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Distribuer des dividendes aux actionnaires en cette année est une fausse bonne idée

En France, deux ordonnances publiées récemment autorisent les entreprises cotées à tenir leurs assemblées générales ordinaires d'ici le 30 septembre pour, entre autres statuer sur la mise en paiement de dividendes à leurs actionnaires. Le débat à ce propos semble étonnant, voire incongru face à l'ampleur de la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés, alors que la liquidité d'une entreprise cotée doit prévaloir sur les exigences des actionnaires.

Quelques rappels sur le contrôle actionnarial

La « shareholder value » ou valeur actionnariale, est une doctrine qui légitime le contrôle des entreprises par les actionnaires et en même temps, mais de façon contradictoire, prône la liquidité des marchés de capitaux. Ce courant, qui émerge au milieu des années 1970 aux Etats-Unis, est monté en puissance dans nos économies développées et n'a à ce jour jamais été remis en question par les marchés et les recherches académiques. De plus en tant que mode de régulation cette doctrine enjoint le respect d'exigences de rentabilité du capital très élevées : 15% de retour sur fonds propres ( ROE), qui sert toujours d'étalon aux décisions d’investissements. Dans un monde sans inflation, il constitue une aberration conduisant à une appropriation des richesses crées par une minorité. Dans ce schéma, les rachats d'actions enrichissent les actionnaires, augmentent le ROE et le cours boursier de la firme. D'autre part, l'utilisation de la comptabilité en "fair value" ou juste valeur, permet à la volatilité boursière de s'introduire directement dans les bilans alors contaminés par les processus instables d'évaluation boursière sur les marchés. Enfin la valeur fondamentale d'une action est mesurée par l'actualisation à des taux fixés par l'évaluateur des flux de liquidités générés dans le temps, ce qui apparaît mal à propos dans les périodes de récession économique en raison des faibles visibilités sur les perspectives bénéficiaires.(1) 

Le débat sur le versement de dividendes et le rachat d'actions est-il pertinent ?

Face au choc exogène de grande ampleur que nous vivons, les entreprises cotées doivent privilégier leur trésorerie visant à rémunérer leurs salariés et à réaliser de nouveaux investissements, le dividende correspondant à un excès de liquidités non utiles à l'entreprise, ce qui est essentiel à comprendre pour ne pas biaiser le débat. Ne pas oublier que les Groupes du CAC 40 ont versé en 2019 60,2 Mds d'Euros de dividendes, dont 11Mds d'Euros sous forme de rachats d'actions, renouant avec leurs sommets de 2007, coïncidence ? Il s'agit aussi de cesser d'exposer les salariés aux risques de prises de contrôle par des prédateurs qui ne vont pas manquer de surgir en ces temps incertains.

C'est ainsi que l'ACPR a appelé ce 30 Mars les établissements de crédit relevant de sa supervision directe et les sociétés de financement à s'abstenir de verser des dividendes. La position de l'AFEP qui regroupe 110 des plus grandes entreprises privées en France a demandé à ses adhérents qui utilisent le chômage partiel de réduire de 20% leur dividende à verser en 2020. Pourquoi 20% et non pas 100%, puisqu'il s'agit d'un problème de trésorerie ? Enfin Bercy a annoncé une aide massive de 300Md d'Euros sous forme de prêts garantis par l'Etat aux Groupes de sociétés qui ne pratiqueront pas de politique de distribution. Il sera alors difficile d'accepter ultérieurement qu'une entreprise ayant procédé à des licenciements privilégie ses actionnaires.

Qui sont les actionnaires du CAC 40 ?

Selon le baromètre Euronext publié le 30 Janvier 2018 qui les regroupe en 11 catégories, il apparaît qu'une très faible minorité de français détienne en direct des actions. Cette étude qui n'a pu identifier que 60% de l'actionnariat se décomposant ainsi à la fin 2016 :

Gestionnaires d'actifs au travers d'environ 15000 fonds dont Blackrock et Vanguard 26 %

Gestion passive ou indicielle 6,6%

Familles er fondateurs, dont Groupe Familial Arnault 10%

Actionnaires individuels 8,1%

Actionnaires salariés 3, 5%

Etat Français dont CDC, BPI, APE et IFP 3,%

Etats étrangers en direct ou au travers de fonds souverains 2,8%

En permettant d'offrir plus de transparence sur la détention du capital des Groupes de sociétés, cette étude semble cependant isolée, et c'est regrettable.

D'autre part, la France compte en 2017 3,5 millions d'actionnaires individuels en titres vifs, hors détenteurs d'unités de compte en assurance vie qui représentent un noyau dur d'épargnants bien informés.

En France, les salariés détiennent 3,8% du capital des sociétés cotées par l'intermédiaire d'augmentation de capital qui leur sont réservées, contre 1,7% en Europe, et 73,6 % parmi elles ont des plans d'actionnariat salarié contre 20,7% en Europe. La démocratisation de l'actionnariat salarié répond à un objectif ambitieux de politique économique : faire en sorte que 10% du capital des entreprises françaises soit détenu par les salariés.

 

En résumé, la récente correction à la baisse des marchés financiers est certes liée à la progression de la pandémie, mais essentiellement à la détérioration de l'économie mondiale observée en 2019, à la chute vertigineuse du prix du pétrole et de l'ensemble des matières premières créant des tensions géopolitiques auxquels s'ajoutent les rivalités commerciales entre la Chine et les Etats-Unis. Dans ce contexte, et face à une inévitable récession économique, le bon sens voudrait que les Conseils d'Administration suspendent la mise en paiement des dividendes à leurs actionnaires en cette année.

 (1) Michel Aglietta , Antoine Rebérioux, Dérives du capitalisme financier, 2004 

 


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13 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 28 mai 2020 09:12

    « ... le bon sens voudrait que les Conseils d’Administration suspendent la mise en paiement des dividendes à leurs actionnaires en cette année.  »

    Autant demander au lion de renoncer à ses « prérogatives » quand les lionnes ont fait une bonne chasse, car en fait, la chasse n’a jamais cessé, au contraire, elle s’intensifie.


    • Francis, agnotologue JL 28 mai 2020 09:32

      @Séraphin Lampion
       
       ’’ la chasse n’a jamais cessé, au contraire, elle s’intensifie.’’
       
       Je dirai même plus : cet épisode fait peut-être partie intégrante de la stratégie du chasseur !!!


    • Eliane Jacquot Eliane Jacquot 28 mai 2020 09:15

      Bonjour,

      Cette phrase se voulait économiquement correcte, et j’approuve entièrement votre remarque ; merci de m’avoir lue .


      • njama njama 28 mai 2020 10:09

        Je pense que ce qui se passera plutôt c’est que les actionnaires seront servis, mais que les intéressements des salariés (rémunération facultative) seront à 0, qui sait pour plusieurs années peut-être, ou réduits à peau de chagrin. Et les salaires bloqués pour retrouver de a croissance et éponger les créances...

        J’ai connu ça une année alors que je travaillais dans une banque nationalisée l’État actionnaire a été servi en dividendes, les salariés rien ! que le gouvernement soit de gauche ou non n’y change rien.


        • Spartacus Lequidam Spartacus 28 mai 2020 15:22

          C’est beau le paradoxe intello-bobo de gauche


          En résumé, le bureaucrate étatiste voudrait que l’actionnariat salarié réponde à un objectif ambitieux de politique économique : faire en sorte que 10% du capital des entreprises françaises soit détenu par les salariés.



          Tout en expliquant en introduction qu’il ne faut pas donner de dividendes.  smiley  smiley

          C’est un peut comme expliquer que se serait formidable que tous les salariés disposent d’un permis de pêche dans l’étang, mais que de l’autre on l’interdise de revenir avec du poisson de l’étang..

          C’est sur que les salariés dans ces conditions étatistes et au bon vouloir bureaucratique vont devenir actionnaires.... Un vrai monde magique !


          C’est beau ces idées planificatrices.


          Les salariés ils veulent tous devenir actionnaires dans les paroles, on peut même dire qu’en sondage ça fera 100%.


          Mais quand tu demandes de l’argent à immobiliser au lieu de le mettre dans le pavillon avec le barbecue à triple réservoir de saucisses, t’expliques les taxes, les risques d’avoir moins que ce que t’a mis au départ, et l’incertitude fiscale.

          Quand ta boite licenciera, et que ton pote salarié pas actionnaire te traitera de dégelasse parce qu’il est « victime des actionnaires forcements avides et cruels ». 

          C’est curieux personne ne voudra faire partie de l’objectif bobo des 10%.


          Les économistes qui font miroiter le plaisir d’être actionnaire aux salariés d’Europcar, ils ont quelque chose à dire aux salariés actionnaires qui ont vu fondre la moitié de leurs économies prévues pour acheter le pavillon, alors que maintenant ils n’ont plus que de quoi acheter que la paillasson de la porte d’entrée ?


          • OJBA 28 mai 2020 15:28

            Ah ? Parce que vous croyez qu’ils vont demande l’autorisation au gouvernement ? Même dans les entreprises où l’état est actionnaire ?


            • Traroth Traroth 28 mai 2020 17:11

              Fausse bonne idée ou vraie mauvaise idée ?


              • titi titi 28 mai 2020 18:08

                @L’auteur

                Désolé mais je ne comprends pas ce débat sur les dividendes.


                Le dividende est versé s’il y a du résultat, s’il y a de la trésorerie et il concerne la situation comptable de l’exercice comptable précédent.

                C’est donc la rémunération 2019 de l’actionnaire dont il s’agit.

                Les fonds de pension, présentés en France comme le Grand Satan, ce sont eux qui paient les retraites de la plupart des salariés et fonctionnaires du monde civilisé.

                Pourquoi Mme Michu, retraitée de la fonction publique québécoise, n’aurait elle pas droit à sa retraite cette année ?



                • Eliane Jacquot Eliane Jacquot 28 mai 2020 20:43

                  @titi

                  Le seul débat pertinent à mon sens sur les dividendes cette année , est que la liquidité d’une entreprise cotée doit prévaloir sur celle de ses actionnaires . Ce que j’ai exprimé ici :

                  Les entreprises cotées doivent privilégier leur trésorerie visant à rémunérer leurs salariés et à réaliser de nouveaux investissements, le dividende correspondant à un excès de liquidités non utiles à l’entreprise, ce qui est essentiel à comprendre pour ne pas biaiser le débat. Ne pas oublier que les Groupes du CAC 40 ont versé en 2019 60,2 Mds d’Euros de dividendes, dont 11Mds d’Euros sous forme de rachats d’actions, renouant avec leurs sommets de 2007.

                  Mais il est évident que la majorité des conseils d’administration vont privilégier leurs actionnaires fonds de pension américains , britanniques , fonds souverains étrangers et autres prédateurs potentiels très attachés à recevoir des dividendes réguliers , alors que ne pas en verser n’est pas destructeur pour l’entreprise et l’actionnaire .

                  Mme Michu, retraitée de la fonction publique québécoise, aura elle pas droit à sa retraite cette année , comme vous le souhaitez …Le pilier par capitalisation du nouveau système de retraite français tant souhaitée par nos gouvernants ayant été reculé , et c’est tant mieux .

                  Mais les banquiers et les compagnies d’assurances continuent à soutenir auprès de leurs clients la collecte de fonds en Unités de Compte .


                • titi titi 28 mai 2020 20:56

                  @Eliane Jacquot

                  Ca démarrait bien... mais ça finit sur une diatribe anti retraite par capitalisation.
                  Du coup cela sème le doute sur tout le reste de l’argumentation.

                  « lors que ne pas en verser n’est pas destructeur pour l’entreprise et l’actionnaire   »
                  Bien sûr que si que c’est destructeur.
                  C’est le dividende par action qui attire les investisseurs.
                  Si ils se détournent des entreprises françaises, leur capitalisation tombera et elles ne pourront pas se protéger contre des OPA hostiles.


                • Eliane Jacquot Eliane Jacquot 28 mai 2020 21:27

                  @titi

                  Les dividendes n’ont jamais enrichi les actionnaires dont la valeur des actions baisse mécaniquement du même montant dès le versement du dividende .

                  Pour le rachat d’actions , c’est la valeur des capitaux propres qui baisse du montant du rachat d’actions mais la stabilité de la valeur de l’action est obtenue grâce à la hausse du % age de détention à la suite de l’annulation des actions rachetées .

                  Et pour aller plus loin, la bible de la finance d ’entreprise :

                  https://www.vernimmen.net/Vernimmen/Edition_2020.php

                  Quant à la retraite par capitalisation, elle fait partie de la volonté de canaliser l’épargne des français vers le financement des entreprises,( politique économique ) et fait partie intégrante du sujet. 


                • titi titi 28 mai 2020 22:33

                  @Eliane Jacquot
                  « Les dividendes n’ont jamais enrichi les actionnaires dont la valeur des actions baisse mécaniquement du même montant dès le versement du dividende .  »
                  Oui, le versement des dividendes fait baisser les fonds propres.
                  Mais, non, la valeur d’une entreprise n’est pas fixée uniquement par la valeur de ces fonds propres. Il y a toujours une part « irrationnelle » : perspectives de croissance, etc...

                  « et fait partie intégrante du sujet.  »
                  Ce que je vous reproche c’est que je trouve votre argumentation spécieuse avec pour unique but un règlement de compte anti retraite par capitalisation.
                  Pour préserver la trésorerie des entreprises on peut aussi supprimer les cotisations patronales. Les salaires seront sécurisés...


                • Octave Lebel Octave Lebel 29 mai 2020 00:04

                  Bouffée d’oxygène au milieu de tous ces discours anxiogènes.

                  « Dans ce contexte, et face à une inévitable récession économique, le bon sens voudrait que les Conseils d’Administration suspendent la mise en paiement des dividendes à leurs actionnaires en cette année. »

                  Je crois que si cela se faisait, soyons fou, spontanément sans consigne, j’ouvrirai ma fenêtre pour applaudir.

                  Je vous remercie pour cette bouffée d’oxygène apportée par votre article. Au milieu de tous ces discours anxiogènes qui nous mettent en condition pour faire supporter le maximum des efforts par les salariés, artisans, indépendants et petits patrons. La chasse est ouverte.

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