DSK osera-t-il la taxe Tobin ?
Le plan Paulson est adopté, son but tenter de cautériser une plaie sur une jambe de bois par le biais des joyeux contribuables. On aura vu avec ravissement certains de nos ânes libéraux se draper dans un linceul de vertu prenant la posture de la vierge effarouchée avec les doigts croisés dans le dos, en dénonçant cette intervention de la puissance publique.
Au-delà des effets immédiats, des effets de tribune dénonçant ces spéculateurs avides, ces parachutes dorés, ces suppliques demandant davantage de régulation et de transparence… on arrive au bout d’un système, d’une idéologie. Il ne s’agit pas de dire que l’économie de marché est morte, on serait d’ailleurs bien en peine d’offrir une alternative crédible à celui-ci, mais bien de prendre acte que l’absence de toute régulation, si elle a effectivement fluidifié les marchés, elle est en train de liquéfier l’économie dans son ensemble. Ce constat est partagé par de nombreux économistes comme Jacques Sapir qui démontre dans un document d’une douzaine de pages que « les dérives de la finance américaine qui ont contaminé une bonne partie de la finance mondiale sont d’abord et avant tout le produit de la crise d’un modèle de développement, celui du néo-libéralisme américain qui prétend développer une économie capitaliste en comprimant toujours plus les salaires… ». (Les 7 jours qui ont ébranlé la finance)
Le courant néolibéral ou capitaliste aura malgré tout réussi à faire croire que les arbres pouvaient monter au ciel par le biais d’un endettement des ménages sans précédent. Cet argent facile aura notamment permis de masquer aux classes moyennes leur appauvrissement bien réel, gommant de même le caractère profondément inégalitaire voire primaire d’un système basé sur le règne animal. Bien entendu, il est relativement simple de l’enrober sous des mots tels que liberté, responsabilité et même équité. Et surtout qu’on ne vienne pas nous dire que cet effondrement est le fruit de quelques individus… Non, la mise en place des subprimes, des crédits hypothécaires et autres outils encore moins ragoûtants découlent d’une méthode et d’objectifs partagés par la minorité gouvernante, à savoir une accumulation de capitaux toujours plus grande avec comme corollaire une course à la dividende et à la profitabilité toujours plus élevée.
Pour l’heure nos politiques tentent de faire bonne figure… entre dénonciation facile, appel à l’union nationale, mais la vraie question est de savoir s’ils comptent tirer un enseignement de cette crise dont on ne connaît pas encore l’étendue et si la contagion est déjà dans les tuyaux au-delà des Etats-Unis et de l’Union européenne (le marché immobilier chinois va-t-il tenir…). Si chacun cherche à éloigner le spectre de la crise 1929, il est néanmoins intéressant, comme l’a fait Thomas Piketty, de regarder quelle fut l’action menée par le pouvoir politique dans des conditions somme toute assez similaires. C’est assez édifiant puisque « le taux de l’impôt fédéral sur le revenu applicable aux revenus les plus élevés fut porté de 25 % à 63 % en 1932, puis 79 % en 1936, 91 % en 1941, niveau réduit à 77 % en 1964, et finalement à 30 %-35 % au cours des années 1980-1990 par les administrations Reagan-Bush ». On notera que ces taux n’ont en rien été préjudiciables à la bonne marche de l’économie même si le niveau d’interdépendance des économies n’était pas aussi élevé qu’aujourd’hui et la contrainte sur les coûts aussi fortes.
Cependant, à ce stade, il convient de rappeler que cette contrainte des coûts ne tombe pas du ciel ou de je ne sais quelle main invisible, elle est la conséquence directe de l’idéologie néolibérale rappelée plus haut.
C’est donc bien aux politiques de reprendre l’initiative tant au niveau mondial, européen que français. Ce qui tombe plutôt bien que la plupart de ces institutions sont dirigées par des Français ; au passage, cela démontre que nous avons été particulièrement réceptifs au discours ambiant servi depuis une trentaine d’année par les tenants du tout déréglementation.
Aussi, le moment ne serait-il opportun pour le président du FMI, Dominique Strauss-Khan, de lancer une réflexion sur la mise en place de cette fameuse taxe Tobin sur ces flux financiers ? Il me semble que le Parti socialiste européen avait milité en son temps pour une telle taxe, mais bon 2003 c’est loin… Ce serait un premier pas louable et nécessaire.
Il est évident qu’une telle initiative devrait s’appuyer sur une lutte réelle contre les paradis fiscaux et autres systèmes off-shore. Il est d’ailleurs savoureux d’entendre des députés UMP appeler de leur vœu un tel effort. Pour rappel, nul besoin de refaire un nouveau rapport, il en existe déjà (celui de Peillon et Montebourg), vilipendé en son temps par ces mêmes députés de droite. Aussi, en tant que président de l’UE, Nicolas Sarkozy devrait peut-être s’en saisir et parallèlement à cela ; proposer la mise en place d’une fiscalité minimale sur les bénéfices des entreprises (cela aussi à participer à cette folie dérégulatrice), qui pour les 27 est en moyenne inférieure à celle pratiquée aux Etats-Unis. L’Europe est un très bon élève en matière de déréglementation, privatisation…
On le voit, les pistes existent, les volontés politiques c’est beaucoup moins certain. Cependant, je ne demande pas à Sarkozy de répondre l’urgence de bâtir un nouveau modèle de développement (en adepte des crédits hypothécaires, de l’endettement des ménages…), je suis plus que réservé sur sa conversion subite.
Ces trente ans de néolibéralisme acharné démontrent l’inanité sociale de ce modèle et des mensonges qu’il véhicule, il n’aura pas non plus réussi à endiguer ce problème qui se pose à l’humanité : celui de l’urgence écologique.
Et au-delà des mots, des concepts marketings comme croissance soutenable, croissance durable, il y a une problématique majeure : à partir du moment où, pour la production d’un bien ou la délivrance d’un service, le coût environnemental n’est pas neutre voire négatif, notre écosystème est menacé, aussi tout modèle doit prendre en compte cette contrainte vitale.
Le chantier d’une politique de civilisation, chère à Edgar Morin, est bien devant nous, espérons seulement qu’enfin l’être humain passe de l’adolescence à l’âge adulte.
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