Distribution : les salariés de Casino se préparent à la lutte contre le plan social déguisé de Carrefour
Après la révélation de discussions infructueuses entre Carrefour et Casino, les salariés du distributeur stéphanois ne cachent pas leur inquiétude. Car une éventuelle offre de Carrefour sur leur groupe aurait immanquablement des conséquences sur le front de l’emploi.
Le 23 septembre 2018, Casino annonçait avoir rejeté des sollicitations de « rapprochement » de Carrefour. « Le conseil d’administration a constaté les obstacles, en France et au Brésil, au rapprochement avec Carrefour, en particulier en matière de concurrence et d’emplois. Il a décidé à l’unanimité de ne pas donner suite à cette approche », précisait le communiqué du groupe. Une proposition de rapprochement démentie dans la foulée par le groupe Carrefour, selon lequel les discussions entre les deux groupes sont nées à l’initiative de Casino.
Nombreux emplois supprimés chez Carrefour
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette séquence n’a rassuré ni les salariés de Casino, ni ceux de Carrefour, la crainte d’une offre hostile n’étant pas dissipée. Dans une déclaration datée du 29 septembre et consultée par l’AFP, les syndicats CFDT, CFE-CGC, CGT et Unsa du groupe évoquent « une inquiétude grandissante des salariés », « ressentie dans toutes les entités ». « L’impact social de ces informations, si elles étaient avérées, ne pourra être que catastrophique », écrivent les syndicats, qui ne peuvent s’empêcher de « faire un lien avec la réorganisation qu’a subie récemment le groupe Carrefour ».
Carrefour n’en est pas, en effet, à son premier plan social. Dès septembre 2017, devant les syndicats du groupe (FO, CFDT et CGT), la direction n’excluait pas de fermer des magasins « jugés non rentables », celle-ci précisant « que les magasins en situation d’échec fermeront », ce qui ne s’est « jamais fait dans les hypermarchés et les supermarchés », indiquait à l’époque Philippe Allard (CGT), qui notait également que la direction n’avait « pas nié » quand le chiffre d’une « vingtaine » d’hypermarchés concernés a été avancé, une autre vingtaine pouvant être franchisés et une partie des ex-magasins Dia fermés.
Mais le plan stratégique annoncé par la direction de Carrefour le 23 janvier 2018 a fait l’effet d’un choc, d’autant que les syndicats affirment avoir appris les détails de ce plan dans la presse. Au programme, entre autres : la suppression de 2 400 emplois au siège (sur un effectif total de 10 500 salariés), des réductions de coûts de 2 milliards d’euros, la cession de 273 magasins ex-Dia (soit plus d’un tiers du parc) et une réduction de la taille des hypermarchés.
Dans la foulée de la présentation de ce plan, la CGT dénonçait une méthode « consistant à informer la presse pour rassurer les actionnaires avant de tenir informer les salariés et leurs représentants syndicaux ». La CFDT déclarait de son côté au Figaro se mettre « avant tout à la place des salariés qui découvrent les dispositions qui les concernent par voie de presse », tandis que FO critiquait le « manque de transparence » de la direction.
Les syndicats s’interrogeaient également ouvertement sur la « face cachée » de ce plan. Pour Sylvain Macé, délégué syndical CFDT de Carrefour Groupe, le scénario pourrait s’avérer beaucoup plus noir qu’annoncé : « Il y a les 2 400 suppressions déjà prévues pour le siège et les plans pour les ex-Dia qui pourraient concerner plus de 2 000 personnes. Mais entre la suppression de 500 postes déjà en cours sur les hypermarchés, les réductions de surface qui devraient induire des réductions d’effectifs, la restructuration de la logistique et l’automatisation de la livraison, qui risquent de mener à d'autres suppressions, pour moi, à terme, un tel plan va concerner plus de 5 000 postes ».
Le 31 mars, les syndicats du groupe organisaient un mouvement de grève « pour la défense des emplois et du pouvoir d’achat ». Un mouvement qui a impacté environ 300 magasins et 20 000 salariés selon les syndicats, entraînant même la fermeture d’une quarantaine d’hypermarchés. « Une première ».
Un grand risque de « casse sociale »
Quelques mois plus tard, l’inquiétude des salariés semble s’être encore accrue. L’été dernier, 244 magasins de l’ancien réseau Dia employant 2 100 salariés ont baissé le rideau. Et fin août, plus de 1 700 employés étaient toujours en attente de reclassement. « On atteindra 300 reclassements au mieux. […] C’est de la casse sociale », affirme le délégué syndical CFDT. Pourtant, en début d’année, la direction de l’enseigne avait fixé comme « objectif de reclasser au sein du groupe au moins la moitié des 2 100 collaborateurs concernés ».
Force ouvrière dénonce pour sa part des propositions « indignes ». « Il y a de fortes disparités de qualification et des baisses de salaire allant jusqu’à 500 euros sur un salaire brut de 2 100 euros », affirme ainsi Bruno Biguet, délégué syndical FO Carrefour Proximité France. Pour Sylvain Macé, « il y a clairement des offres qui sont faites pour être refusées, avec des postes qui ne correspondent pas aux profils, pas toujours à temps complet, car il n’y a pas assez de capacité de reclassement dans les magasins ».
« Des chefs de magasin ont reçu des offres d’employé de boucherie ou de boulangerie. Ils l’ont vécu comme une humiliation de plus », rapporte Frédéric Roux, délégué CGT des magasins de proximité. Sur les 854 salariés agents de maîtrise de ces ex-magasins Dia, seulement 68 ont eu une proposition de reclassement de cadre ou d’agent de maîtrise, selon le collectif CGT Carrefour. Les 786 autres ne se sont vu proposer que des postes d’employé.
De quoi renforcer les inquiétudes des salariés de Casino quant aux implications d’un éventuel rachat de leur groupe par Carrefour. Le groupe n’est d’ailleurs pas en reste pour ce qui concerne les ventes de magasins, avec toutes les conséquences que cela suppose déjà pour l’emploi : pour améliorer son bilan, le groupe Casino n’a pas hésité ainsi de son côté à fermer ou à vendre récemment plusieurs dizaines de magasins. Et pour respecter les règles du droit de la concurrence, une fusion des deux groupes serait immédiatement suivie de fermetures massives de magasins, dans toutes les zones de chalandise où apparaîtraient des positions de marché dominantes. Selon les spécialistes, la part de marché cumulée des deux groupes en France atteindrait en effet environ 33 %. Et sur le segment des magasins de proximité, Casino (Monoprix, Franprix, Leader Price, Spar) et Carrefour (Carrefour City, Carrefour Express, 8 à Huit, Proxi) détiendraient ensemble 72 % du marché. « À Paris et en région parisienne, où les deux sont en situation de duopole en matière de proximité, il y aurait de la casse », note ainsi le magazine spécialisé LSA. Un scénario catastrophe pour l’emploi, que risque de précipiter la recherche d’éventuelles « synergies » entre géants de la distribution, et dont la principale variable d’ajustement est comme toujours la masse salariale.
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