce mal typique des économies sud-américaines. Nous allons voir que cette imagerie ne correspond pas du tout à la réalité.

Pour revenir sur les marchés, le gouvernement du nouveau président Mauricio Macri (conservateur) a, c'est bien connu, choisi de céder en rase campagne face aux fonds vautours, de s’endetter sur les marchés et de se plier aux exigences de la justice US. Plus personne ne doutera du caractère périphérique et dépendant de l’économie argentine vis-à-vis des Etats-Unis ainsi que de la fonction de mise sous tutelle résultant du phénomène d’endettement extérieur.

Les vautours dans le ciel argentin

Pour creuser le sujet, on recommandera fermement de consulter des sources argentines. Il est, par exemple, particulièrement hasardeux d’affirmer que c’est à l’administration Kirchner qu’échoit la lourde responsabilité d’avoir abandonné la souveraineté nationale en confiant à la justice américaine le soin de trancher les litiges qui opposeraient l’Argentine à ses créanciers. En réalité, ce renoncement a été inauguré par la junte militaire installée en 1976, sous la pression des États-Unis qui satellisent alors l’Argentine, suite à une modification du code civil. Cette dernière, connue en Argentine sous le nom de « clause Martinez de Oz » (du nom du ministre des Finances de Videla), a été pleinement confirmée par tous les gouvernements depuis la chute de la junte en 1983 1 .

Le kirchnérisme a tenté de modifier cette donne tardivement. Et en avril 2016, le gouvernement de Mauricio Macri a émis un emprunt obligataire pour rembourser les fonds vautours.

Présentement, l’accord avec les fonds vautours a mobilisé près de 16,5 milliards de dollars empruntés sur les marchés pour des maturités de 3, 5, 10 et 30 ans. Les taux attachés à ces bons varient entre 6,25 et 8%. Les montants empruntés se décomposent comme suit : 2,750 milliards à 6,25% pour les bons à 3 ans, 4,5 milliards à 6,875% pour les bons à 5 ans, 6,5 milliards à 7,5% pour des bons à 10 ans et 2,750 milliards à 8% pour les bons à 30 ans.2

A ce sujet, on fera valoir qu’une posture de dénonciation pour des raisons d’illégitimité (évidente voire criante dans le cas qui nous occupe) n’apporte peut-être pas grand-chose d’intéressant au dossier. On pointera davantage le caractère improductif de l’endettement ainsi consenti par Buenos Aires. Le capital prêté aux autorités argentines ne fera que transiter par les comptes du Trésor. Il ne servira in fine qu’à alimenter les profits d’acteurs spéculatifs.

 

Comparaison avec l’Equateur

De ce point de vue, la dénonciation du caractère illégitime des dettes du Tiers-monde s’avère peu pertinente pour en appréhender la nature. En lieu et place de définir celle-ci à partir de catégories socioéconomiques, le point de départ de l’analyse « antidette » s’appuie sur une construction d’ordre éthico-idéologique dont la vacuité est évidente lorsqu’il s’agit de discerner les modalités effectives et concrètes de fonctionnement des marchés de la dette dans le cas des pays du Sud.

A la mi-décembre 2008, l’Équateur se déclarait en défaut de paiement pour la troisième fois en un peu moins de 15 ans. Au départ, l’illégitimité de la dette semblait en constituer le principal motif de renégociation. Dans cette optique, l’audit citoyen constitue la démarche par excellence permettant à un Etat de s’imposer face à ses créanciers. A la même époque, un journal équatorien proche de l’administration Correa, El Telégrafo, n’hésitait cependant pas à parler d’erreur « dans la mesure où le gouvernement a fait élaborer un audit par une commission qui dépendait de lui. On a déclaré la dette illégale sans rechercher un arbitre qui le confirme, c’est-à-dire que le débiteur [le gouvernement] a lui-même déclaré sa dette illégale » 3 .

Ce reproche ne devait pas être absolument infondé puisque le président Correa précisait, quelques semaines après la tenue de l’audit international de la dette, que l’Équateur présenterait un plan de restructuration qui permettrait aux créanciers de récupérer une partie de leur mise (30%). La dette équatorienne ne fut donc pas purement et simplement annulée. La « légitimité » comptait pour peu dans ce marchandage, somme toute classique, entre un Etat et ses créanciers. Pour s’en convaincre, on jettera un coup d’œil sur les produits financiers qui ont été visés par l’entreprise de restructuration opérée par le gouvernement de Rafael Correa.

En juin 2009, l’administration Correa annonçait qu’elle avait rencontré l’assentiment de 91% de ses créanciers à qui elle projetait de racheter sa dette avec une décote oscillant entre 65 et 70%4 . Cette annonce confirmait ce que bien des analystes avaient pressenti dès 2008, à savoir que l’Equateur était en quête d’un haircut (réduction de la valeur de la dette d'un emprunteur dans le cadre d’une opération de restructuration des rapports avec les créanciers)5 .

La restructuration équatorienne

Les officiels équatoriens se sont donc empressés de renégocier avec leurs créanciers sans grands états d’âme. C’est ainsi que l’Equateur a fait défaut, de manière sélective, sur certaines obligations tout en conservant d’autres. Les Global Bonds 2012 et 2030 passaient complétement à la trappe mais le gouvernement équatorien continuait à assurer, en revanche, le paiement des Global Bonds 2015. Le Global Bond 2015 consiste en un titre émis en 2005 dans un précédent épisode de renégociation de la dette équatorienne. Or, tant les Global Bonds 2012 et 2030 que les Global 2015 provenaient d’une restructuration antérieure de la dette publique équatorienne. Donc, les Global Bonds 2012 et 2030 se caractérisaient par le même type de relations avec les créanciers de l’Equateur que les Global 2015. Alors que les Global 2012 et 2030 avaient été émis en 2000, les Global Bond 2015 datent de 2005. C’est la seule différence notable entre ces deux lignes de produits qui ont pour genèse l’explosion de la dette publique équatorienne à partir de 1978. Si la légitimité avait constitué la ligne d’horizon et de cohérence du plan équatorien de dénonciation de la dette extérieure, il n’y avait aucune raison d’honorer intégralement le paiement des Global Bonds 2015. C’est ce que nous pouvons, d’ailleurs, lire dans le rapport final de la Commission nationale chargée de l’audit de la dette en Equateur.

« Le même procédé avait déjà été utilisé de manière exagérée en 2005 pour un montant de 740 millions de dollars quand l’Equateur décidait d’assumer de nouvelles dettes en émettant les Bons Global 2015 ».6 Dès 2008, il était clair que « le défaut de l’Equateur serait hautement sélectif (…) et qu’il ne déboucherait ni sur une annulation d’obligations de par leur caractère odieux (…) ni sur un échange de titres négocié ou unilatéral à la façon de l’Argentine dans le but d’obtenir une importante remise de dettes »7 . En réalité, les bons qui ont fait l’objet d’un moratoire puis d’un rachat avec décote de la part du gouvernement équatorien ne représentaient même pas la partie la plus importante de l’endettement extérieur de la République équatorienne. « Les bons 2012 et 2030, qui comptaient pour plus ou moins un tiers de la dette publique extérieure à la fin de l’année 2008, exigeaient un paiement annuel d’intérêts de l’ordre de 331 millions de dollars, ce qui équivaut à peine à 1,9% des recettes du gouvernement et 0,6% du PIB de 2008, un montant, à tous égards, insignifiant ». 8

Succès équatorien ?

Le président Correa a eu le mérite d’anticiper, dès 2008, une chute importante des cours du pétrole. Le secteur des hydrocarbures est fondamental pour l'économie du pays. « Au cours de la dernière décennie, il a apporté 27,2% du budget général de l'État »9 Une renégociation de dettes venait donc à point nommé pour les finances publiques et le maintien des politiques sociales en Equateur. Toutefois, en n’annulant pas les Global Bonds 2015, l’administration Correa montrait qu’elle voulait rester fréquentable sur les marchés. Pour l’anecdote, « la banque responsable de la diffusion du Global 2015 était la JP Morgan Chase Bank ».10 Et la JP Morgan Chase, c’est la cinquième société privée et la quatrième banque dans le monde11. Il était interdit au gouvernement équatorien désireux de rester sur les marchés de se fâcher avec une entité de cette taille. Il y a un certain temps déjà, la presse économique notait que des difficultés économiques internes, résultant du ralentissement de l’économie mondiale, ont amené l’Equateur à faire son retour sur les marchés financiers. Quito avait, d’ailleurs, pour objectif, à l’été 2014, de lever 700 millions de dollars sur les marchés afin, notamment, de financer des projets d’infrastructures12.

On notera également l’émission en 2014 par le gouvernement équatorien d’un bon à 10 ans pour une valeur de 2 milliards de dollars13. En tout état de cause, le succès du haircut équatorien, salué, comme il se doit, par un retour triomphal sur les marchés, a finalement fort peu de rapports avec les vertus que les milieux antidette et altermondialistes prêtent à l’audit citoyen de 2008. A vrai dire, questionner et annuler la dette d’un pays n’a guère de sens si on n’en interroge pas au préalable le modèle d’accumulation économique. Les milieux « alter » qui ont, de nombreuses années durant, prodigué leurs précieux conseils à la totalité du monde en développement devront plus que vraisemblablement faire preuve de davantage d’humilité à l’avenir. C’est que la trajectoire de l’Equateur n’a rien de spécialement enviable par les temps qui courent. Aux dernières nouvelles, l’Equateur plaçait en 2016 un emprunt obligataire à 5 ans de 5 milliards de dollars sur les marchés avec un taux d’intérêt de 10,75%14. C'était plus ou moins le taux en vigueur sur la dette grecque alors que la crise sur les dettes souveraines de la zone euro venait d’éclater en 2012. La dépendance de l’économie équatorienne aux cours du pétrole est notoire.

Cette remarque nous semble accréditer une hypothèse. La critique de la dette menée par certains milieux altermondialistes devrait, pour ne pas louper sa cible, reprendre à son compte la critique structuraliste du sous-développement. Après tout, la dette externe des nations périphériques correspond avant tout à une faiblesse économique structurelle. C’est un thème que le mouvement social dans les pays développés n’aborde plus que trop rarement par les temps qui courent. Dommage…
 

1 Alejandro Olmos, Todo lo que usted quiso saber sobre la deuda externa y siempre se lo ocultaron, Ed. Peña Lillo-Continente, Buenos Aires, 2006, pp.102 -107.

2 New York Times, 27 avril 2016 et El Destape, 19 avril 2016 (Url : http://www.eldestapeweb.com/argentinatermino-emitiendo-us16500-millones-deuda-externa-n16629)

3. El Telégrafo cité par le site latin Reporters (http://www.latinreporters.com/), 14 décembre 2008.

4.El Telégrafo, 19 juin 2014.

5 Financial Times, 23 avril 2009.

6 COMISIÓN PARA LA AUDITORÍA INTEGRAL DEL CRÉDITO PÚBLICO, INFORME FINAL DE LA AUDITORÍA INTEGRAL DE LA DEUDA ECUATORIANA, RESUMEN EJECUTIVO, Noviembre 2008, QUITO, ECUADOR, p.45.

7 Porzecanski, Arturo C, When Bad Things Happen to Good Sovereign Debt Contracts : The Case of Ecuador in Law & Contemporary Problems, Washington & Lee Law School, Volume 73, Number 4, Fall 2010, p.265.

8 Ibid.

9 OMC, Organe d'examen des politiques commerciales, Rapport sur l’Equateur, 10 octobre 2011

10 COMISIÓN PARA LA AUDITORÍA INTEGRAL DEL CRÉDITO PÚBLICO, ibid.

11 Forbes, The World’s Biggest Public Companies, 2016 ranking. En termes de profits dégagés, JP Morgan Chase est la 7ème firme à l’échelle mondiale.

12 Wall Street Journal, 7 avril 2014

13 El Telégrafo, 19 juin 2014.

14 Bloomberg, 25 juillet 2016 (URL : http://www.bloomberg.com/news/articles/2016-07-25/ecuador-offeringdollar-bonds-at-highest-coupon-since-2000)

 


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1 réactions à cet article    


  • zoubida 20 novembre 2018 08:07

    Voilà un article qui dégomme les prétentions des trotskistes sur le sujet. En bonne lectrice de Clouscard, je ne peux que me réjouir

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