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Accueil du site > Actualités > Economie > Deux précurseurs du libéralisme au XVIIIème siècle

Deux précurseurs du libéralisme au XVIIIème siècle

Ci-dessous le chapitre de mon livre qui résume brièvement les idées économiques de :

Hume David

Grande Bretagne

1711-1776

Turgot Jacques

France

1727-1781

Voyons deux personnages qui seront en contact avec Adam Smith et l’influenceront considérablement. L’Ecossais David Hume est un philosophe des lumières. Ses « Political Discourses » de 1752 expriment bien ses idées économiques libérales. Et d’abord, son anti-mercantilisme.

 Contre la « groundless apprehension » qu’un Etat pourrait se vider de ses métaux précieux par le commerce international, il écrit : « and I should dread, that all our springs and rivers should be exhausted, as the money should abandon a kingdom where there are plenty of people and industry. Let us carefully preserve these latter advantages ; and we need never be apprehensive of losing the former »[1].

 Il s’intéresse tout particulièrement à la monnaie et son credo est celui-ci : « the greater or less plenty of money is of no consequence ; since the prices of commodities are always proportioned to the plenty of money »[2]. Ceci favorise les pays dotés de peu de monnaie dans le commerce international : leurs prix plus bas les rendront plus concurrentiels, ce qui corrigera la distribution des métaux précieux en leur faveur.

 Hume modère toutefois ce propos : si la masse monétaire en circulation augmente, l’effet sur les prix ne se fera sentir que progressivement. En attendant que tous les prix se soient ajustés, il s’écoule un délai pendant lequel l’activité économique peut être stimulée par la circulation monétaire plus abondante. Hume en conclut : « it is of no manner of consequence with regard to domestic happiness of a state, whether money be in a greater or less quantity. The good policy of the magistrate consists only in keeping it, if possible, still encreasing, because, by that means, he keeps alive a spirit of industry in the nation and encreases the stock of labour, in which consists all real power and riches »[3].

La proposition suivant laquelle les prix sont réglés par la proportion entre les biens et la monnaie, n’est valide que dans la mesure où l’on a affaire à des biens échangés sur des marchés contre de la monnaie. Depuis la découverte de l’Amérique, la quantité de métaux précieux a augmenté en Europe dans une proportion justifiant une hausse des prix largement supérieure à celle qui eut effectivement lieu. Mais en même temps, l’échange monétaire s’est développé au détriment du troc et de l’autoconsommation, ce qui a altéré le rapport entre les volumes respectifs des paiements et de la monnaie.

 

« Nothing is esteemed a more certain sign of the flourishing condition of any nation than the lowness of interest. And with reason ; though I believe the cause is somewhat different from what is commonly apprehended. Lowness of interest is generally ascribed to plenty of money. But money, however plentiful, has no other effect, if fixed, than to raise the price of labour.

Mais le taux d’intérêt ne dépend pas de la quantité de monnaie. « High interest arises from three circumstances : A great demand for borrowing ; little riches to supply this demand ; and great profits arising from commerce : And these circumstances are a clear proof of the small advance of commerce and industry, not of the scarcity of gold and silver »[4].

« For suppose that, by miracle, every man in Great Britain should have five pounds slipt into his pocket in one night ; this would much more than double the whole money that is at present in the kingdom ; yet there would not next day, nor for some time, be any more lenders, nor any variation in the interest »[5]. Il n’en résulterait qu’une hausse des prix.

« It is needless, therefore, to enquire which of these circumstances, to wit, low interest or low profits, is the cause and which is the effect ? They both arise from an extensive commerce and mutually forward each other. No man will accept low profits where he can have high interest ; and no man will accept of low interest where he can have high profits. An extensive commerce, by producing large stocks, diminishes both interest and profits… »[6]. « Those who have asserted, that the plenty of money was the cause of low interest, seem to have taken a collateral effect for a cause »[7].

 

 

Jacques Turgot fut ministre des finances de Louis XVI. A ce titre, il entreprit de nombreuses réformes favorisant l’économie de marché aux dépens de la vieille économie corporatiste et semi-féodale. Il fut révoqué lorsque ses réformes déplurent à l’aristocratie. Inspiré par la physiocratie, sa contribution dépasse largement le cadre étriqué de celle-ci. Comme Quesnay, il contribua à l’Encyclopédie de Diderot. En 1766, paraissent ses « Réflexions sur la formation et la distribution des richesses », un ouvrage en avance sur son temps. Turgot s’y intéresse successivement au concept de valeur, à la monnaie et au capital.

Concernant la valeur d’échange des biens, Turgot insiste sur la différence entre l’échange isolé et l’échange sur un marché. Deux hommes sur une île déserte, porteurs chacun d’un bien différent, s’ils trouvent avantage à échanger, conviendront d’un rapport de prix, qui reflète leur situation particulière à tous deux ; on peut presque parler d’un rapport de prix aléatoire ; deux autres hommes auraient sans doute fixé un autre prix. Par contre, sur un marché, un prix unique s’impose du fait de la concurrence. Ce prix (ou ce rapport de prix s’il s’agit de troc), égalisant l’offre et la demande entre de nombreux intervenants, peut être considéré comme la véritable valeur du bien considéré.

« Le commerce donne à chaque marchandise une valeur courante, relativement à chaque autre marchandise, d’où il suit que toute marchandise est l’équivalent d’une certaine quantité de toute autre marchandise & peut être regardée comme un gage qui la représente. (…) Chaque marchandise peut servir d’échelle de mesure commune pour y comparer la valeur de toutes les autres »[8]. Toutefois, dans cette fonction de réserve de valeur d’échange et d’unité de mesure de la valeur, les marchandises dont la qualité est peu variable conviennent beaucoup mieux. La marchandise choisie pour remplir cette double fonction est ce qu’on appelle la monnaie. Les métaux précieux « y sont plus propres qu’aucune autre substance », notamment car « ils sont susceptibles de toutes les divisions imaginables » ; en outre ils sont inaltérables et ont « une très grande valeur sous un poids et un volume très peu considérable (…) Tout homme qui a une denrée superflue & qui n’a pas, au moment, besoin d’une autre denrée d’usage, s’empressera donc de l’échanger contre de l’argent »[9]

Turgot ajoute : « On ne peut prendre pour commune mesure des valeurs, que ce qui a une valeur, ce qui est reçu dans le commerce en échange des autres valeurs : & il n’y a de gage universellement représentatif d’une valeur, qu’une valeur égale. Une monnoie de pure convention est donc une chose impossible ». Turgot montre qu’il a correctement compris la nature de la monnaie métallique. Par contre, il n’a pas été capable d’anticiper l’avènement d’un autre système monétaire.

Turgot en vient ensuite au capital. « Tous les genres de travaux de la culture, de l’industrie, du Commerce exigent des avances. Quand on laboureroit la terre avec les mains, il faudroit semer avant de recueillir : il faudroit vivre jusqu’après la récolte. Plus la culture se perfectionne & s’anime, plus les avances sont fortes »[10]. Turgot conçoit également que le capital est sous-tendu par un processus de circulation constant : « toutes les branches de commerce roulent sur une masse de capitaux ou de richesses mobiliaires accumulées qui, ayant été d’abord avancées par les Entrepreneurs, dans chacune de ces différentes classes de travaux, doivent leur rentrer chaque année avec un profit constant ; savoir le capital pour être reversé et avancé de nouveau dans la continuation des mêmes entreprises & le profit pour la subsistance plus ou moins aisée des Entrepreneurs »[11].

Il ne faut pas confondre l’argent et le capital. « (Leurs) évaluations sont indépendantes l’une de l’autre & sont réglées par des principes tout différens ». Turgot imagine un doublement de la masse d’argent en circulation distribué proportionnellement à la masse initiale. « L’argent, considéré comme masse de métal, diminuera certainement de prix, ou, ce qui est la même chose, les denrées seront payées plus cher (…) Mais il ne s’ensuivra nullement de-là que l’intérêt de l’argent baisse, si tout cet argent est porté au marché & employé aux dépenses courantes de ceux qui le possèdent, comme l’étoit, par la supposition, le premier million d’onces d’argent ; car l’intérêt de l’argent ne baisse qu’autant qu’il y ait plus d’argent à prêter, à proportion des besoins des emprunteurs, qu’il n’y en avoit auparavant. Or l’argent qu’on porte au marché n’est point à prêter ; c’est l’argent mis en réserve, ce sont les capitaux accumulés qu’on prête »[12]. Turgot est manifestement sur la même longueur d’onde que Hume, avec qui, d’ailleurs, il correspondait. Il partage avec lui la conviction qu’un intérêt plus bas est représentatif d’une plus grande épargne accumulée et est donc un signe de prospérité. Parallèlement, un taux d’intérêt plus élevé est défavorable à l’activité : « Si l’intérêt est à cinq pour cent, toute terre à défricher, dont les produits ne rapporteront pas cinq pour cent, outre le remplacement des avances & la récompense des soins du cultivateur, restera en friche »[13].

Turgot montre aussi que « dès que les profits résultant d’un emploi quelconque d’argent augmentent ou diminuent, les capitaux s’y versent ou s’en retirent en se versant vers les autres emplois ; ce qui change nécessairement dans chacun de ces emplois le rapport du capital au produit annuel »[14].

Un autre article de Turgot a accédé à la renommée, consacré à réfuter un mémoire écrit par un certain Saint-Palavy ; estimant le rapport de la production de la terre aux avances du fermier à cinq pour deux invariablement, celui-ci croit pouvoir appliquer ce ratio pour calculer la perte en production causée par un impôt indirect qui grève les avances. Contre ce simplisme, Turgot écrit « il ne faut qu’un peu de réflexion pour sentir qu’il ne peut y avoir de proportion constante entre les avances et les produits »[15]. On peut l’expliquer ainsi : « La semence jetée sur une terre naturellement fertile mais sans aucune préparation serait une avance presque entièrement perdue. Si on y joint un seul labour, le produit sera plus fort ; un second, un troisième labour pourront non pas simplement doubler et tripler, mais quadrupler et décupler le produit, qui augmentera ainsi dans une proportion beaucoup plus grande que les avances n’accroissent, et cela jusqu’à un certain point où le produit sera le plus grand qu’il soit possible, comparé aux avances. Passé ce point, si on augmente encore les avances, les produits augmenteront encore, mais moins, et toujours de moins en moins jusqu’à ce que, la fécondité de la terre étant épuisée et l’art n’y pouvant plus rien ajouter, un surcroît d’avance n’ajouterait absolument rien au produit »[16]. Turgot remarque que tant que les avances rapportent un excédent de production sur leur valeur, accrue de l’intérêt courant, il est avantageux d’y procéder. Le point où le produit est maximal par rapport aux avances n’est en rien un optimum.

 


[1] Hume [162] § 2.5.4

[2] Hume [162] § 2.3.1

[3] Hume [162] § 2.3.9

[4] Hume [162] § 2.4.6

[5] Hume [162] § 2.4.9

[6] Hume [162] § 2.4.14

[7] Hume [162] § 2.4.15

[8] Turgot [369] pp. 24-25

[9] Turgot [369] pp 29-30.

[10] Turgot [369] p.34

[11] Turgot [369] p.45

[12] Turgot [369] p.49

[13] Turgot [369] pp. 58-59

[14] Turgot [369] p.58

[15] Turgot [368] p. 419

[16] Turgot [368] p. 421

Bibliographie

[162]

Hume David (1987) Essays Moral, Political, and Literary, Liberty Fund Inc, Indianapolis. Site Internet Library of Economics and Liberty http://www.econlib.org/library/LFBooks/Hume/hmMPL.html

[368]

Turgot Jacques (1966) « Observations sur le Mémoire de M. de Saint-Peravy » in Œuvres de Turgot, Osnabrück Otto Zeller, vol 1, pp. 418-433.

[369]

Turgot Jacques (1966) « Réflexions sur la Formation et la Distribution des richesses » in Œuvres de Turgot, Osnabrück Otto Zeller, vol 1, pp. 1-67.

[370]

Turgot Jacques (1966) « Valeurs et monnaies » in Œuvres de Turgot, Osnabrück Otto Zeller, vol 1, pp. 75-93.

 


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3 réactions à cet article    


  • sls0 sls0 10 mars 2020 17:23

    Ecrire en anglais ou espagnol ne me dérange pas.

    Donc cet article s’il ne s’adresse qu’à moi ça passe.

    Le problème est que l’on est sur un site francophone et que tout le monde ne maitrise pas l’anglais. J’y vois un non respect pour pas mal de personnes.

    Adam Smith a écrit d’abord théorie des sentiments moraux. Les livres suivants se lisent par rapport à ce premier livre. Les intégristes de l’économie n’ont certainement pas lu ce premier livre sinon Adam Smith ne leur servirait certainement pas de caution philosophique.

    La richesse des nations ne peut se lire qu’après avoir lu la théorie des sentiments sociaux.

    Déjà à l’époque Adam Smith s’en plaignait, en plus maintenant on sort des phrases de leur contexte de son dernier livre pour justifier un libéralisme qui va à l’encontre de la pensée de ce pauvre Adam.


    • Jean Keim Jean Keim 11 mars 2020 08:19

      Les prix ne sont pas dictés uniquement par la concurrence, il existe des secteurs où les (grandes) entreprises pratiquent la collusion.

      De plus le fait qu’une économie soit florissante ne gage en rien du bien-être tant de ses salariés que de ses clients.

      L’économie, cette pseudo science bavarde, qu’elle soit libérale (avant tout pour elle-même), ou étatique (l’état sert toujours des intérêts très particuliers) a pour objectif principal le profit, les autres considérations sont secondaires.

      Existe-t-il un penseur en économie qui maitrise réellement la science qu’il est censé comprendre ?

      Il existe dans cette idéologie, car il s’agit bien de cela, la même adhésion à une doctrine qu’en religion avec son dieu et sa formule magique bien connue : Au nom du pèze, du fisc et du saint bénéfice (Julos Beaucarne)


      • Paul Jael 11 mars 2020 09:24

        @Jean Keim
        Comme vous, je suis très sceptique vis-à-vis des théories énoncées par les grands économistes, mais je pense qu’elles méritent notre curiosité intellectuelle, raison pour laquelle j’en égrène des morceaux dans les articles que je publie sur Agoravox.

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